Rencontre avec la comédienne Solène Rigot autour du film BERGERS réalisé par Sophie Deraspe, présenté en avant-premières lors d eta 8e édition des Rencontres 7e Art Lausanne.
La jeune comédienne livre ses impressions sur l’immersion dans le monde rural et l’élevage ovin. Elle témoigne de l’apaisement et de le bienfait intérieur que la vie en montagne proche des brebis procure. Une interview tout en confidences et secrets de tournage.
Solène Rigot | BERGERS
- Publié le 9. avril 2025
«BERGERS nous rappelle que, parfois, c'est en s'éloignant du bruit du monde qu'on retrouve sa propre musique intérieure.»
Qu’est-ce que la transhumance ?
Le mot « transhumance » signifie « conduire au pâturage de montagne ». Il s’agit d’une pratique de transhumance qui consiste à conduire les troupeaux vers d’autres zones de pâturage à certaines périodes de l’année. Elle a lieu dans différentes régions du monde, principalement dans le bassin méditerranéen. La transhumance favorise la biodiversité et symbolise le lien étroit entre l’homme et l’animal. En 2019, elle a été inscrite sur la liste du patrimoine culturel immatériel international de l’UNESCO.
Solène Rigot
Solène Rigot a grandi à Rosny-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis. Enfant, elle a suivi des cours de piano et d’accordéon. À l’École Nationale des Arts du Cirque de Rosny-sous-Bois, elle a appris l’acrobatie, le jonglage, la danse et le monocycle, ce dernier également sur la corde raide. En 2010, une directrice de casting présente par hasard a été tellement impressionnée par les prouesses de Rigot sur la corde qu’elle l’a engagée pour le rôle de Noémie dans LA PERMISSION DE MINUIT de Delphine Gleize. Trois ans plus tard, elle joue Gilda dans LA GRANDE LIBERTE de Jean Denizot et reçoit pour ce second rôle le prix du public au Festival Jean Carmet de Moulins. Au FIFF Namur 2016, elle reçoit, avec trois autres actrices, le prix Bayard du film de la meilleure actrice pour son interprétation de Karine dans ORPHELINE d’Arnaud des Pallières. Solène est également accordéoniste dans le groupe pop-rock alternatif Mr. Dans BERGERS, elle se glisse dans le rôle d’Elise, une bergère, tout comme son homologue masculin Félix-Antoine Duval.
Solène Rigot et Félix-Antoine Duval dans BERGERS
Interview par Djamila Zünd
Nous nous retrouvons ici aux Rencontres 7e Art Lausanne, un événement qui célèbre justement ces moments de rencontre. Dans cet esprit, j’aimerais vous demander : comment avez-vous vécu cette immersion totale dans la nature française pendant le tournage de BERGERS ? Comment s’est faite la rencontre entre vous, la montagne et le monde pastoral ?
Alors, cette immersion, elle s’est faite un peu par étapes. Au début, on a tourné dans la bergerie, surtout les scènes avec Félix (Félix-Antoine Duval), qui joue Matthias l’apprenti berger. C’était déjà un premier contact, mais on était encore… comment dire… dans un environnement un peu contrôlé. Et puis tout a changé quand on est vraiment montés en alpage pour les trois dernières semaines de tournage.
Ce qui est dingue, c’est que notre vraie porte d’entrée dans ce monde-là, ça a été les moutons, en fait. Il a fallu qu’on apprenne à gérer un troupeau, à comprendre comment ils fonctionnent, leur rythme, leur logique. Et franchement, c’est loin, mais alors très loin de l’image un peu romantique qu’on s’en fait ! Moi qui viens de la ville, je découvrais tout, c’était complètement nouveau.
Et puis l’immersion, elle a vraiment pris une autre dimension quand on a rencontré Julien, le berger qui s’occupait du troupeau. Il nous a fait voir la montagne avec d’autres yeux. Il commençait ses journées à 4h du matin et les terminait à 22h, le tout à garder des brebis et à marcher beaucoup. Il était constamment en alerte, mais dans une sorte de tranquillité. Il disait souvent : « Avec les brebis, tu dois être calme si tu veux les conduire en montagne, sinon elles partent dans tous les sens » tout en ajoutant : « Les brebis, c’est comme de l’eau ».
Quand vous êtes touriste, bon, vous suivez les petites flèches, vous faites votre rando, vous regardez le paysage, c’est joli, vous prenez des photos… Mais là, c’était un rapport totalement différent ! Il nous a appris à regarder l’herbe, à voir si elle était bonne pour les bêtes. Et petit à petit, vous commencez à voir des choses que vous ne voyiez pas avant, des nuances dans la végétation, des détails… C’est comme si vos yeux s’ouvraient à un monde invisible pour le commun des mortels. C’est assez fou, en fait !
Et aujourd’hui, si vous vous promenez, sauriez-vous reconnaître une herbe adaptée aux brebis ?
(Rires) Oh là là, non ! C’est un peu parti tout ça. C’était vraiment lié au moment, vous voyez. Mais ce qui est resté, c’est cette façon de regarder que notre berger Julien nous a transmise. C’est comme s’il nous avait ouvert une porte vers son univers. Après, il faut savoir, on reste des comédiens, pas des spécialistes ! D’ailleurs, ce terrain et ces chemins… parfois on devait grimper tout droit dans la montagne, c’était intense ! Et pas que pour nous, comédiens, mais toute l’équipe de tournage !
