Emma Benestan livre un film au propos émancipateur, situé à la frontière du western et du cinéma de genre. Elle offre un rôle puissant à son actrice fétiche Oulaya Amamra avec qui elle collabore pour la troisième fois. La comédienne, venue présenter son film à Neuchâtel pour l’ouverture du NIFFF nous a confié ses secrets de préparation pour incarner Nejma, rôle de femme forte qu’elle campe avec une grande intensité.
Interview Oulaya Amamra | ANIMALE
«Le taureau est un animal qui fait peur mais contre toute attente, j'ai rencontré partenaire de jeu d'une sensibilité incroyable. »
ANIMALE | SYNOPSIS
Nejma (Oulaya Amamra), 22 ans, travaille dans une manade et s’entraîne afin de remporter la prochaine course camarguaise : une compétition sans mise à mort qui consiste à affronter un taureau dans l’arène pour lui retirer des attributs placés sur ses cornes. Tandis que la jeune femme lutte pour tenir sa place dans cet environnement empreint de machisme, de mystérieuses morts, attribuées à une bête sauvage, éveillent les craintes de la population.
Oulaya Amamra, née le 12 novembre 1996 à Viry-Châtillon (Essonne), est une actrice française d’origine marocaine, de par sa mère de Casablanca et algérienne de par son père. En 2017, elle reçoit le César du meilleur espoir féminin pour DIVINES, réalisé par sa sœur, Houda Benyamina. Parallèlement, elle est reçue au concours du Conservatoire d’art dramatique de Paris.
Interview d’Ondine Perier
Il s’agit de votre troisième collaboration avec la réalisatrice Emma Benestan, comment s’est passée votre rencontre ?
C’est vraiment une rencontre formatrice comme un coup de foudre artistique mutuel… J’ai tellement d’admiration pour son travail. Nous nous sommes rencontrées lors du casting de son premier court-métrage. J’ai écrit et réalisé un court métrage quand j’avais 15 ans, elle l’a vu et le film lui a donné l’envie de me faire passer des essais et l’alchimie entre nous a tout de suite opérée ! Nous sommes devenues très proches dans la vie aussi et c’est toujours un plaisir de tourner avec elle !
Quelle a été votre réaction à la lecture du script ?
J’étais d’abord très excitée et aussi très curieuse car ce monde-là m’était totalement étranger. Je ne connaissais pas la course camarguaise qui est vraiment différente de la corrida puisqu’il n’y a pas de mise à mort de l’animal. Le taureau est un animal qui fait peur. Dans mon souvenir d’enfance, je l’ai souvent assimilé à la puissance, la virilité mais jamais la douceur. Contre toute attente, j’ai rencontré un partenaire de jeu avec une sensibilité incroyable. Et il y avait un aspect un peu magique sur le tournage quand ils étaient là, puisqu’on était tributaires d’eux, comme de la nature d’ailleurs, avec les moustiques, les flamands roses. La Camargue, c’est vraiment comme un microcosme où les animaux ont repris le contrôle sur la vie. C’était magique, vraiment.
Vous avez eu une préparation assez longue pour te familiariser avec l’environnement, pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
J’ai eu la chance d’avoir comme partenaires de jeu des acteurs qui étaient aussi raseteurs camarguais, dont le métier est aussi de s’occuper des taureaux. Ils m’ont aidée à entrer dans ce monde-là. Je me suis rendue sur place trois mois avant le tournage pour prendre des cours de raset, pour courir et sauter la barrière, j’ai eu un prof de saut – Tito Sánchez.Ils m’ont enseigné aussi leur langage.
Nejma prend toute la violence du taureau en elle pour se venger. Comment l’avez-vous ressenti ?
J’ai totalement ressenti cette rage. Le taureau dégage une aura : il vous regarde dans les yeux et il transmet cette puissance qui m’a aidée à la trouver. Et après, effectivement, le cheval blanc qui, lui, est là pour écouter Nedjma et pour voir si tout va bien, la protéger. C’était vraiment le cas. On ne peut pas vraiment fabriquer ces scènes. Elles sedérouent là et la caméra capte ces instants magiques. Le plus beau, c’est que Nedjma transforme cette rage, en un mouvement, un cri à la fin qui n’est pas un cri qui n’est pas un cri de peur mais un cri de puissance, de rage pour dire qu’elle est là et que la peur va et doit changer de camp.
Il ressort l’idée que vivre un trauma aussi violent dans une vie, peut d’une certaine manière, donner tellement de rage, qu’il permet de se transcender. Qu’auriez-vous envie que les spectateurs se disent à la sortie du film ?
J’aimerais qu’ils puissent crier avec Nejma, qu’ils puissent se dire qu’ils ne sont pas tout seuls et qu’on les croit et qu’on a besoin aussi de figures masculines aujourd’hui, comme son meilleur ami Tony (joué par l’acteur Damien Rebattel) qui disent : Je te crois.
Quel a été, pour vous, le plus gros challenge du tournage ?
Le moment de la transformation. Et ça, c’était vraiment jouissif parce que ce n’est pas commun, on n’a pas souvent la possibilité de revêtir quelque chose qui recouvre tout son corps. Je n’avais presque plus aucune partie humaine ; j’ai ainsi ressenti le sentiment de solitude et d’isolement de Nedjma, accentué par le fait que même certains membres de l’équipe du tournage chuchotaient, me regardaient un peu comme un monstre. Je me sentais en dehors de mon corps. C’était très déstabilisant, mais assez jouissif dans l’exercice.
ANIMALE m’beaucoup fait penser à L’ÉTÉ MEURTRIER et évidemment au RÈGNE ANIMAL.
Je comprends complètement, c’est d’ailleurs l’Atelier 69 (qui a travaillé sur les costumes du RÈGNE ANIMAL) qui se sont occupés des masques pour ANIMALE. Personnellement, j’ai adoré ce film de même que L’ÉTÉ MEURTRIER qui est je trouve une très belle référence de revenge movie effectivement. Je dirais qu’ANIMALE utilise en plus certains codes du film fantastique qui servent le propos. Je trouve important de détourner un peu la réalité et l’aspect social propre à ce récit par le biais du cinéma. Je trouve les plans de Ruben Impens, le chef-opérateur, qui a fait également les images de GRAVE et TITANE de Julia Ducorneau. Il a amené un aspect tellement grand et je trouve important de montrer des films de cette ampleur et cette ambition.
La réalisatrice semble jouer avec les codes en vous proposant ce rôle de raseteur camarguais pour commencer.
Emma aime beaucoup jouer avec les codes, Emma. C’était déjà le cas de FRAGILE, comédie romantique vue par le prisme de la fragilité masculine. Ici on parle d’une surpuissance féminine avec Nedjma. Dans les westerns, moi, je n’avais jamais eu d’identification comme ça, en tout cas avec une personne racisée, femme, dans un milieu d’homme qui est l’actrice de l’histoire. C’est intéressant et important, je crois.
Cela ne vous a pas dérangé pas que cette force féminine soit montrée à travers cette noirceur, justement ?
Non, parce que quand on parle de fantastique, ça reste du cinéma et on a le droit de se permettre des choses. Lorsque j’ai travaillé avec Quentin Dupieux (dans FUMER FAIT TOUSSER ndlr), le récit va dans l’absurde et dans le côté noir, avec beaucoup d’ironie. Je trouve qu’on peut se permettre beaucoup à partir du moment où on détourne la réalité. Mon envie de faire du cinéma et de voir des films résident principalement par cette distance avec la réalité et dans ce sens oui, la noirceur peut aussi être un prisme.