Le grand cinéaste japonais Kore-Eda frappe encore très fort avec ce film sensible sur deux collégiens et leur manière de résister face au monde des adultes et à leur injonctions. D’une inventivité narrative puissante.
L'INNOCENCE (MONSTER)
Seizième long-métrage du cinéaste japonais Hirokazu Kore-eda, récipiendaire du prix du meilleur scénario au festival de Cannes 2023. Bouleversant.
L’INNOCENCE | Synopsis
Le comportement du jeune Minato est de plus en plus étrange. Sa mère, qui l’élève seule, décide de confronter l’équipe éducative de l’école car tout semble désigner le professeur de Minato comme responsable de ses problèmes. Mais au fur et à mesure que l’histoire se déroule à travers les yeux de la mère, du professeur et de l’enfant, la vérité se révèle bien plus complexe et nuancée que ce que chacun avait anticipé au départ. Qui est réellement le monstre que tout le monde décrit ?
L’INNOCENCE | Autres avis
«Hirokazu Kore-Eda raconte les mystères de l’enfance comme un suspense policier, dans un film à la structure alambiquée, mais qui finit par bouleverser.» – Première | L’INNOCENCE, bien nommé MONSTER en japonais, interroge la complexité de l’enfance comme le système social nippon avec une distante ironie, offrant également des respirations végétales d’une grande beauté visuelle. – Rolling Stone | «Au-delà de l’argument dénonçant l’intolérance institutionnelle, ce qui émerveille de bout en bout, c’est l’absolue maîtrise d’un metteur en scène au sommet de sa puissance expressive.» – Transfuge
Kore-Eda Hirokazu convoque dans son 16ème film une des œuvres les plus marquantes du cinéma japonais : RASHÔMON d’Akira Kurosawa, premier film dont la narration fait appel à des flashbacks. Ici, la pluralité des points de vue permet de questionner les étranges agissements d’un jeune garçon. Le film se structure ainsi en trois parties : le point de vue de la mère du jeune protagoniste Minato, celui de son professeur M. Hori et celui de Minato lui-même.
Critique par Ondine Perier
Voici le point de départ : Minato, élève de onze ans dénonce le comportement de son professeur à sa mère qui convoque le professeur et la directrice de l’établissement. Elle se retrouve face à plusieurs professeurs qui prennent la parole à la place du jeune Monsieur Hori, fraîchement embauché et surtout face à une directrice pour le moins mutique. L’indolence de la directrice exaspère Saori, elle exige avec véhémence – et on la comprend totalement – excuse et réparation de la part de M. Hori envers son fils. Ce dernier aurait subi des actes de violence verbale et physique perpétrés par ce professeur qui semble pour le moins déstabilisé et fébrile…
Des personnages nuancés et complexes
Minato est un jeune garçon énigmatique, nonchalant qui apparaît à l’écran comme un enfant étrange et triste, le décès de son père quelques années auparavant semble expliquer sa peine. Sa mère Saori force l’admiration : dynamique, volontaire, positive, très attentionnée et inquiète pour son fils. Elle est formidablement incarnée par l’actrice Sakura Ando – déjà vue dans un précédent film du cinéaste UNE HISTOIRE DE FAMILLE où elle jouait la mère par substitution avec tout autant d’énergie. Son professeur Monsieur Hori apparaît lui très curieux, puis joyeux, attentif à ses élèves, affectueux avec son amoureuse. La directrice de l’école nous est montrée comme apathique, dépressive, ayant vécu un drame terrible, très froide. Enfin, le camarade de Minato, Yori est un enfant solaire, toujours souriant, indépendant dans le sens où il fait fi des réflexions des autres. Il est en effet le bouc émissaire des autres élèves de sa classe.
Tous ces personnages interagissent à différents niveaux suivant les parties du film. Ainsi leur complexité et leurs nuances sont dévoilées au fil de l’eau sans que ce ne soit jamais ni attendu ni artificiel et c’est là le grand talent de narration du maître japonais : il tisse des relations entre chacun subtilement et rend compte de leur évolution grâce à leurs prises de conscience et des flashbacks savamment distillés. On entre ainsi avec douceur en empathie avec cette petite communauté. L’antagoniste – le vrai monstre – rôde et contraint mais la sincérité des sentiments et la bienveillance forment un rempart solide à la cruauté.
«Être heureux n’est pas réservé à certains, c’est à la portée de tous.»
Cette phrase énoncée par la directrice au jeune Minato est d’une grande puissance libératrice. Par cette chronique adolescente, Kore-eda évoque des thèmes propres à l’enfance que sont l’éclosion de sentiments, la peur d’être rejeté par ses camarades ou ses parents, la culpabilité et enfin l’innocence ou comment trouver un refuge pour la conserver malgré les vicissitudes extérieures.
Ce refuge se caractérise tantôt par leur espace propre en milieu naturel, un recours au jeu d’enfants, à la beauté de la nature. Soulignons aussi la musique saisissante du film. Ainsi les sons de cuivres poussifs et tonitruants s’élèvent lorsque le danger plane. La partition mélodieuse finale, qui clôt la sublime bande-originale du regretté Ryuichi Sakamoto décédé en mars dernier, finit de nous bouleverser. Le titre du film prend tout son sens lors des derniers plans d’une beauté à couper le souffle.
Pour conclure, L’INNOCENCE ne déroge pas à la règle des films de Kore-eda sur l’enfance : il bouleverse et fait prendre conscience de la fragilité et de la préciosité de l’éclosion des sentiments à cette période qu’est le tout début de la puberté. Si on pense à ses films précédents sur les ravages de parents malveillants, on fait très vite le lien avec un autre film très sensible : celui de Lukas Dhont – CLOSE – sur le harcèlement et l’intolérance dans un groupe d’enfants et leurs effets délétères. La structure narrative de L’INNOCENCE en fait un film tout à fait singulier. Une merveilleuse expérience de cinéma doublée d’une réflexion sur l’enfance et ses tourments.