Premier film d’Amélie Bonnin projeté en ouverture du festival de Cannes, PARTIR UN JOUR est un film musical où la chanteuse-actrice Juliette Armanet interprète Cécile, une cheffe étoilée qui revient dans son village natal suite à l’infarctus de son père. Elle y retrouve son béguin de jeunesse. Beaucoup d’émotions et déclarations se font dans la film à travers des chansons populaires françaises. Juliette Armanet, rencontrée à Cannes, nous livre quelques confidences et recettes d’une vie épanouie.
Juliette Armanet | PARTIR UN JOUR
- Publié le 19. mai 2025
«Sort-on vraiment un jour de l'adolescence ? C'est comme une période qui nous poursuit un peu dans sa fougue, dans sa révolte.»
Interview d’Ondine Perier
Comment êtes-vous arrivée au cinéma ?
J’avais le désir d’essayer autre chose. Mais que ce n’était pas écrit que ça aurait ce schéma-là. Donc oui, je me suis laissée guider par mon instinct.
Avez-vous reçu une formation d’actrice ?
J’ai fait beaucoup de théâtre plus jeune. J’ai adoré et voulais en faire mon métier. Comme je n’ai pas eu les écoles souhaitées, j’ai renoncé assez rapidement et aussi je ne voulais pas dépendre du désir des autres pour m’accomplir dans la vie. Mais bon ça, c’était il y a 20 ans.
Le court métrage PARTIR UN JOUR a été été votre première expérience de jeu après ces années de scène musicale incroyable ?
Oui, j’avais fait des tout petits rôles, ici et là. Le court métrage, c’était deux jours de tournage et c’était tout petit comme partie pour moi. C’était entre mes deux albums, j’avais un petit peu de temps. Au début, je n’étais pas du tout convaincue ; c’est mon frère Adrien, qui est réalisateur, qui m’a dit: Le scénario est super, vas-y, fais-le. Et ça nous a amenés jusqu’ici !
Vous avez un jeu très organique dans ce film.
On a fait le film pas à pas. Le fait qu’il y ait des parties chantées m’a beaucoup aidée à trouver mes marques, c’était rassurant pour moi de chanter en même temps que je jouais. Mais Je m’inquiétais au début sur les scènes où je suis en colère, j’avais peur que ce soit trop sombre. On a trouvé la lumière au fur et à mesure et le film va vers la lumière. C’est ce qui m’a plu, mais Amélie m’a laissé beaucoup d’espace et de temps pour chercher.
Avez-vous été impliquée dans le choix de la musique, dans le film ?
Pas du tout. Parce qu’Amélie savait exactement ce qu’elle voulait. Et elle n’est pas venue me chercher pour ça. J’ai juste proposé qu’elle rencontre Chilly Gonzales pour l’arrangement du tube «Partir un jour».
Comment s’est passée votre rencontre avec Amélie, êtes-vous amies dans la vie ?
C’était il y a longtemps. Elle travaille sur une émission qui s’appelle Radio Live sur des performances de dessin, de théâtre, qui est assez politique. J’avais été invitée et on s’était rencontrés à ce moment-là où elle était graphiste. Elle n’avait pas encore écrit son court métrage. Quelques mois plus tard dans ma boite de mail, je reçois le scénario du court PARTIR UN JOUR.
Les problématiques abordées – carrière, maternité, retour aux sources – vous ont immédiatement parlé ?
Oui et j’ai aussi l’impression qu’Amélie m’a écrit une partition sur-mesure. Par exemple, le patinage artistique, c’est moi qui lui en parle depuis longtemps, je le pratiquais enfant. À cet endroit-là, c’était pour moi le plus doux des débuts, parce que je me sentais assez proche de ce personnage. Autant par le fait que mon personnage est une femme de 40 ans qui a une passion pour son métier, une rage de réussir et en même temps qui est une archi-sensible. Mais bien sûr, il a fallu aller chercher le personnage et rencontrer vraiment l’histoire d’Amélie.
La distance que Cécile met avec ses parents et sa ville d’origine – pourtant pas si loin géographiquement – est tout de même dure à encaisser.
Elle est dans un rejet. Ce n’est pas une question de kilomètres. Elle essaye de vivre sa vie comme si le passé n’existait pas. Elle y arrive par contre de facto, on voit bien qu’elle est perdue et que c’est ce retour aux sources qui va faire qu’elle va enfin pouvoir s’émanciper. Elle met de côté son passé volontairement sur le terrain parce que il la gêne.
