«Le parcours de ces deux soeurs est quand même incroyable !» Rencontre avec Marie-Castille Mention-Schaar à propos de son dernier film «Divertimento» sur l’histoire des deux sœurs musiciennes Zahia Ziouani (chef d’orchestre) et Fettouma Ziouani (violoncelliste) interprétées par Oulaya Amara et Lina El Rabi.
Interview Marie-Castille Mention Schaar | Divertimento
Deux soeurs issues de l'immigration, passionnées de musique classique, vont réaliser leur rêve de fonder un orchestre et une académie.
Divertimento | Synopsis
À 17 ans, Zahia Ziouani rêve de devenir cheffe d’orchestre et sa sœur jumelle, Fettouma, violoncelliste professionnelle. Bercées depuis leur plus tendre enfance par la musique classique, elles souhaitent à leur tour la rendre accessible à toutes et tous. Avec détermination, passion et courage, elles se lancent dans un incroyable projet : créer leur propre orchestre «Divertimento». Mais peut-on nourrir de telles ambitions en 1995 quand on est une femme, d’origine algérienne, et qu’on vient de Seine-Saint-Denis ?
Interview par Ondine Perier
D’où vous est venu l’inspiration de raconter cette histoire ?
Pour ce film c’est la première fois où ce sont des producteurs qui sont venus me proposer un sujet, normalement je produis tous mes films. Ils m’ont dit «Écoute, on a un sujet qui devrait te plaire par rapport aux sujets que tu aimes traiter». Un premier scénario avait été écrit, je l’ai lu. J’ai découvert cette femme, Zahia Ziouani, j’ai lu son livre qui m’a beaucoup intéressée parce que ces deux soeurs ont un parcours incroyable. Je voulais faire comme je fais d’habitude, c’est à dire retravailler complètement le scénario qui sera basé sur le temps passé avec Zahia et Fettouma. Ainsi j’ai passé beaucoup de temps avec elles et leur ai posé beaucoup de questions en essayant de comprendre tout leur parcours, et j’ai réécrit le scénario basé sur ce travail là.
Y a t il des éléments fictionnels dans le film et si oui, est-ce que vous attendiez une sorte de validation des deux sœurs ?
Non, parce que tout ce qui est de l’ordre de la fiction, c’est vraiment quelque chose qui aurait pu se passer ou qui s’est passé plus tard. Le scénario que j’ai reçu était plus basé sur leur parcours personnel pour devenir chef d’orchestre et violoncelliste. Alors que ce que j’ai découvert en leur parlant, c’était leur mission de transmettre la musique et permettre à d’autres qui n’avaient pas l’opportunité d’accéder non seulement à la musique symphonique classique, mais aussi à la pratique d’un instrument. Il y avait donc énormément de choses qu’elles m’ont racontées qui se sont passées après la période traitée dans le film, mais que j’ai ajoutées parce que je trouvais que ça leur correspondait tout à fait et que c’était presque l’aspect le plus intéressant dans leur parcours : d’aller vers les autres, de transmettre.
La force de la sororité est aussi très bien représentée dans votre film, était-ce un exercice difficile de faire exister la sœur aux côtés de la cheffe d’orchestre, très charismatique ?
C’était en tout cas une des une des exigences que j’avais par rapport à moi même et au film. C’est vrai que quand on est chef d’orchestre, on est toujours en avant et que forcément, quand on est instrumentiste, on est plus dans l’ombre. Je tenais à ce que les deux soient dans la lumière, presque à égalité.
Les duos fonctionnent très bien que ce soit les deux sœurs ou l’exigeant maestro roumain Sergiu Celibidache (interprété formidablement par Niels Arestrup) et l’élève, comment avez-vous procédé pour le casting ? Avez-vous pensé tout de suite à Oulaya ?
