La productrice suisse Gabriela Bussmann a co-produit le film LAISSEZ-MOI de Maxime Rappaz. Projetée en avant-première le 17 mai, cette émouvante histoire qui suit une mère dévouée et femme sensuelle a ouvert la sélection de l’ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) à Cannes. Ce premier long-métrage du jeune réalisateur Maxime Rappaz, sorti de l’ECAL et de la HEAD, fut l’occasion de discuter avec Gabriela Bussmann de son métier de productrice, ainsi que du film événement.
Interview Gabriela Bussmann | LAISSEZ-MOI
- Publié le 26. mai 2023
«C'est un grand honneur que LAISSEZ-MOI ait pu être présenté en avant-première à Cannes.»
Dès les années 80, Gabriela Bussmann a travaillé aux côtés de Georges Reinhardt dans la Filmhaus de la Josestrasse à Zurich. En 1990, elle prend une part active au développement de la toute nouvelle Semaine de la Critique au Festival de Locarno. Dès 1995, Gabriela Bussmann fait partie de la direction du Festival Visions du Réel de Nyon. En 2001, elle crée au sein du Festival le Doc Outlook International Market avec en particulier les Pitchings du Réel, qui réunissent les partenaires et décideurs les plus importants à l’international. Elle est à l’origine du premier Marché digitalisé pour le documentaire. En 2012, elle fonde GoldenEggProduction à Genève. Grâce à un vaste réseau de contacts nationaux et internationaux, elle a produit des films tels que «Putin’s Witnesses» de Vitaly Mansky, qui a remporté plusieurs prix et a été nominé pour le prix du film européen. Elle est membre de la European Film Academy.
Par Lliana Doudot
Gabriela Bussmann, comment et pourquoi décide-t-on de travailler dans le domaine de la production ?
J’ai très rapidement su que je voulais travailler dans le monde du cinéma. J’ai dirigé pendant seize ans le festival Visions du réel à Nyon, et j’étais déjà dans la production à ce moment-là. A l’époque, je travaillais dans la Filmhaus de George Reinhart à la Josefstrasse à Zurich. Pour moi, la production était un peu la continuation de tout ça : diriger un festival, en faire la programmation, valoriser les œuvres des autres… J’aime bien accompagner, aider et soutenir les cinéastes dans leurs projets.
Vous avez fondé GoldenEggProduction en 2012 à Genève. Pourquoi ce choix de lancer votre propre société ?
Avec mes précédentes expériences dans le monde du cinéma, j’avais tout un réseau de connexions, de contacts, des professionnels de la télévision, de producteurs, d’équipes de films. Pour moi, c’était alors logique, la continuation de mes connaissances. Ce n’était donc pas quelque chose que j’ai dû récréer.
Comment sélectionnez-vous les films que suit votre société de production ?
Nous procédons de deux manières. D’une part, nous passons par les gens que nous connaissons, que ce soit par Visions du réel ou des cinéastes que j’ai connus quand j’ai commencé à produire. D’autre part, nous nous intéressons depuis le début à des jeunes réalisateurs. J’ai par exemple régulièrement participé à des pitching de l’ECAL, nous avons alors aidé pas mal de jeunes diplômés à réaliser des courts métrages, avec l’idée d’accompagner à terme la réalisation du premier long métrage. On essaye d’établir la confiance, comme une sorte de « famille », et voir si on peut continuer ensemble par la suite.
Qu’est-ce qui vous a intéressé dans le projet « Laissez-moi » de Maxime Rappaz ?
Avec Maxime, c’était vraiment une rencontre. Je l’ai justement vu lors d’une présentation à l’ECAL. Il a montré ce projet, on a continué à parler et on ne s’est plus quittés ! On a alors commencé à développer le film. Il faut savoir aussi que la production, ce n’est pas juste chercher le financement, c’est aussi accompagner dans l’écriture. Il y a plusieurs étapes, on écrit, puis on discute, et on continue de développer ensemble.
Comment s’est passée la collaboration ? Avez-vous pu avoir des impacts artistiques sur le projet ?
