Apres son très réussi film d’animation J’AI PERDU MON CORPS qui lui a valu le Crystal du meilleur film à Annecy en 2019, Jérémy Clapin est de retour avec un film hybride mi-drame intime mi-fantastique. Un film sensoriel qui aborde le deuil et la manière de vivre avec les disparus de manière très poétique.
Interview Jérémy Clapin | PENDANT CE TEMPS SUR TERRE
«Ce film invite au mélange des genres» Jérémy Clapin présente son 2e long métrage sur le deuil, en Compétition internationale au NIFFF 2024.
PENDANT CE TEMPS SUR TERRE | Synopsis
Elsa, 23 ans, a toujours été très proche de son frère aîné Franck, spationaute disparu mystérieusement 3 ans plus tôt au cours d’une mission spatiale. Un jour, elle est contactée depuis l’espace par une forme de vie inconnue qui prétend pouvoir ramener son frère sur terre. Mais il y a un prix a payer…
Jérémy Clapin est un réalisateur, scénariste et animateur français. Il se forme au dessin d’animation à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs et se fait dans un premier temps remarquer pour ses courts-métrages. Il est révélé au grand public en 2019 avec J’AI PERDU MON CORPS, son premier long-métrage multi-récompensé, qui reçoit le César du meilleur film d’animation et concourt pour les Oscars de cette même catégorie. Avec PENDANT CE TEMPS SUR TERRE, Jérémy Clapin s’initie avec brio au cinéma en live action et démontre son aptitude à réaliser un film jouant avec les frontières des genres.
Interview par Ondine Perier
PENDANT CE TEMPS SUR TERRE raconte l’histoire d’Elsa, une jeune femme vingtenaire qui ne sera remet pas de la disparition de son frère cosmonaute dans l’espace, survenue il y a trois ans. Téléguidée par une mystérieuse voix, elle accepte des missions extrêmes pour tenter de ramener ce frère sur terre. Quelle a été la genèse de cette histoire ?
Je n’ai pas voulu faire un film sur le deuil. Le point de départ, c’est vraiment l’espace, mais l’espace vu de la Terre. Je me suis intéressé un peu à la relation qu’on avait sur Terre, à être toujours fasciné par l’espace face à un territoire dans lequel on ne pouvait jamais aller. Je me suis ensuite raconté que c’était finalement ces deux territoires qui se faisaient face, la Terre, l’espace. C’était un peu comme le présent qui se tourne vers le passé. On a toujours cette fascination vers le passé ou le futur. Ce rapport de deux territoires qui se font face on le retrouve aussi quand on est dans le monde des vivants, où on est attiré par le monde des fantômes, ou le monde de l’enfance face à celui du monde de l’âge adulte. Léa protagoniste est aussi entre deux âges. Je commence à réfléchir là-dessus. Je me suis dit que ce serait intéressant de raconter l’histoire de quelqu’un qui est coincé dans un entre deux mondes.
On retrouve la thématique du deuil déjà présente dans votre premier long métrage J’AI PERDU MON CORPS (disponible sur Netflix NDLR)
Oui, c’est un hasard. Mais effectivement, sur J’AI PERDU MON CORPS, il y a une histoire de deuil, qui est plus un deuil de l’enfance. C’est je trouve une thématique très riche. Ceux qui restent se retrouvent souvent partagés entre le désir de croire à un monde imaginaire plutôt que d’affronter une réalité. Finalement, ils peuvent devenir eux-même des fantômes, davantage que les disparus.
L’actrice principale, Mega Northam, dégage une intensité et une étrangeté qui collent parfaitement au personnage d’Elsa. Avez-vous pensé à elle en écrivant le scénario ?
Non, je n’avais pas du tout le casting en tête quand j’ai écrit. Évidemment, l’étape du casting était primordiale ici car le personnage principal est de tous les plans. Je viens de l’animation, quand j’écris un personnage, j’imagine un personnage et généralement, je crée le personnage que j’ai imaginé. Là mon désir de faire de la prise de réel était aussi d’aller rencontrer des choses plus inattendues. Le casting a duré assez longtemps, lorsque Megan est apparue, elle a tout de suite dégagé quelque chose de très réel et très incarné. Et j’avais besoin d’un personnage très terrien, qui parvenait à faire croire à cette histoire folle. Ce qui m’a séduit aussi c’est sa capacité à invoquer très vite une intensité, une douleur et en un clin d’œil et sans artifice d’exprimer quelque chose de lumineux et spontané.
En tant que spectateur, il y a plusieurs lectures de votre film entre le réel et l’imaginaire que se crée Elsa. Était-ce une volonté de votre part, de laisser le spectateur s’approprier cette histoire ?
Oui, l’idée, c’est de faire coexister deux lectures, d’arriver à proposer la lecture réelle, mais de pouvoir aussi se retirer un peu et se demander si tout ceci n’est pas finalement fabriqué. Je pense que c’est le cas de beaucoup de films de monstres, même de beaucoup de films fantastiques.
L’intensité passe beaucoup aussi par la musique de Dan Lévy, qui était aussi votre compositeur sur J’AI PERDU MON CORPS. Comment avez-vous collaboré sur ce film ?
