De passage à Genève pour présenter son 15e long métrage pour le cinéma, le réalisateur français est également à la réalisation de nombreux téléfilms. AIMONS-NOUS VIVANTS est sa 5e comédie, après LES ÉMOTIFS ANONYMES avec Benoît Poelvoorde et Isabelle Carré, UNE FAMILLE À LOUER avec Poelvoorde et Virginie Efira, JE VAIS MIEUX avec Eric Elmosnino, LES FOLIES FERMIÈRES. Cette nouvelle comédie est brillamment portée par Valérie Lemercier et Gérard Darmon. Rencontre avec un cinéaste au grand cœur.
Jean-Pierre Améris | AIMONS-NOUS VIVANTS
- Publié le 16. avril 2025
«J'ai adoré cette troupe d'acteurs suisses qui ont vraiment le sens de la silhouette, cet art qui leur vient de la scène, du théâtre. »
Interview par Ondine Perier
J’ai lu que c’est en vous disant: Peut-être que je ne pourrais plus faire ce métier de réalisateur, que cela a été le point de départ.
J’ai souvent fait des films autour de la disparition, ce thème doit sûrement m’angoisser. C’EST LA VIE avec Jacques Dutronc et Sandrine Bonnaire se passait dans des soins palliatifs ; POIDS LÉGER portait sur le deuil. Mais là, le point de départ est arrivé lorsque je faisais mon dossier de retraite, je me suis dit: «Mince, si demain je n’arrive plus à pratiquer mon métier, moi qui ne sais rien faire d’autre, qui ai sacrifié beaucoup de choses à cette passion de ma vie qu’est le cinéma. Comment garder le goût de la vie ?» Et c’est comme ça que, paradoxalement, c’est devenu une comédie autour d’un chanteur qui ne peut plus monter sur scène après un AVC et qui décide d’en finir, de partir à Genève pour le suicide assisté ; et qui, heureusement – puisque c’est une comédie et une comédie romantique – rencontre dans le train une femme qui est tout son contraire, pleine de vie, d’envie, un peu décalée, un peu folle dingue, mais qui, apprenant le projet du chanteur, va tout faire pour l’en empêcher.
On oscille entre l’humour et l’émotion. Vous maniez souvent ce mélange délicat entre légèreté et profondeur. Comment trouvez-vous le bon équilibre ?
J’ai toujours aimé ce que j’appelle la comédie funambule. Même comme spectateur, j’ai toujours aimé que la comédie ne soit pas que de la gaudriole. Finalement, une comédie, c’est souvent un drame inversé : un drame que l’on veut transformer pour pouvoir rire des sujets parfois graves qui sont là, comme pour nous les rendre plus proches, moins tabous. Ça nous fait du bien, tout bêtement, le rire, c’est quand même la meilleure thérapie.
Le travail avec vote co-scénariste participe t-il beaucoup à apporter cette légèreté ?
Oui, Marion Michaud, ma co-scénariste et dialoguiste du film est une excellente dialoguiste, elle a vraiment le sens des répliques qui font mouche, c’est elle qui fait rire les spectateur.ices avec cet humour-là qui bataille contre la mélancolie. Ensuite, je crois que c’est un rapport aux acteurs quand même.
Votre formidable duo d’acteurs qui y est aussi pour beaucoup effectivement !
Le film a été écrit pour Valérie Lemercier et Gérard Darmon, qui ont tous les deux quand même un sens comique inouï. Gérard Darmon a un grand sens de l’auto-dérision pour faire l’architecte d’ASTERIX dams MISSION CLÉOPÂTRE, faire LA CITÉ DE LA PEUR, etc. Ce n’est pas si fréquent chez les acteurs français. Quant à Valérie Lemercier, elle a du génie comique. C’est touchant parce qu’elle me dit souvent: «Moi, ce que j’aime, c’est faire rire les gens.» Et c’est une sacrée belle entreprise que de vouloir faire rire les gens, mais pas à n’importe quel prix. Encore une fois, ça ne veut pas dire qu’on ne parle pas de choses de la vie, mais ce qui l’emporte, c’est le rire, qui nous allège tous.
Vous semblez particulièrement attaché au genre buddy movie, le duo comme on le voit encore ici. Qu’est-ce qui vous séduit dans ce genre ?
J’aime filmer la manière dont des âmes solitaires se lient aux autres. Dans la vie, je suis plutôt dans mon coin, j’ai ce problème d’émotivité que j’ai raconté dans LES ÉMOTIFS ANONYMES. Cet état m’a un peu isolé : je ne me rend jamais dans une fête ou une manifestation. Donc dans mes films, j’aime, justement, montrer des solitaires qui trouvent du lien : que ce soit celui de MARIE HEURTIN, l’histoire vraie d’une jeune fille née sourde et aveugle – le comble de l’isolement -, dont une religieuse jouée par Isabelle Carré va aider à communiquer. J’ai beaucoup côtoyé d’enfants sourds et aveugles, il n’y a rien de plus beau que d’utiliser la langue des signes dans la main avec eux. L’être humain me fascine et je l’admire dans son besoin de communication.
Vous infusez aussi des ingrédients propres à la comédie romantique.
