Rencontre avec Maria Wróbel, jeune actrice impressionnante dans un rôle viscéral. Invitée au NIFFF pour présenter le film de Julia Kowalski, elle incarne un personnage au cœur d’un cinéma du désir, intense et trouble. L’action se déroule dans une campagne isolée où la tension s’intensifie au rythme des non-dits qui s’accumulent. Maria Wróbel revient sur son expérience de tournage, sa collaboration étroite avec la réalisatrice et l’exigence émotionnelle d’un personnage en pleine métamorphose.
Maria Wróbel | QUE MA VOLONTÉ SOIT FAITE
- Publié le 15. juillet 2025
«Je pense que le plus important, c’est la collaboration avec la réalisatrice Julia Kowalski».
QUE MA VOLONTÉ SOIT FAITE | SYNOPSIS
La jeune Nawojka, qui vit avec son père et ses frères dans la ferme familiale, cache un terrible secret : un pouvoir monstrueux, qu’elle pense hérité de sa défunte mère, s’éveille chaque fois qu’elle éprouve du désir. Lorsque Sandra, une femme libre et sulfureuse originaire du coin, revient au village, Nawojka est fascinée et ses pouvoirs se manifestent sans qu’elle ne puisse plus rien contrôler.
Ce film est présenté à la Quinzaine des Cinéastes au Festival de Cannes 2025.
Pour sa première venue en Suisse, elle découvre un festival à l’atmosphère singulière et chaleureuse, où le cinéma se vit comme une célébration collective.
C’est votre première fois en Suisse, et vous arrivez avec QUE MA VOLONTÉ SOIT FAITE, un film mystérieux et poignant, présenté au NIFFF. Qu’est-ce que cela vous fait d’entrer dans ce festival singulier avec un film aussi brûlant ?
Oui, c’est ma toute première fois en Suisse ! J’ai atterri à Zurich, et je découvre Neuchâtel avec beaucoup de plaisir. C’est une ville magnifique. J’ai eu le temps de me promener un peu cet après-midi. Et j’adore l’ambiance du festival ! C’est très chaleureux, il y a un vrai échange entre artistes du monde entier. Je suis ravie de présenter le film de Julia Kowalski, un film qui a été pour moi une expérience très intense, avec une équipe de tournage de premier ordre.
L’ambiance si particulière du NIFFF, ce rituel d’accueil par le public au début des projections… Est-ce que cela vous a surprise ou touchée ?
J’ai trouvé ça vraiment amusant ! Le public interagit en chœur pendant les publicités, on entend des commentaires et des rires… Ça donne une vraie impression de communauté. C’est très unique comme atmosphère de festival.
Votre personnage, Nawojka, traverse dans QUE MA VOLONTE SOIT FAITE un véritable parcours, à la fois physique, émotionnel, parfois presque initiatique. Comment avez-vous trouvé vos appuis, vos repères, dans toutes ces couches ? Qu’est-ce qui vous a guidée dans ce rôle ?
Je pense que le plus important, c’est la collaboration avec la réalisatrice Julia Kowalski. On travaille très bien ensemble, depuis le court-métrage J’AI VU LE VISAGE DU DIABLE, sorti en 2023. On a construit le personnage de Nawojka en amont, en insistant beaucoup sur la figure maternelle intérieure et sur le conflit entre deux forces : celle, intérieure, de la mère qui représente l’émancipation, et celle extérieure du père qui veut la garder sous contrôle et la traite comme sa petite fille. C’est ce tiraillement qui structure tout. Et pour certaines scènes, comme celles d’exorcisme ou de rêve, j’ai laissé l’intuition me guider. J’ai essayé de ne pas trop réfléchir, de me connecter à mon corps et à mes émotions.
Dans le film, il y a une scène de mariage très marquante, avec une forte référence à THE DEER HUNTER de Michael Cimino. Comment l’avez-vous abordée ?
C’était une idée de Julia Kowalski juste, venue juste avant le tournage de la scène. Elle voulait s’inspirer de THE DEER HUNTER pour montrer les relations entre les personnages à travers la danse. C’est un moment qui dévoile toute la complexité des liens dans la famille de Nawojka, notamment avec ses frères. Ils se moquent souvent d’elle, mais il y a aussi de l’amour, et cette scène permettait de montrer ça sans dialogue.
Dans le film, vous incarnez une relation ambigüe avec le personnage de Sandra, une femme libre et sulfureuse qui retour au village de Nawojka. Comment avez-vous travaillé cette dynamique complexe ?
C’est la première vraie figure féminine qu’elle rencontre. À part sa mère, qui revient dans sa vie, elle a grandi entourée exclusivement d’hommes. Donc quand Sandra arrive au village, c’est un choc. Elle découvre ce que peut être une femme, ce qu’elle peut dégager, ressentir, représenter. Et pour Nawojka, cette énergie-là, ça peut sembler presque diabolique. Parce qu’on lui a appris que le désir féminin, l’énergie des femmes, c’est quelque chose de satanique, de dangereux. Et pourtant, c’est aussi une voie vers la conscience de soi. Dans une interview à Cannes, Roxanne [Mesquida] qui joue le rôle de Sandra, disait d’ailleurs qu’elle avait pris conscience que son personnage n’était peut-être même pas réelle. Qu’elle pouvait être une sorte de projection, une création de l’imaginaire de Nawojka ou de sa famille. Une figure fantasmée qui l’aide à se transformer. En tout cas, Sandra incarne tout ce que Nawojka voudrait être. Mais ce qu’elle voudrait être, c’est justement ce qui est interdit, mal vu, dans l’environnement où elle a grandi. Nawojka se débat donc constamment entre plusieurs chemins possibles, plusieurs identités, sans savoir lequel suivre.