J’aime la musique qui prend de la place dans les films. Je n’aime pas la musique invisible. Souvent, quand je mets de la musique, je la laisse prendre le temps de se développer. Je n’intègre pas la musique juste pour illustrer, mais pour qu’elle participe au récit et qu’elle rentre un peu par tous les pores du film. Le compositeur réécrit ainsi le film quelque part, c’était un des auteurs du film. En tant que spectateur, j’aime me rappeler de la musique de film, c’est par ce biais que je me connecte aussi au cinéma. On n’a pas travaillé pas de la même manière sur PENDANT CE TEMPS SUR TERRE, parce qu’il est intervenu plus en amont dès l’étape d’écriture. Alors que sur J’AI PERDU MON CORPS, la composition de la musique s’est faite au moment du montage. Ici, j’avais aussi besoin du support de la musique, de son pouvoir pour passer d’un monde à l’autre, de la Terre à l’espace, et même de la prise de vue réelle à l’animation.
D’ailleurs, ces scènes d’animation distillées dans le film où l’on voit Elsa en extraterrestre, était-ce une manière de changer d’axe et d’entrer dans son inconscient ?
Oui tout à fait ces passages d’animation, c’est le seul territoire qui appartient à la fois à Elsa et à son frère. C’est le fantasme d’un monde qui a existé et qui est en perdition dans l’espace. Un monde un peu figé dans l’enfance ou dans une représentation enfantine qui se serait arrêtée à partir du moment où son frère a disparu. Je laisse ici aussi de la liberté pour l’interprétation, parce que c’est toujours lorsqu’on confronte des images en prise de vue réelle avec de l’animation que cela provoque des sensations et ressentis chez le spectateur.
Aviez-vous des inspirations de films lors de l’écriture de PENDANT CE TEMPS SUR TERRE ?
J’essaie de me détacher un peu des références, mais forcément j’ai des affiliations avec certains films, surtout des films fantastiques où la part du fantastique est assez minime, mais qui nous invite à regarder le monde un peu différemment, en faisant un pas de côté. Je ne suis pas trop fan des films faisant appel à beaucoup d’effets spéciaux, je ne trouve pas que ce soit les plus intéressants. Une des mes inspiration a été le film MORSE (film d’horreur suédois réalisé par Tomas Alfredson sorti en 2008) qui est à la fois fantastique et intime. Le monstre est une métaphore aussi de quelque chose de plus profond qui résonne avec la société. Tout ça m’intéresse fortement.
En quoi l’espace est un thème qui vous fascine autant ?
Je pense que c’est lié à l’enfance. C’est-à-dire quand on est enfant, on se tourne vers le ciel là et on ne se rend pas compte qu’on n’ira jamais là-haut, mais il y a quelque chose qui nous attire et qui nous nourrit, tout le monde se projette dans l’espace en regardant les étoiles. C’est quelque chose d’universel.
Et ce qui provoque de l’effroi, la tronçonneuse source du malheur dans J’AI PERDU MON CORPS, apparaît aussi dans une scène pivot de PENDANT SUR TERRE. Y a t-il un symbole ?
Il y a effectivement l’idée de donner un nouveau démarrage au film à ce moment-là. Avant cet événement Elsa commence à vraiment s’isoler. J’ai besoin de la ramener sur terre dans un pacte faustien dont le démarrage est assez violent. Comme c’est un film sur le deuil, selon moi, le deuil est violent. Le film capture plein de violences différentes : la violence morale, la violence de la société, la violence physique, des agressions. Tout cela participe à noyer Elsa dans un climat hostile. Ce qui m’intéresse n’est pas l’agression en elle-même mais la manière dont elle pourfend un destin qu’elle n’accepte pas.
Pour revenir sur le pacte faussien, le message qu’on comprend, c’est ayez des projets, parce que sinon votre vie ne vaut pas le coup d’être vécue et vous courrez un danger.
Oui il y a un moment donné où elle doit sacrifier des gens et c’est vrai qu’elle se met un code. Et le code est rapidement celui, finalement, de la société, c’est qu’est-ce qu’on fait des gens qui ne sont pas productifs, qui sont un peu immobiles ? C’est souvent des gens qui, même dans la société, vivent déjà comme des fantômes. Ça peut être des sans-abri, évidemment, mais aussi les personnes en fin de vie dans les EPAD qui ne sont pas productifs selon les normes dictées par la société et qui commencent aussi à se libérer de liens qui pourraient les connecter avec d’autres vivants. Donc finalement, ils deviennent un peu des errants.
Après cette expérience, êtes vous plus attiré, en tant que réalisateur, par l’animation ou la prise de vues réelles ?
J’ai besoin dans mon métier de sortir de ma zone de confort, d’explorer, cela a toujours été mon moteur. Même en animation, c’est très riche. On peut faire une catégorie de films avec telle ou telle technique. Si je me répète, j’ai l’impression de me transformer en usine à faire des films. J’aime explorer d’autres médiums (j’ai failli faire un film en stop motion) et la prise de vues réelles m’intéresse aussi parce que ça me permet d’entrer différemment dans des histoires.
Le challenge résidait aussi ici dans la direction d’acteurs.
C’est compliqué lorsque les scènes sont techniques. Et souvent, on n’a que très peu de temps, c’est là où l’expérience aide beaucoup. La grande attention qu’il faut avoir est au moment de son casting. C’est-à-dire que là, normalement, si tu choisis bien tes acteurs, la direction est forcément facilitée sur le tournage.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre prochain projet ?
Mon prochain film sera un film d’animation, un projet personnel plus dans la veine de J’AI PERDU MON CORPS. J’ai aussi des idées d’adaptation sur de la prise de vue réelle. C’est un peu tôt pour en parler, parce que c’est vraiment le démarrage. Mais j’aimerais travailler sur sur l’animation et mon projet de prises de vue réelles en même temps, qu’elles puissent en parallèle.