Que pensez-vous de la question d’avoir ou non des enfants, problématique essentielle du film ?
C’est un sujet qui n’est pas si souvent abordé que ça : l’avortement – même s’il a été adopté dans la Constitution française – reste un sujet délicat à aborder. Ce qui est beau, c’est que le film fait en sorte qu’on puisse comprendre son choix. On entre en empathie avec elle et on respecte ce qu’elle désire. C’est aussi une perspective très féministe et nécessaire, je pense, de poser la question de cette manière, douce et délicate.
Considérez-vous PARTIR UN JOUR comme un renouveau de la comédie musicale ?
Ce n’est pas une comédie musicale au sens classique et hollywoodien du terme où les acteurs sont à la fois chanteurs, danseurs, performeurs. Là, les parties chantées ont toutes été enregistrées sur le lieu du tournage avec le même micro que celui des dialogues. On passait du parler au chanter, du chanter au parler sans cesse. D’ailleurs, les chansons sont utilisées comme des dialogues à part entière. Il n’y avait pas du tout le confort du studio avec le gros casque, etc. Et le fait de chanter en mangeant de la friture, dans un camion, en faisant du patin à glace donnaient lieu à ce laisser-aller nécessaire. Je crois même qu’Amélie a cherché volontairement les aspérités, les maladresses ; ces imperfections qui provoquent au final l’émotion.
L’énergie que vous déployez dans le film ne vous paraît-elle pas moindre par rapport à celle que vous mettez sur scène dans vos concerts.
Non, parce qu’il s’agissait d’un tournage de deux mois, tous les jours, avec beaucoup de tournage de nuit. L’endurance que nécessite une journée de tournage, les temps morts, le fait de devoir être pile présent, vivant au moment où ça tombe, est importante. C’est une toute autre énergie, bien sûr, c’est une concentration longue qui nécessite beaucoup de patience. Un challenge pour une impatiente comme moi ! Ce que j’aimais justement c’est que j’étais de toutes les scènes pendant deux mois, du coup, c’était besogneux et j’aime cela.
Y-a-t-il eu des répétitions ?
Oui, principalement pour le chant et pour le patin à glace, on a travaillé avec la championne olympique Gabriella Papadakis. On a reçu des cours de chant aussi et moi, j’ai pris des cours de cuisine. Mine de rien, il y avait quand même toute une préparation de près de deux avant le tournage. Pour tout ce qui est apprentissage de texte, j’ai fait ma tambouille dans mon coin avec un coach. On a vraiment travaillé le texte pour qu’il rentre dans ma peau, travailler en marchant, en se baladant, etc.
Juliette, votre personnage retourne sur le lieu de son enfance, de son adolescence, et redevient un peu une ado. Que pensez-vous de cette sorte de régression?
C’est une bonne question parce que sort-non vraiment un jour de l’adolescence ? C’est comme une période qui nous poursuit un peu dans sa fougue, dans sa révolte. On a toujours plusieurs âges à la fois dans nos vies. On est plein de couches, et il y a des moments où on va avoir certains âges qui vont prendre le dessus.
*Il y a une part de snobisme et un clivage entre Paris et a province dans le film. Vous -même, vous sentez-vous très parisienne ?
*
Moi, je suis née dans le nord de la France, dans une petite ville. Mes parents étaient libraires. Je me suis retrouvée à Paris à mes 18 ans. C’est sûr que j’ai grandi dans une ambiance différente de celle de Paris où je vis mais je n’y suis pas beaucoup. Ma vie de chanteuse me fait beaucoup voyager pour mes tournées. Cette problématique du retour aux sources n’est pas la mienne car j’ai plein d’endroits d’où je viens et qui sont tout aussi importants. C’est aussi au-delà de la question de Paris-Province, c’est celle des racines quelles qu’elles soient, et de l’équilibre si délicat entre la transmission et l’émancipation. C’est très beau de poser cette question-là à la quarantaine, à un âge où on est censé avoir résolu ces problèmes.
Quelles sont vos sentiments maintenant quand vous revenez dans votre petit village au nord de la France ?
Tout me paraît petit, j’avais un souvenir de ma maison, je la voyais immense alors que c’était un tout petit pavillon microscopique de Villeneuve d’Ascq, avec toutes les maisons pareilles près du Auchan. L’échelle a changé parce que j’ai grandi, mais J’ai des souvenirs tellement radieux de mon enfance, tellement beaux ; j’ai eu la chance d’avoir des parents formidables. Je suis souvent étonnée du fait de ne pas avoir beaucoup de souvenirs d’enfance, sans doute parce que c’était tellement fluide. Certaines de mes amies ont des souvenirs très forts, parce qu’elles ont vécu des événements durs, traumatiques.
