Comédie jubilatoire menée par un trio d’acteurs savoureux : Noémie Merlant, Jonathan Cohen et Pio Marmaï sans oublier les seconds rôles au diapason, Grégoire Leprince-Ringuet en tête.
Interview Olivier Nakache & Eric Toledano | UNE ANNÉE DIFFICILE
UNE ANNÉE DIFFICILE | Synopsis
Albert et Bruno sont surendettés et en bout de course, c’est dans le chemin associatif qu’ils empruntent ensemble qu’ils croisent des jeunes militants écolos. Plus attirés par la bière et les chips gratuites que par leurs arguments, ils vont peu à peu intégrer le mouvement sans conviction…
Interview par Ondine Perier
Tout d’abord bravo pour cette comédie très réussie que je qualifierais de comédie écologico-romantique avec une thématique très ancrée dans l’air du temps qui est l’engagement actif pour la planète et la force du collectif. Quel a été le point de départ d’UNE ANNEE DIFFICILE ?
Et bien le point de départ, c’est cette scène d’ouverture que vous avez vu dans le film, c’est- à- dire cette opposition presque mécanique et clivée entre deux façons de voir l’existence. Celle qui dit « Tu ne peux plus continuer comme ça. » et l’autre qui répond « Range ta chambre et ne me dis pas comment je dois vivre. » Quand on a vu ça, on s’est dit « C’est une photographie de l’époque, il faudrait la développer, il faudrait l’accompagner, il faudrait lui trouver des paradoxes et des problèmes parce qu’on ne va pas y arriver. Si on commence à se mettre sur la tronche comme ça, on ne va pas y arriver. » Donc, on s’est mis à enquêter sur le profil de celui qui était à gauche, le profil que c’était celui qui était à droite, et on a essayé de déconstruire les deux points de vue. Et en fait, on a trouvé plein de points communs. Le mantra, le fait de dire qu’il faut consommer que si on en a vraiment besoin, les appartements vides par nécessité ou par idéologie. Et on s’est amusé à construire une comédie à l’italienne sur ces sujets qui nous préoccupent et qui nous angoissent. Voilà le point de départ.
Comme pour vos précédents films, ici vous êtes-vous immergés dans un collectif activiste et de victimes de surendettement ? Est-ce par exemple le fruit d’une investigation de nommer les membres du groupe par des surnoms un peu ridicules (Poussin, Couscous et Cactus) d’un côté et le mantra répété par Mathieu Amalric (“en ai-je besoin?”, “en ai-je vraiment besoin ?”, “en ai-je vraiment besoin maintenant ?”) ?
C’est le fruit d’un travail d’investigation. On a enquêté à la fois dans des associations, ce qu’on appelle des aides pour les surendettés, des ateliers d’éducation budgétaire et à la fois dans des mouvements comme Extinction Rébellion, on les a infiltrés. Ils savaient qui on était. Mais tout ce qu’on voit dans le film, c’est véridique, ils ont des pseudo car on ne donne pas son nom pour ne pas subir de jugement, ni social, ni culturel, ni ethnique. Tous les pseudosdu film – à part Lexo -, sont des pseudos qu’on a entendus. Et toutes les actions que vous voyez, elles ont existé et on leur a même demandé de participer au tournage. Du coup, ça a forcément nourri notre scénario, nos dialogues, nos personnages. On ne pouvait pas parler de ces collectifs sans les côtoyés de près.
On note une grande Importance accordée groupe qui sert de toile de fond de la plupart de vos films ? Est-ce pour vous une des motivations pour raconter une histoire qui semble refléter le dicton «Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin.»
Très bonne citation de Steve Jobs. Nous, on pense que de toute façon, dans tous nos films, on est un groupe tous les deux. On est né dans un groupe, dans des mouvements de jeunesse. On est très associatifs, on a été bénévoles. On pense profondément que la société civile peut changer le monde. Il y a les politiques qui font leur travail, mais la société civile peut changer les choses et on le voit au quotidien. Il y a 11 millions de bénévoles en France, ce qui est énorme. Donc oui, on pense forcément que c’est bien de mélanger les différences. Je vais te donner une autre citation, c’est Heraclite, un jeune philosophe de 2001, qui a dit « L’harmonie naît des différences. » Et c’est vrai, l’harmonie naît des différences, c’est sûr et certain. Donc nous, on s’y sent bien. C’est pour ça qu’on a du mal à faire autrement… Pour «Intouchables», il n’y avait pas de groupe, l’histoire tournait autour de deux personnages, mais on a du mal, on se sent bien avec le groupe, comme dans «Le sens de la fête» ou «Nos jours heureux».
Votre casting est juste exceptionnel, les trois protagonistes bien sûr, en second rôle et antagoniste Grégoire Leprince-Ringuet joue formidablement le collègue jaloux et mesquin, je me suis demandée si vous vous nourrissiez de certains films d’auteur comme «Gloria Mundi» de Guédigian pour penser à lui ?
Grégoire est un grand acteur de théâtre. On voit beaucoup de films, donc c’est sûr que de temps en temps, on en repère, et on se nourrit tous les uns des autres. C’est comme ça que ça marche. Mais oui, tout à fait, il est super d’ailleurs dans les films de Guédigian. C’est un acteur dingue. Ce qu’on aime, c’est le mélange : Grégoire, Noémie Merland, Pio Marmaille, Jonathan Cohen, Mathieu Amalric… Dans tous nos films, on essaye de faire ça parce que déjà, on est des spectateurs. Moi, je vais au cinéma, j’aime bien qu’on me propose un casting que je n’ai pas vu 75 fois. J’aime découvrir ces zones de frottement- là. Jonathan, il a son identité, Noémie encore plus. Mathieu Amalric, il vient d’un certain cinéma d’auteur et on aime mélanger. Notre métier, c’est que la mayonnaise prenne, pas qu’elle retombe.
