Premier film d’un réalisateur nigérian à avoir été sélectionné au Festival de Sundance, présenté en hors-compétition dans la section « Third Kind » du NIFFF, l’œuvre de C. J. Obasi est un drame fantaisie empreint de poésie, et participe, sous couvert du mythe, au réveil féministe.
MAMI WATA
MAMI WATA | Synopsis
Lorsque la paix de son village natal est menacée, Zinwe saura-t-elle accepter le destin que lui promet la légende locale et faire face à une impitoyable et violente rébellion ?
MAMI WATA | Le mot du distributeur
Alors que l’harmonie d’un village isolé d’Afrique de l’Ouest est menacée, Zinwe et Prisca, filles d’une prêtresse intermédiaire de la déesse Mami Wata, se battent pour préserver leur communauté… Réalisé par le Nigérian C. J. Obasi, ce film magique ranime les croyances vaudou et recourt à une esthétique sublime pour décrire les tensions qui traversent le continent africain. Envoûtant.
Après le film de zombies à petit budget OJUJU (2014) et le sombre polar O-TOWN (2015), l’éclectique réalisateur nigérian C. J. Obasi, surnommé THE FIERY ONE à Nollywood, livre un film puissamment esthétique qui ravive une figure vaudou légendaire: Mami Wata, la versatile mère des eaux, que l’on craint et vénère tout à la fois. Parlé en pidgin nigérian, langue si expressive et vivante, ce film magique est tourné dans un noir et blanc lumineux et contrasté, où brillent dans la nuit les visages maquillés des personnages. Fort de cette esthétique très travaillée, Obasi nous entraîne dans un récit qui joue avec le mythe et le sacré pour constituer une merveilleuse parabole en forme de théâtre antique. Le cinéaste y exprime avec une grande force d’évocation les conflits générationnels, sociaux et politiques, de même que les tensions entre tradition et modernité, qui hantent toujours l’Afrique.
Critique d’Abel Zuchuat
Le pouvoir divin de Iyi, petit village paisible de l’ouest-africain, se voit soudainement menacé par le scepticisme de certains habitants. Ils ne croient plus en leur divinité Mami Wata, et en son intercesseuse Mama Efe, entraînant alors le village dans une révolution barbare initiée par l’arrivée d’un mystérieux seigneur de guerre. Les deux sœurs Prisca et Zinwe, futures intermédiaires de la divinité, doivent trouver le moyen de sauver Iyi et y rétablir la foi.
Croire ou ne pas croire ?
Certes, MAMI WATA ne s’éloigne pas de la grande tendance des films nollywoodiens – cinéma du Nigéria – à véhiculer des thèmes religieux et mythiques dans une approche prosélyte. La simplicité, en terme purement narratif, du film nous rappelle pour la nième fois que le bon sentiment l’emportera sur la haine et que la force d’y croire dissipera toujours les doutes. On pourrait s’arrêter là et ranger l’œuvre dans le tiroir des clichés scénaristiques, mais ça serait sans compter ses subtiles nuances et sa beauté esthétique enivrante.
En plus de faire du régime matriarcal luttant pour sa préservation l’allégorie du combat féministe, MAMI WATA impose moins la croyance du mythe qu’il en expose les enjeux relationnels. Ainsi, le film conteste de lui-même à plusieurs reprises le pouvoir spirituel, en présentant par exemple la mort d’un enfant que Mama Efe ne parvient pas à soigner, scepticisme qui atteint les paroles de la guérisseuse elle-même au cinquième chapitre : « Aucune prière ne peut changer le futur ». En alternant son discours entre croyance et doute, Mami Wata s’aligne à la définition même du fantastique ; ne pas savoir si le merveilleux est bien réel ou alors le fruit d’un imaginaire. Croire ou ne pas croire ? Au final, le dilemme que nous impose C. J. Obasi n’attend pas forcément de réponse, car, face au mythe, le film n’est ni trop prosélyte, ni pas assez dissuasif. Il modère plutôt son discours comme celui d’une fable, dont la morale pourrait être empruntée à Diderot : « On risque autant à croire trop qu’à croire trop peu ».
Noir et blanc et l’horizon
L’inspiration large dont se revendique C. J. Obasi, allant de Akira Kurosawa à David Lynch, se matérialise surtout à travers une esthétique hyperstylisée. L’usage exclusif du noir et blanc, de gros plans, d’une alternance dans la profondeur de champ et d’un éclairage extrêmement low Key transforment chaque plan en une expérience artistique en créant un rapport haptique entre les matières à l’écran et l’œil du spectateur. Se confondent alors les motifs, les corps et la nature, le maquillage blanc, les lumières et les étoiles, les larmes et le sang, dans un champ de vision sans profondeur et constamment surchargé d’éléments graphiques.
Puis soudain… l’horizon. Le lointain de l’océan. Une trouée faite dans cet écran jusque-là étouffant. Une simple ligne porteuse de sens qui résonne aux paroles que Prisca lance au seigneur de guerre : « Je ne sais pas en quoi je crois ». Cette ligne marque une échappatoire possible, celui de l’infidélité charnelle qui l’accompagne en surimpression, autant qu’elle rappelle que la seule enclave à la liberté est l’attachement sans failles aux ordres de la tradition. À ce moment de pivot narratif important, C. J. Obasi fait preuve d’une grande subtilité, et montre à quel point son esthétique est porteuse de sens. Il réussit à rattacher au plaisir du corps et à l’adultère, le mythe spirituel de Mami Wata qui, rappelons-le, déesse mi-humaine, mi-sirène, punit les infidèles.
Conclusion
Schématique au premier abord, MAMI WATA prouve que ses subtilités narratives valent le détour, distillant le long du récit de quoi saisir le message plus modéré de son auteur C. J. Obasi. Loin d’être aussi radical que peuvent l’être d’autres productions nollywoodiennes, le film propose de requestionner les croyances, mais aussi de comprendre leur importance, ce qu’elles engagent au niveau relationnel, tout en s’inscrivant dans un discours féministe évident. L’esthétique graphique déployée offre non seulement un plaisir presque tactile pour les yeux, mais permet également d’élever le message du film à un degré de lecture supérieur et fascinant.