Oulaya, je l’avais découverte comme beaucoup dans «Divines» et elle était rentrée dans ma liste des interprètes avec qui j’aimerais travailler un jour. Quand l’idée de «Divertimento» est arrivée, c’était évident que le rôle était pour elle. Et il se trouve que un de ses films cultes, quand elle était adolescente, est mon premier film («Ma première fois»), qu’elle a vu cinq fois ! La rencontre était forcément très chouette. Lina El Rabi faisait partie des comédiennes que j’avais répertoriées pour le rôle de Fettouma, je l’avais trouvée super dans «Noces». Quand elle m’a dit qu’elle jouait du violon dans la vie, je me suis dit que c’était un grand plus car je voulais que tous les musiciens et musiciennes soient crédibles. Pour ce qui est de Niels Arestrup, c’était une évidence !
Quelle a été la plus grande complexité pendant le tournage ?
Les scènes de musique car je voulais tout tourner en direct. J’ai eu beaucoup de résistance au départ de la part de l’ingénieur du son parce que c’était un vrai défi, mais pour moi, il était capital que le public ressente la musique intensément. L’énergie de la musique vient d’un tournage en direct. Sachant que je n’avais qu’à peine huit semaines de tournage, la préparation a été très intense ; c’est pour ça que le casting des musiciens était primordial et que j’ai passé beaucoup de temps à les recruter à l’École de musique. Je recevais des centaines de vidéos que je regardais et classais instrument par instrument, ça a été très long.
Et comment s’est porté votre choix des morceaux ?
Certains étaient évidents, comme la Danse Bacchanale qui une œuvre très symbolique de l’orchestre Divertimento. Ce qui était très important pour moi, c’est que le public qui n’écoute pas forcément de musique classique, s’il vient par curiosité pour l’histoire, soit emporté par la musique. Il s’agissait donc de choisir des œuvres qui pour moi, en tant que spectatrice et en tant que musicienne, soient des œuvres qui fédérèrent et procurent de l’émotion.
Et que ce soit familier comme le Boléro de Ravel.
Oui totalement, des œuvres très universelles et très accessibles. Mon choix était vraiment basé sur ces critères.
Avez-vous personnellement des affinités avec la musique symphonique ?
Ma grand mère était violoniste, une grande prodige, professeur de piano et de violon, c’est elle qui m’a appris le piano. Mon père était un grand pianiste et compositeur de musique de films, il a été chef d’orchestre aussi. On entend sa musique dans le film d’ailleurs. Et j’allais écouter des concerts presque tous les dimanches avec ma grand-mère.
Cela a dû grandement vous aider, cette connaissance de la musique classique.
Oui, c’est sûr que j’ai une oreille un peu musicienne.
Le père joue un rôle primordial dans leur parcours, il encourage ses filles à s’intégrer et à être les meilleures ?
Oui, même si, lorsqu’il leur interdit de parler arable, ce n’était pas tant un problème ou une envie d’intégration, cela venait d’un conseil du pédiatre qui jugeait déstabilisant pour les enfants d’apprendre deux langues en même temps. Et puis les parents avaient soif de culture, mais de toutes les cultures ; le père est cet homme, arrivé d’Algérie, sans être allé à l’école, qui savait à peine lire, mais avait envie d’apprendre, il avait cette curiosité. Ce n’est pas tant quelque chose de l’ordre de l’intégration, c’est vraiment juste être un citoyen du monde et d’avoir envie de connaître la culture non seulement du pays dans lequel on vit, mais toutes les musiques et surtout de s’autoriser à s’y intéresser. Alors même qu’il n’écoutait jamais de musique classique quand il était enfant en Algérie, il n’a jamais pratiqué la musique, mais il ne voulait rien s’interdire ; et ainsi permettre à ses enfants d’être ouvert sur tout. Par exemple quand la famille allait pique-niquer, il n’emmenait pas ses enfants dans le parc d’à côté ; il les emmenait près du château de Versailles pour qu’ils voient le château et échangent sur l’histoire de Louis XIV. Il n’avait pas les moyens de payer l’entrée du château, mais il y avait quand même ce regard, cette ouverture, cette curiosité ; et cela change tout dans l’éducation d’un enfant.
