Avec peu de mots, mais des images d’autant plus magnifiques, Carmen Jaquier conçoit dans son premier long-métrage «Foudre» un jeu de mystères sur l’émancipation d’une jeune femme dans une société fossilisée. Le cadre plutôt inhabituel d’un village de montagne valaisan des années 1900 est dû à la découverte de journaux intimes de sa grand-mère. Dans l’interview, elle révèle à arttv d’où lui sont venues d’autres inspirations et pourquoi elle a misé sur un visage encore inconnu pour le casting.
Interview Carmen Jaquier | Foudre
Une double découverte : la réalisatrice Carmen Jaquier et son actrice principale Lilith Grasmug
Carmen Jaquier, née en 1985 à Genève, est diplômée des deux écoles de cinéma romandes ECAL à Lausanne et HEAD à Genève. Elle s’est fait connaître pour la première fois en 2011 avec son court-métrage «Le tombeau des filles», pour lequel elle a reçu cette année-là le Pardino d’argento au Festival du film de Locarno. Quatre ans plus tard, elle était à nouveau présente à Locarno en tant que l’un des dix auteurs du très remarqué film collectif «Heimatland». Avec «Foudre», Carmen Jaquier a réalisé son premier long métrage. Il a été présenté en première mondiale au Festival du film de Toronto et le week-end dernier, le film a été acclamé en première européenne dans la compétition des «Nuevos Directores» au Festival de San Sebastián.
Synopsis | Foudre
«Foudre» se déroule dans un village de montagne valaisan aux alentours de 1900, où la protagoniste Elisabeth, âgée de 17 ans, revient après un séjour de cinq ans dans un couvent, car sa famille a besoin d’elle pour travailler dans la petite ferme de montagne après la mort soudaine de sa sœur – au nom évocateur – Innocente. Pour la très croyante Elisabeth, il devient vite évident, dans cette société marquée par un travail acharné et des règles rigides, que la communauté villageoise a quelque chose à cacher concernant les circonstances de la mort de sa sœur. Avec peu de mots et des images d’autant plus magnifiques de sa directrice de la photographie Marine Atlan, Carmen Jaquier crée dans «Foudre» un jeu de mystères sur l’émancipation d’une jeune femme dans une société pétrifiée.
Entretien avec Carmen Jaquier par Geri Krebs
Quel a été le point de départ pour que votre premier long métrage raconte l’histoire d’une femme qui cherche à se libérer des contraintes dans un monde paysan d’il y a plus de cent ans ?
Depuis dix ans, depuis que j’ai terminé ma formation de cinéaste, j’avais envie de réaliser un long métrage de fiction sur quatre jeunes – garçons et filles – qui découvrent ensemble l’amitié et l’amour. Mais à l’époque, je ne savais pas encore sous quelle forme ni dans quel contexte cela devait se dérouler. Quelque temps plus tard, j’ai trouvé dans l’héritage de mon arrière-grand-mère décédée des notes qui m’ont fascinée et électrisée. Mon arrière-grand-mère était une femme très pieuse, voire spirituelle, qui tenait une sorte de journal dans lequel elle consignait les conversations qu’elle avait avec Dieu.
Y avait-il aussi dans ces écrits la partie sexuelle, qui joue un rôle important dans «Foudre» ?
Non, il n’y en avait pas. Mais à cette époque, la sexualité était absolument taboue et passée sous silence. Mais je voudrais ajouter ici que ce ne sont pas seulement ces notes qui m’ont inspiré pour «Foudre». En effet, un peu plus tard, lorsque j’ai commencé à faire des recherches sur cette période pour le scénario, je suis tombé sur deux livres. Le premier est «Theoda», un roman de Corinna Bille (1912-1979) paru en 1944, qui raconte, en se basant sur un cas réel, l’histoire d’un amour passionné jusqu’à sa fin amère. Le deuxième livre était «La poudre de sourire», les notes de la tisserande Marie Métrailler (1901 – 1979) du village d’Evolène.
Pour moi, «Foudre» est un film qui tourne finalement autour du lien entre la spiritualité et la sexualité, culminant dans la phrase clé qu’Elisabeth dit un jour à son premier amant : «Si tu vois Dieu dans mes yeux, tu peux m’embrasser…».
Oui, c’est une partie du film, mais d’un autre côté, avec les photos et les cartes postales de l’époque 1900 que l’on voit au début du film, je voulais faire le lien avec la dure réalité et le dur travail auxquels étaient exposées les femmes à la campagne à cette époque.
Le film est en grande partie porté par l’actrice principale Lilith Grasmug. Comment avez-vous trouvé cette grande actrice ?
Il était important pour moi que le film soit centré sur des jeunes et qu’il présente des visages nouveaux et inconnus. Le casting avec ma directrice de casting Minna Prader a duré presque deux ans et nous n’avions toujours pas d’actrice principale. Dans un deuxième temps, nous avons cherché de jeunes actrices qui avaient déjà joué dans un ou deux films au maximum. C’est ainsi que nous sommes tombés sur Lilith Grasmug, qui a joué en 2018 dans le thriller mystique «Sophia Antipolis» du réalisateur français Virgil Vernier. Dans ce film elle devait marcher beaucoup et la manière comme elle marchait avait pour moi quelques chose de lumineux. Et quand j’ai la vu la premier fois pour une audition j’étais frappée par sa présence et j’ai pensé immédiatement : Elle est ma protagoniste.
Mais avec Sabine Timoteo, vous avez aussi une actrice très connue dans le film ?
Oui, mais Sabine joue un petit rôle en tant que mère d’Elisabeth et d’Innocente. Mais c’est vrai que j’ai pensé à elle dès l’écriture du scénario pour incarner ce personnage de mère d’Elisabeth.
Est-ce que cela a été difficile pour vous de convaincre Sabine Timoteo ?
Non, pas du tout. Sabine est une personne très simple, j’ai eu la chance qu’elle accepte rapidement après que nous lui ayons envoyé le scénario. Sur le plateau, elle a été une actrice très exigeante. Elle est très précise et rigoureuse dans son travail et j’ai pu profiter de son expérience.
«Foudre» est finalement un film qui raconte, avec peu de dialogues mais beaucoup d’images magnifiques, un amour interdit dans un monde alpin archaïque. Il y a 37 ans, Fredi Murer a créé un chef-d’œuvre sur ce terrain artistique avec «Höhenfeuer». Ce film a-t-il été un point de repère pour vous ?
Je suis bien sûr ravie que vous ayez fait cette association, mais je ne veux pas parler pour «Foudre» d’une comparaison avec cette œuvre inaccessible, qui est aussi pour moi la plus grande chose qui existe dans le cinéma suisse.
Vous êtes la compagne de Jan Gassmann – et maintenant, non seulement «Foudre», mais aussi son nouveau film, «99 Moons», sont présentés en première suisse au ZFF. Comment le vivez-vous ?
C’est un grand moment pour Jan comme pour moi, partager nos films respectifs avec le public suisse ! Après toutes ces années de travail et de partage, c’est un moment très fort.