Est-ce que vos parents vous ont initiée au cinéma ?
Mon frère Adrien est réalisateur et mon autre frère est photographe, donc on a une famille où l’art est une préoccupation. La littérature assez intense dans notre famille. C’est une famille où on parle beaucoup. On a été éduqué à la curiosité de toute forme d’esthétique, d’art et d’expression de soi dans le monde.
Aviez-vous quelques films référents en tête quand vous jouiez Cécile ?
Non, pas du tout. Par contre, j’ai vu récemment JULIE EN 12 CHAPITRES (sélection de la Compétition officielle Cannes 2021, NDLR). Et j’ai trouvé une forte proximité avec PARTIR UN JOUR. Amélie a fait un film hybride et un peu nouveau dans son genre dans le sens où ce n’est pas vraiment une comédie musicale, ce n’est pas complètement un film social ni une comédie romantique. C’est une comédie qui a vraiment une puissance dramatique et qui pioche dans plein de genres différents sans être un film de genre. C’est peut-être ça son originalité aussi.
Est-ce que vous avez gardé des amis proches de votre enfance ?
Oui, je ne sais pas si je suis une bonne personne en amour, je fais ce que je peux mais par contre, je suis une amie fidèle, très proche de ses amis d’enfance. La marraine de mon fils est mon amie que je connais depuis que j’ai trois ans. J’ai une bande de potes extrêmement solide que j’ai depuis 20 ans et c’est une famille choisie pour moi. Malgré la distance crée par mes tournées, j’ai vraiment tout fait pour garder mes amis et qu’on ne se perde pas de vue. Je suis quelqu’un pour qui l’amitié est une forme d’amour.
Vous sentez vous complètement épanouie dans votre vie de mère, de femme, d’artiste ? On a beaucoup parlé du burn-out de Stromae, comment avez-vous vécu la tornade de la scène ?
Je pense que la question de la santé mentale des pop singers n’est pas du tout explorée. On n’est pas du tout prêt à vivre des émotions aussi puissantes. L’exposition, surtout à notre époque où les critiques parlent plus parfois que les gens bienveillants. Ma sortie de tournée n’a pas été si évidente : après 180 dates en France avec un enfant en bas âge à la maison. Je me levais à 6h du mat’ pour le voir à l’heure du petit déjeuner en étant rentrée à 2h du mat’. J’ai essayé d’être à tous les endroits de ma vie en même temps. De toute manière, pour être maman tout en menant une carrière cœur battant, il faut être très bien entouré, ce qui est mon cas.
Quelle est votre chanson préférée du film ?
Il y a une chanson dans le film que je trouve très touchante, chantée par François Rollin : «Cécile, ma fille» de Claude Nougaro. C’est une scène bouleversante parce qu’il n’arrive pas à s’exprimer depuis le début, il ne lui parle qu’en reproches et d’un seul coup cette déclaration d’amour intervient en chanson. La manière qu’a eu François de l’interpréter, même en répétition, on avait déjà tous les poils qui se dressaient tellement c’était émouvant.
Votre complicité avec votre mère jouée par la fabuleuse Dominique Blanc, comme vous l’avez vécue ?
Dominique est tellement douce, accessible, simple, vibrante, généreuse. J’ai le souvenir que pendant le tournage, elle jouait «Le Soulier de satin» à la Comédie française qui dure neuf heures puis peine le rideau tombé, prenait un taxi de nuit pour venir sur le tournage. Elle arrivait pimpante, avec un mot toujours sympa pour tout le monde. Pendant certaines scènes du tournage, je m’arrêtais de jouer tellement j’étais prise par sa façon de dire les choses. On entend une profondeur, une densité, une humanité dans chacun des mots qu’elle prononce ; c’est tellement puissant. J’ai eu une chance inouïe de jouer aux côtés d’une actrice aussi exceptionnelle.
Quelles sont vos attentes sur le film, sorti sur 400 copies dans toute la France et en Suisse romande ?
J’ai vraiment l’espoir qu’il rencontre son public et le cœur des gens. Je trouve que c’est un film qui le mérite : il est assez universel aussi dans l’histoire et qui est assez humble dans sa facture. Je pense que c’est un film qui peut être un grand show populaire, j’espère.