Maxime a créé son propre univers très vite. Je sentais qu’il avait vraiment envie de faire ce film pour différentes raisons, aussi des raisons personnelles. Il était vraiment habité par ce projet. J’ai donc essayé d’être juste à côté de lui, de ne pas trop bousculer et de lui donner cet espace pour qu’il puisse se développer, faire mûrir cette idée. On a établi un planning où il m’envoyait régulièrement ce qu’il écrivait, et on en discutait avec l’équipe. Parfois, on appelait des consultants extérieurs, comme des lecteurs ou des scénaristes, pour retravailler certaines parties. On a donc bien avancé ensemble, dans le respect des uns et des autres. Il a aussi rencontré la scénariste française Marion Vernoux lors d’un atelier d’écriture, avec qui il a eu envie de finir son scénario. C’était une phase très importante, cette dernière étape. Il a alors pu boucler l’écriture.
Avez-vous fait partie du processus de tournage ? Et pour le casting, avez-vous choisi ensemble, avec Maxime Rappaz, Jeanne Balibar qui est exceptionnelle en tête d’affiche ?
On est toujours présent, parce qu’on grandit aussi avec ce projet. Le financement représente quand même une phase importante, bien sûr. Pour boucler le financement, ça a pris un peu de temps, puisqu’on avait des partenaires français et belges et qu’il fallait se coordonner. Une fois que c’était bon pour ça, on a commencé la préproduction en sachant déjà, par exemple, le directeur de la photographie, Benoît Dervaux, qui travaille avec les frères Dardenne. Pour le casting, Jeanne Balibar s’est imposée assez vite. Maxime voulait travailler avec elle dès le départ. Elle a lu le scénario, elle a adoré et on a donc signé avec elle.
Avant-hier, l’avant-première mondiale de « Laissez-moi » a ouvert la sélection Acid du Festival de Cannes. Comment sont les premiers retours ?
Je pense qu’on a eu la chance. On a été très bien traités. Et puis même avant l’annonce de la sélection à Cannes, les gens ont parlé du film, et on a tout de suite eu des distributeurs, avec une vente internationale qui a créé le buzz. On a aussi eu des projections de presse à Paris qui nous ont donné confiance. L’accueil était vraiment formidable. Ici, c’est une section parallèle de Cannes, mais ça permet au film d’avoir une distribution en France parce que l’ACID accompagne le film.
Quelle place a selon vous le cinéma suisse au Festival de Cannes ?
Je pense qu’il y a une présence régulière de films suisses à Cannes, mais je sais qu’il y a un peu de polémique, parce qu’ils figurent rarement dans la compétition internationale. Il faut aussi dire que la compétition internationale, c’est beaucoup des affaires, mais il y a aussi des exceptions.
Vous faites aussi partie du conseil d’administration d’Arttv : à quel point les initiatives culturelles suisses sont-elles importantes pour vous ?
Je trouve que c’est très important, parce que ces dernières connaissent le terrain, la sensibilité et la culture régionale et nationale. Et puis je pense qu’Arttv fait un très bon travail, et ce régulièrement. On peut y trouver des choses mainstream et d’autres moins connues, j’y lis du contenu soit dans l’art, le théâtre, les expositions, le cinéma… C’est formidable, et c’est unique. Félix Schenker, qui a fondé Arttv, a vraiment poussé cette plateforme vers le haut toutes ces années, aussi avec l’export vers la Suisse romande. Particulièrement dans le cinéma, je pense qu’on a besoin de ce genre de projets, parce qu’il y a de moins en moins de critiques dans les journaux. Et je pense qu’il y avait un réel besoin de l’arrivée en Suisse romande d’Arttv.
Pour conclure, avez-vous des projets en cours ? Potentiellement avec Maxime Rappaz ?
Oui, on n’est jamais sur un seul projet dans la production, sinon on ne peut pas survivre. On continue à faire des courts métrages, parce que ça nous permet d’avoir un rythme de production régulier sans attendre longtemps, et on a aussi des projets de fiction en écriture. Comme dernière réponse, je vous confirme qu’on continue notre collaboration avec Maxime. A suivre…