Le phrasé singulier et reconnaissable de Jonathan Cohen, C’est «border agression» : était-ce dans le texte ou une totale improvisation ?
Quand on va chercher des acteurs, c’est qu’on les aime totalement. Après, on crée des personnages, donc il faut que les acteurs, ils rentrent dans le personnage. Mais quand on a une Ferrari comme Jonathan Cohen, c’est sûr que de temps en temps, on va l’autoriser à sortir du cadre. On ne va pas se priver de sa nature. Il y a le personnage qui est là, l’acteur qui est là et ça se rejoint. De temps en temps, c’est vraiment le personnage, on l’emmène quelque part, mais de temps en temps, la nature du comédien, elle ressort. Et là, quand il dit « c’est border agressions », c’est sûr que c’est un truc qui est sorti naturellement et puis nous, on le garde parce que ça ponctue très bien la scène. On joue avec la nature des comédiens.
Est-ce difficile de se concentrer avec Jonathan Cohen et Pio Marmaï sur un plateau ?
Ça peut être difficile. On peut ressembler à des maîtres d’école, prendre de temps en temps à dire « on arrête deux minutes. » Des fois, on les a laissés rire. Ça nous faisait rire. Ça leur faisait du bien. Oui, ils sont pas toujours très concentrés, mais on peut reposer lors des scènes avec Mathieu Amalric par exemple.
UNE ANNEE DIFFICILIE est votre 8ème film ensemble, est-ce que votre processus de co-écriture et coréalisation a évolué depuis vos 1ers films ? L’un a-t-il développé plus de compétence dans un domaine ?
Il y a des choses qui se sont affinées. Sur la structure, il y a des choses sur la forme, sur lesquelles Olivier est peut- être parfois plus attaché à trouver des formes dans les scénarios. Moi, je suis peut-être plus attaché à essayer de trouver du sens dans toutes les scènes, de les relier. Mais au global, c’est le même niveau d’échange. Comme le duo fonctionne depuis longtemps, c’est surtout parce qu’on ne sait pas qui fait quoi. Si on commençait à comptabiliser, ce ne serait plus un duo, ce serait un bureau de comptabilité. Le duo, c’est de continuer à être égalitaire dans ce que chacun apporte, mais ça peut bouger. On n’a pas vraiment de spécificité.
Avez-vous recours au script-doctoring «jeune génération» pour affiner vos dialogues par exemple ?
Non et pour une raison très simple, c’est qu’on est très jeunes (rires).
Ce que je veux dire, c’est qu’on s’est rencontrés dans un monde où on était enfant. Je pense pas vraiment qu’on soit sortis de ce monde-là. Je me vois mal aller demander à emprunter à d’autres gens leurs regards, même en espérant pas avoir un regard de vieux et je pense qu’il faut qu’on reste quand même très sincère dans qui on est et ce qu’on a envie de raconter. Il suffit de passer du temps avec les jeunes pour adapter et leur dire «Dis cette phrase avec tes mots » plutôt qu’avec le dialogue qu’on t’a écrit.» Ce qui nous est arrivé avec «Nos jours heureux», d’avoir à juste écouter les gens et à pas être arcbouté sur nos dialogues.
Avec EN THERAPIE, vous vous êtes emparé du format seriel avec brio sur des thèmes lourds en abordant différents traumas, dans quelle mesure retrouver le ton de la comédie vous anime et on imagine vous procure de la légèreté ? Est-ce pour vous une sorte de thérapie ?
Oui c’est vraiment l’idée de la liberté du mode d’expression, que ça soit par le côté dramaturgie, dramatique ou par le côté comique, c’est quelque chose qui nous tient très, très à cœur. On a envie de pouvoir être libre. «En thérapie», il n’y avait pas de vocation comique, mais ça avait une vocation de sens évident. Et là, on avait vraiment besoin de comédie. Parce qu’il y a des périodes où l’angoisse, la tristesse et la comédie cohabitent. Je veux dire, les gens qui font de la comédie sont souvent des gens qui ont une certaine pudeur à cacher leurs tristesses ; ils en font des caisses pour faire oublier la tragédie du monde. C’est un peu paradoxal, mais quand on ne va pas bien, on a plus besoin de la comédie. C’est une phrase connue de Billy Wilder : «Quand vous êtes très mal, faites une comédie.» C’est vrai, il y a quelque chose de… thérapeutique, de nier la réalité et la difficulté des choses en s’en amusant, en dédramatisant les situations. Et la comédie fait partie de notre point de rencontre. Et ça nous plaît quand même de faire rire les gens. C’est très physique. Dans les salles, on entend les réactions. On est certains que personne ne dort.
Enfin espérez-vous que votre film qui véhicule l’air de rien un message très fort sur l’urgence climatique pousse à l’engagement chez les jeunes ?
On serait très heureux que ça pousse au débat. Déjà, lors des avant-premières, on voit dans les salles des jeunes venus avec leurs parents et ils en discutent après la projection. Cette idée que le débat aurait lieu après le film et pas forcément pendant le film, puisque c’est un moment de plaisir et de rire et de divertissement, mais que derrière, il y ait un débat, ça nous plairait beaucoup. C’est déjà arrivé dans le passé sur certains films, ça nous plairait que ça arrive à nouveau