Présenté en avant-première au Festival de Cannes, le 3ème film d’Emmanuel Courcol met en scène deux frères musiciens exerçant dans deux univers très différents : l’un est chef d’orchestre l’autre joue du trombone dans une fanfare du Nord de la France. Séparés dès leur plus jeune âge, ils n’auraient pas dû se rencontrer mais la vie réserve de belles surprises. Le réalisateur accompagné de sa co-scénariste Irène Muscari étaient de passage au Zurich Film Festival et ont répondu à nos questions.
Interview Emmanuel Courcol et Irène Muscari | EN FANFARE
«Avec EN FANFARE, je voulais à nouveau souligner que la culture est accessible à tous et qu'il y a du talent dans tous les milieux. .»
EN FANFARE | SYNOPSIS
Thibaut est un chef d’orchestre de renommée internationale qui parcourt le monde. Lorsqu’il apprend qu’il a été adopté, il découvre l’existence d’un frère, Jimmy, employé de cantine scolaire et qui joue du trombone dans une fanfare du nord de la France.
En apparence tout les sépare, sauf l’amour de la musique. Détectant les capacités musicales exceptionnelles de son frère, Thibaut se donne pour mission de réparer l’injustice du destin. Jimmy se prend alors à rêver d’une autre vie…
Interview par Ondine Perier
En fanfare est votre 3ème long-métrage de fiction, après UN TRIOMPHE qui traitait de l’art comme outil d’émancipation. Qu’est-ce qui vous a poussé à aborder à nouveau ce thème, mais cette fois-ci à travers la musique et une fanfare locale ?
Emmanuel Courcol : L’idée de raconter une histoire à travers la musique populaire et la pratique amateur me trottait en tête depuis longtemps. J’avais déjà approché ce milieu par le passé pour un autre projet. Cette idée a évolué avec le temps et s’inscrit dans mes préoccupations sur le choc des cultures et la rencontre entre des mondes qui semblent à première vue opposés. Avec EN FANFARE, je voulais à nouveau souligner que la culture est accessible à tous et qu’il y a du talent dans tous les milieux. Ce qui fait souvent la différence, c’est l’origine sociale, pas le talent. Ici, les deux frères symbolisent cela : l’un brille sur les plus grandes scènes, l’autre joue du trombone dans une fanfare locale. J’ai réalisé deux films avant et ce sont des préoccupations que j’ai déjà développées, dans UN TRIOMPHE notamment qui traite aussi du choc des cultures, la rencontre improbable de personnes incarcérées avec le théâtre soit une culture élitiste avec des gens qui sont étrangers à cette culture-là.
Vous avez souvent collaboré avec Philippe Lioret en tant que scénariste. Comment cette expérience a-t-elle influencé votre propre travail en tant que réalisateur et scénariste pour ce film ?
Emmanuel Courcol : Travailler avec Philippe Lioret a été une école pour moi. J’étais acteur à la base, et notre rencontre a été déterminante. Il m’a fait confiance très tôt et m’a permis de coécrire des scénarios avec lui. Cette expérience m’a appris beaucoup, surtout sur l’exigence et la précision du travail de scénariste. Ce partage d’affinités a guidé mon travail : j’ai toujours été sensible à la dimension humaine et sociale que Philippe aborde dans ses films, comme dans WELCOME. Cela résonne dans mes propres projets, y compris EN FANFARE.
Le film fait penser à des comédies sociales telles que LA VIE EST UN LONG FLEUVE TRANQUILLE, LES VIRTUOSES, BILLY ELLIOT. Ces œuvres vous ont-elles inspirés ?
Emmanuel Courcol : Oui bien sûr, LA VIE EST UN LONG FLEUVE TRANQUILLE a des similitudes thématiques avec EN FANFARE, notamment dans le contraste entre différents milieux sociaux. Mais sur le plan du style, mon film est différent, il a une approche plus douce, moins grinçante. BILLY ELLIOT est un autre film qui m’a beaucoup marqué, dans cette veine du cinéma social britannique qui mélange comédie et drame sur fond de réalités dures.
Irène Muscari : On rit beaucoup aussi dans le film, il y a de la vie. C’est ça qui nous intéresse beaucoup. C’est de restituer la vie sur tous ces aspects et pouvoir rire dans des situations terribles sans se priver d’émotion. C’est-à-dire vivre ses émotions de façon assez spontanée, avec pudeur et sans intellectualiser tout ça.
Le film présente une fanfare locale en déclin, mais aussi une usine occupée par des ouvriers. Quelle est la signification de cette double lutte — à la fois sociale et musicale — dans l’histoire ?
E.C. : Comme l’histoire se déroule dans le nord de la France, nous avions le devoir d’évoquer le contexte sociale et économique de cette région qui malheureusement subit de nombreuses fermetures d’usine et donc un chômage endémique. Cela fait partie du décor ne pas en parler aurait en quelque sorte trahi l’histoire de cette région.
Les personnages de Claudine, Sabrina, Jérémy apportent une touche d’humour et d’humanité au film. Comment avez-vous pensé l’écriture de ces personnages secondaires pour qu’ils enrichissent cette comédie humaine ?