Il y a un côté misogyne du milieu qu’on ressent bien dans le film. Est ce que est ce que Divertimento a fait évoluer un peu les mœurs sur ce point ?
Oui surtout sur le thème de la diversité : aujourd’hui il y a plusieurs programmes proposées via l’ académie de Divertimento, mais aussi d’autres programmes nationaux où des enfants qui au départ n’ont pas accès à la musique classique, la découvre à travers des écoles et des associations, etc. Quant à la parité chez les instrumentistes, elle a quand même évolué par rapport à l’époque où je regardais des concerts avec ma grand mère, comme celui du Nouvel-An à Vienne – dont j’ai mis des images dans le film – où il n’y avait que des hommes blancs. Il y a beaucoup plus de femmes dans les orchestres, c’est même quasiment paritaire. Maintenant, au niveau des chefs d’orchestre, il n’y a que 4% de femmes qui occupent ce poste aujourd’hui en France et 6 % dans le monde.
Les rapports de classes sont assez frontaux, mais on remarque la jeune blonde très pimbêche au départ mais qui va finalement rejoindre l’orchestre Divertimento, vous souhaitiez à travers certains personnages montrer qu’un pont est possible mais était-ce la cas en 1995 ?
La musique est un lien qui peut tous nous rassembler Et c’est ce qu’elles ont réussi à faire avec cet orchestre : tout d’un coup, des gens qui venaient de milieux très différents et qui au départ avaient des aprioris sur les autres parce qu’au lycée Racine, situé dans le 8ème arrondissement, beaucoup d’élèves qui venaient du milieu de la musique, avec des parents, des grands parents qui travaillaient dedans. D’ailleurs, souvent, il y avait même un mépris par rapport à leurs profs comme on le voit dans le film avec la prof de philo. Car pour eux, la musique était toute leur vie, et ils voulaient tous devenir soliste. Heureusement ça a changé aujourd’hui, ça, ça ne serait plus les mêmes comportements, les mêmes dialogues, mais à l’époque les clivages de classes étaient profonds.
La jeunesse est un thème central dans votre œuvre, que ce soit dans «Les Héritiers» ou «Le ciel attendra». Est ce que vous avez une vision optimiste de la jeunesse actuelle et en quoi c’est un moteur ?
Optimiste oui bien sûr cela se voit dans mes films ! Je pense qu’une histoire peut tout changer dans le destin de quelqu’un. Quand à un moment donné on vous dit que cette histoire là, elle s’est passée, elle peut se passer, elle peut arriver. Hier à Lyon lors d’une avant-première, une jeune fille m’a dit à la fin du film «Vous voyez, moi j’abandonne souvent, si ça ne marche pas la première fois, j’arrête ; et bien votre film me donne de la force, me donne envie de me battre, d’y croire et de ne pas lâcher.» Je sais alors pourquoi j’ai fait ce film, même si c’est pour toucher une seule personne. Et c’est important pour moi de montrer à notre société que la jeunesse et surtout la jeunesse des quartiers est composée de beaucoup de talents, qu’il n’y a pas que des choses négatives mais au contraire beaucoup d’espoir.
Êtes-vous toujours en contact avec les sœurs Ziouani ?
Oui, bien sûr Zahia était avec moi à Montréal pour un festival où elle a donné un concert et elles ont participé à certaines des avant-premières.
«Divertimento» est votre septième film en onze ans. Est ce que vous avez déjà une idée du thème de votre prochain film ?
Mon prochain film sera basé sur une histoire vraie aussi, qui se passe en 1995 à Vancouver, une histoire de 24 femmes incroyables et d’un médecin du sport qui ont, grâce à un projet très courageux, très audacieux, changer la vie de milliers de femmes à travers le monde. Ces 24 femmes, qui ont entre 31 et 64 ans, ont en commun d’avoir toutes survécu à un cancer du sein.