Le film a été tourné en 16 mm, ce qui apporte une texture très particulière à l’image. Comment avez-vous vécu cette expérience, du côté de l’acteur ?
On avait effectué de multiples expérimentations avant le début de la prise de vue, que ce soit en ce qui concerne l’éclairage, les tenues ou les décors, afin que tout soit parfait sur le plan visuel. Ensuite, tout dépendait des scènes : certaines étaient tournées en une ou deux prises, d’autres en beaucoup plus. Julia Kowalski savait exactement ce qu’elle voulait, mais elle aimait aussi tourner différentes versions pour avoir le choix au montage. Le plus compliqué, c’était de tourner en hiver, car les journées sont courtes et on dépend beaucoup de la lumière naturelle pour la pellicule. Il fallait souvent se dépêcher. Et bien sûr, les scènes avec les animaux étaient imprévisibles. On ne peut jamais savoir comment ils vont réagir, donc il fallait s’adapter.
Le film contient plusieurs scènes chargées en émotions. Parmi elles, laquelle vous a le plus marqué, et pourquoi ?
Toute cette aventure, pour moi, c’était vraiment des montagnes russes. Très intense, super excitant, parfois difficile aussi. Mais s’il y a une scène qui m’a vraiment marquée, c’est celle où Nawojka revient dans sa petite salle de prière pour demander pardon à Dieu, après ce qu’elle a fait… Pas de spoiler ! C’est une scène très forte émotionnellement, et en fait, on l’a tournée dès le deuxième ou troisième jour. Je ne m’attendais pas du tout à ce que ça me touche autant. On a fait seulement deux prises. Pour la première, je m’étais bien préparée, très concentrée, vraiment plongée dans le personnage. L’équipe finissait d’installer le décor, et dès qu’on a lancé le tournage, à peine agenouillée, j’ai éclaté en sanglots. J’étais profondément connectée au personnage, et j’ai ressenti une immense tristesse pour ce qu’elle traversait. J’ai pleuré de manière incontrôlable, vraiment un « ugly cry » comme on dit. C’était magique ! Julia Kowalski pleurait derrière la caméra, et même certaines personnes de l’équipe technique ont été bouleversées. Pour moi, c’était une scène déchirante, parce que c’est un moment où Nawojka fait un dernier appel, un dernier espoir d’entendre quelque chose de Dieu… mais il n’y a aucune réponse. Et elle est là, à supplier, en larmes. C’était très dur à vivre émotionnellement. C’est clairement la scène qui m’a le plus bouleversée. Et c’était aussi celle que je redoutais le plus de revoir, parce que j’avais peur de ne pas réussir à retrouver cette émotion, à cause du stress ressenti dans la scène. Après, il y a aussi d’autres scènes très marquantes. Par exemple, la scène du viol à la fin, que je trouve vraiment puissante dans le film. Mais c’est surtout Roxanne, Jean-Baptiste et Raphaël, les autres acteurs qui étaient au cœur de cette séquence. Eux ont dit qu’ils s’étaient beaucoup amusés pendant le tournage, et c’est vrai que, malgré ce qu’on voit à l’écran, l’ambiance sur le plateau était géniale. On formait une équipe hyper soudée, très bienveillante, tout le monde se sentait en sécurité. On a beaucoup ri, même pendant les scènes les plus dures.
Au-delà des scènes chargées d’émotion, y a-t-il eu des moments techniquement particulièrement difficiles à tourner pour vous ?
Les scènes du rituel étaient un peu plus compliquées sur le plan technique. À un moment, il fallait que je vise une fausse peau de vache tendue sur une sorte de structure, avec une poche de faux sang en dessous, et que je réussisse à la percer au bon endroit avec un couteau. Pas simple, comme situation ! Mais à part ça, j’étais plutôt à l’aise, parce qu’avant le tournage, j’ai passé presque une semaine dans une ferme pour apprendre à vivre avec les animaux, comprendre leurs gestes, leurs comportements. Ça m’a beaucoup aidée, j’étais un peu la « référente » sur le plateau pour tout ce qui concernait les vaches. Les scènes d’exorcisme étaient également très intenses, mais d’une autre manière. Ce sont des moments où je lâchais complètement prise, où je jouais presque à l’instinct, sans trop réfléchir. C’était une expérience très libératrice pour moi.
Pour finir, un dernier mot que vous aimeriez partager avec le public ?
Ce tournage a été une expérience très intense, mais aussi incroyablement enrichissante. Je suis très reconnaissante d’avoir pu faire partie de ce projet.