Ici tout comme mon précédent film, MARIE-LINE ET SON JUGE où un vieux juge misanthrope que jouait le regretté Michel Blanc, va se lier à une jeune femme un peu perdue et va trouver un sens à sa vie en la guidant – ce chanteur qui n’existait que par ses chansons et son public, veut en finir et justement, va découvrir qu’on peut être aimé pour soi-même et pas uniquement pour ses chansons et sans forcément ce besoin du public et du fait d’être applaudi. Il découvre une certaine humilité aussi. Je sais de quoi ça parle, justement, être aimé pour soi-même et ne pas vouloir toujours être applaudi et surtout être toujours en recherche de ça. Est-ce qu’on m’aime ? Est-ce qu’on aime mes films ?
Victoire lui conseille aussi de sortir de sa bille égocentrée : «Intéressez-vous aux gens, ça ne vous fera pas de mal.»
C’est la grande leçon du film. Il se raconte, il se confie volontiers à elle, mais il ne pose aucune question. Donc, elle, avec son bon sens, il dit: C’est pour ça que vous êtes malheureux, ne vous intéressez pas aux autres. Et petit à petit, il va y arriver. C’est quand même un voyage initiatique et ils vont s’apporter l’un l’autre.
C’est tout à fait un voyage initiatique où il y a aussi beaucoup d’aventures, de rebondissements. J’ai pensé au cinéma de De Broca ou Rappeneau. Est-ce qu’il y a des cinéastes qui vous inspirent ?
Vous citez des cinéastes que j’adore, particulièrement Philippe De Broca. J’aimais chez lui ce mélange de mélancolie, parfois, et de volonté de vivre avec L’HOMME DE RIO ou LES TRIBULATIONS D’UN CHINOIS EN CHINE, . Jusqu’à LE CAVALEUR, le merveilleux film avec Jean Rochefort, où il y a une angoisse qu’avait De Broca face au vieillissement mais aussi de la stagnation. Il fallait aller vite, il faut bouger. Et puis, un film que j’avais très en tête, Marion aussi, à l’écriture, c’était L’EMMERDEUR d’Édouard Molinaro, avec Jacques Brel en suicidaire, qui empêche Lino Ventura en tueur à gage de faire la mission pour laquelle il a été appelé. J’adore ces duos. Egalement LA CHÈVRE, Pierre Richard et Gérard Depardieu qui reste un classique, c’en est un genre : la comédie de caractère, avec deux personnages très opposés qui vont s’apporter des choses.
Avez-vous un petit mot sur la Suisse et la police suisse dont vous vous moquez très gentiment dans le film ?
J’espère que mon regard sur la police suisse est affectueux… En plus, le film n’est pas toujours réaliste. C’est un petit théâtre. Les policiers jouent des policiers. C’est un petit monde, comme sur une scène presque. La réceptionniste, une merveilleuse actrice suisse allemande, Isabelle Menke, est clownesque. J’ai adoré cette troupe d’acteurs suisses qui ont vraiment le sens de la silhouette. Ils n’ont parfois que deux scènes, et c’est le plus dur à faire ! Citons aussi le réceptionniste du Grand hôtel qui est excellent.
Y a-t-il une part d’improvisation dans votre direction d’acteur.ices ? Vous parliez du sens ciné de la comédie chez vos acteurs principaux. Leur laissez-vous pour autant un espace de liberté sur le texte ?
Il n’y a pas d’improvisation. Le film est très écrit grâce au talent de Marion Michaud, avec qui on a écrit le scénario dont les dialogues formidables. Marion a cet art du dialogue, elle fait du théâtre. Les acteurs ont aussi aimé le scénario grâce aux dialogues. Pas d’import donc mais Il y a toujours dans ce cadre-là des inventions. Valérie, notamment, est très forte pour ajouter des petites choses, des sons. À un moment donné, elle cherche son billet dans son sac et elle fait ta, ta, ta, ta. Ce qui n’était pas écrit mais on le garde parce que c’est elle. C’est ça qui fait l’invention de ces acteurs-là. Ce n’est pas juste le dialogue, mais c’est la façon de le dire.
Y a -t-il eu un bon accueil à l’issue des avant-premières, notamment celle de Lyon, votre ville d’origine ?
A Lyon, c’est toujours angoissant pour moi, parce que j’ai des cousins, il y a la famille. Présenter un film à Lyon est en cela important. Ce qui me fait plaisir, c’est que après les neuf avant-première faites jusque-là, je sais que le film fait vraiment rire. C’est important parce que la comédie, ça ne vous loupe pas. Une comédie qui ne fait pas rire, c’est sans pitié. Un drame, on ne sait jamais si les gens s’ennuient ou sont bouleversés à l’intérieur. Je ne regarde jamais mes films avec du public, ça me gêne, mais je reste quand même aux dix premières minutes et je reviens pour les 20 dernières minutes et ça fait vraiment plaisir que les gens rient à ce point. Iil y a aussi quelque chose de la rencontre détonnante entre ces deux-là. C’est comme Pierre Richard et Gérard Depardieu. Vous avez un plan sur Pierre Richard qui fait n’importe quoi. Il suffit d’un plan sur Depardieu qui ne fait rien, et la magie opère. Et là, quand même, le champ contre champ entre Valérie Lemercier et Gérard Darmon fonctionne.
Si vous deviez qualifier AIMONS-NOUS VIVANTS avec trois adjectifs ?
Joyeux, lumineux et galvanisant.
Ça donne envie ! Merci beaucoup Jean-Pierre Améris.
Merci à vous.