E.C. : Ces personnages apportent de la vie, tout simplement. Ils sont là pour refléter la diversité des personnalités que l’on croise dans une petite ville. Ils ne sont jamais caricaturaux, et je voulais qu’ils aient tous une identité forte, même s’ils ne sont pas toujours au premier plan. Je fais très attention à ce que même les petits rôles soient bien traités, car ils peuvent enrichir le film et lui donner plus de profondeur. C’est un aspect important de mon travail de réalisateur.
I.M. : Et puis cela rend compte du regard qu’on a sur le monde, sur la vie en général qui n’est pas faite de personnages forts, tout le temps en premier plan. On a donc envie de donner vie à ces personnages secondaires en leur conférant une véritable identité. Emmanuel a un talent particulier pour cela. Il parvient, même avec de simples plans, à nous faire reconnaître ces personnages dès leur première apparition. Dans ce film, par exemple, on arrive à distinguer les musiciens, même ceux de l’orchestre classique qui accompagne Thibault. Après les avoir vus une première fois, on les reconnaît facilement lors de leurs autres apparitions.
E.C. : En tant qu’acteur, j’ai débuté avec de petits rôles, souvent une ou deux journées sur un tournage. C’est toujours un défi, car on arrive dans une équipe bien rodée, face à des acteurs connus, sans droit à l’erreur. C’est pourquoi je m’étais promis que le jour où je réaliserais, je traiterais ces petits rôles avec beaucoup de soin. Je suis toujours présent aux castings, même pour les silhouettes, et je m’assure qu’ils soient bien dirigés. Un petit rôle n’est jamais insignifiant : c’est le héros d’une autre histoire, qui pourrait être tout aussi passionnante si on la suivait.
Finalement seule la mère de Thibaut, personnage de la mère jouée par Ludmila Mikaël, avait connaissance de l’existence de Jimmy comme frère de Thibaut. Elle est entourée de non-dits. Pourquoi ce mystère autour d’elle ?
E.C. : Nous avons pensé la mère comme quelqu’un de marqué par son éducation, son milieu, et les choix qu’elle a faits dans sa vie. Une femme relativement soumise et pleine de regrets et en même temps, presque prisonnière de son éducation, de son milieu, mais qui est touchante parce qu’elle est aussi en empathie avec son fils.
I.M : Les secrets de famille et les non-dits sont souvent présents dans les milieux bourgeois, et cela participe aussi à caractériser son personnage.
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Le dernier quart du film prend un tournant plus tragique. Était-il important pour vous d’introduire cet aspect plus sombre dans une comédie humaine ? Est-ce une manière de nuancer le message d’espoir et de solidarité ?*
E.C. : introduire cette dimension tragique permet de donner plus de profondeur aux personnages et à l’histoire. La vie n’est jamais entièrement rose ou entièrement sombre, et je voulais que le film reflète cette réalité. Le message d’espoir et de solidarité reste intact, mais il est tempéré par cette conscience que tout ne se passe pas toujours comme on l’a prévu. EN FANFARE est une comédie dramatique, mais avant tout, c’est la comédie de la vie. Dans la vie, même au cœur des moments de bonheur, le drame peut survenir. Et paradoxalement, le drame peut aussi provoquer des éclats de rire sincères. On peut, par exemple, éclater de rire lors d’un enterrement. C’est ça, la vie, avec ses contrastes inattendus.
Sur le rapprochement d’une culture élitiste avec une autre plus populaire représentée ici par la fanfare, pensez-vous vraiment qu’un décloisonnement des cultures soit réalisable de manière structurelle ?
I.M : C’est mon métier, et oui, j’y crois, mais pas à un mélange constant et généralisé. Les rencontres entre différents univers artistiques restent occasionnelles et précieuses. C’est justement leur rareté qui les rend si belles et miraculeuses. Elles surviennent pour des raisons bien spécifiques, comme la rencontre de Thibault et Jimmy dans le film, qui n’aurait pas eu lieu sans cette raison particulière. Ce sont ces moments qui font des miracles.
E.C. : Bien sûr, la politique a un rôle à jouer pour faciliter ces rencontres, mais c’est un processus qui prendra des générations. Pour l’instant, notre tâche est d’encourager et multiplier ces moments. Leur rareté les rend d’autant plus marquants dans une vie, révélant parfois des aspects insoupçonnés de nous-mêmes. Il ne faut pas sous-estimer leur pouvoir de transformation.
Une question plus terre-à-terre, pourquoi avoir choisi le trombone comme instrument de Jimmy, plutôt que le trompette par exemple?
E.C. : Pour jouer du trombone, il faut une oreille extrêmement précise, car les notes sont produites avec la coulisse, et tout se joue au millimètre près. C’est justement ce qui caractérise le personnage : il a l’oreille absolue, ce qui lui permet de jouer avec une grande justesse. C’est une spécificité du trombone par rapport à la trompette, par exemple parce que la trompette a des pistons, ce qui la rend plus mécanique. Ça ne veut pas dire que jouer de la trompette soit facile, mais avec le trombone, le son se crée manuellement, un peu comme sur un violon.
Enfin, travaillez-vous déjà sur votre prochain film ensemble?
E.C. : Oui, le projet est écrit, et nous sommes au début de la production. Le tournage devrait commencer au printemps prochain. Ce sera un film différent, plus intime, un drame familial qui se déroulera en partie au Groenland.