Ce qui m’amène à la question de la condition physique. Y a-t-il eu une préparation spécifique avant le tournage ou vous êtes-vous simplement adaptés au rythme des personnages ?
Pas vraiment de préparation physique formelle. Moi, je fais pas mal de sport dans ma vie de tous les jours, donc ça allait. Et Félix, lui aussi est super sportif. Donc on a plutôt bien tenu le coup. Honnêtement, c’était plus difficile pour l’équipe technique qui, en plus de marcher, devait transporter tout le matériel en altitude ! En revanche, notre véritable préparation s’est concentrée sur notre rapport aux animaux.
Comment s’est faite cette préparation ? Comme personnage de Matthias dans le film – joué par Félix-Antoine Duval – qui s’immerge complètement, qui bouquine sur les moutons, qui se procure tout l’attirail traditionnel avec la sacoche en cuir en bandoulière ?
J’avoue, j’ai regardé pas mal de documentaires et de films pour me préparer. J’ai notamment découvert un documentaire suisse sur un berger assez bourru qui fait la transhumance en hiver. Je l’ai trouvé par hasard en faisant des recherches. En le regardant, je me suis dit : « Je ne serai jamais aussi rustique que lui », mais ça m’a fait comprendre à quel point ce métier peut être rude.
Ensuite, on a travaillé concrètement dans une bergerie près d’Arles avec une bergère qui s’appelle Véronique. Là, on a vraiment appris ce que c’est de manier un troupeau : comment il se déplace, comment attraper une brebis… Parce qu’une brebis, ce n’est pas un chat ! Ça peut sembler évident pour ceux qui connaissent le monde rural ou la montagne, mais pour moi qui viens de la ville, c’était tout un apprentissage.
Le film présente un contraste saisissant : certains bergers sont très durs avec les bêtes, d’autres extrêmement doux. Comment avez-vous ressenti cette dualité en rencontrant les éleveurs ?
C’est précisément ce que j’admire dans le travail de Sophie, la réalisatrice. Elle ne cherche pas à embellir la réalité. Elle montre cette rudesse sans porter de jugement. Derrière ces comportements se cachent souvent des parcours de vie très difficiles. Parfois, cette rudesse n’est pas un choix conscient, mais la conséquence d’une vie sans alternatives. Pour certains, l’élevage n’est pas une passion, mais une nécessité, le seul emploi accessible. Et malgré cela, ces personnes s’adaptent comme elles peuvent. Le film met en lumière cette réalité avec beaucoup d’humanité.
On perçoit bien cette zone grise, ni complètement noire ni blanche. Mais si un spectateur est touché par tout cela, que peut-il faire concrètement ? Comment s’engager pour soutenir une agriculture plus respectueuse ?
Franchement, je ne me sens pas légitime pour donner des conseils, mais je pense que se rapprocher d’associations représente une bonne démarche. De nombreuses organisations font un travail remarquable. Il y a également le Wwoofing (World-Wide Opportunities on Organic Farms est un réseau mondial de fermes biologiques), par exemple, même si cela reste une expérience un peu idéalisée. Certaines exploitations ne peuvent pas se permettre d’accueillir des bénévoles, même gratuitement. Néanmoins, des lieux comme le Larzac, avec leur riche histoire de luttes agricoles, ou encore des fermes pédagogiques offrent des possibilités d’engagement. L’important est de bien se renseigner au préalable.
C’est vrai que notre vie citadine se prête moins à ce genre d’expériences. Mais parfois, en achetant directement chez les producteurs, même en tant que citadin, on peut vivre des moments uniques, parfois inattendus. Est-ce que, pendant ce tournage, vous avez eu l’occasion de vivre ce type d’expérience un peu insolite ?
Absolument ! Ce tournage-là, c’était dans tous les cas un vrai petit écrin de douceur précieux. Quand je revois des images du film, ça m’émeut tellement ! C’est une expérience que je conserve précieusement, comme un doudou, un souvenir précieux qui vous rappelle que vous l’avez vécu. Parfois, simplement y penser apporte un immense sentiment d’apaisement !
Concernant les expériences insolites, Mathyas Lefebure, l’auteur du livre original, avait créé un petit élevage de moutons… dans un parc à Montréal ! Son objectif était de faire découvrir le pastoralisme en pleine ville. Et à Saint-Denis, d’où je viens, je crois qu’il existe également des éleveurs de brebis. Ma sœur y achète parfois du mouton. De nombreuses initiatives similaires se développent, même en environnement urbain.
Ces ponts entre différents mondes sont magnifiques. Pour terminer, parlons un peu de musique. Elle occupe une place importante dans votre vie. Est-ce que cette connexion à la nature, dans ce film, a éveillé quelque chose de nouveau dans votre rapport au son, voire au silence ?
Oui, absolument ! Le bruit d’un troupeau est presque musical ! Il y a eu un moment particulier pendant la transhumance : 2 500 ou 3 000 brebis traversant un sentier étroit, deux par deux. Cela a duré une demi-heure, mais j’ai perdu toute notion du temps. Le son des sabots sur les cailloux, les bêlements, les marmottes qu’on entend au loin… mais qu’on ne voit jamais. Et ce silence en arrière-plan, ce silence immense de la montagne. C’est hypnotisant ! Voilà un souvenir sonore particulièrement marquant.
Merci à vous Solène Rigot pour ces magnifiques images mentales que vous nous partagez !
Oui, ce film nous rappelle que, parfois, c’est en s’éloignant du bruit du monde qu’on retrouve sa propre musique intérieure. Merci !