PARTIR UN JOUR, film d’ouverture du Festival de Cannes, est le 1er long métrage d’Amélie Bonnin. Inspiré de son court éponyme, le film aborde avec sensibilité et humour le couple, la famille, la transmission et l’engagement professionnel, à travers le regard d’une femme cheffe de cuisine. Nous avons rencontré Amélie Bonnin au lendemain de la projection cannoise, qui nous fait part avec générosité des secrets de fabrication de son film très réussi et d’une grande originalité.
Amélie Bonnin | PARTIR UN JOUR
- Publié le 19. mai 2025
«On avait envie de raconter ce que ça fait de revoir son amour de jeunesse, quand la vie a déjà pris d’autres chemins.»
PARTIR UN JOUR | SYNOPSIS
Alors que Cécile s’apprête à ouvrir son propre restaurant gastronomique et à réaliser enfin son rêve, elle doit rentrer en catastrophe dans son village natal suite à l’infarctus de son père. Loin du bourdonnement de la vie parisienne, elle recroise par hasard son amour d’enfance ; ses souvenirs ressurgissent alors et ses certitudes vacillent…
Interview par Ondine Perier
Avez-vous rêvé de Cannes en écrivant ce film ?
Pas du tout. Avec Dimitri Lucas, mon co-scénariste, on pensait surtout à nos proches, à un public sensible à l’histoire. Le film est très personnel et intime, loin des formats attendus d’un grand festival. Imaginer Cannes aurait été paralysant.
Le film est-il une comédie musicale ?
Je ne dirais pas ça. Les chansons y sont intégrées comme dans nos vies : elles accompagnent les moments clés, les ruptures, les trajets, les souvenirs. Ce sont des marqueurs émotionnels, pas des séquences musicales au sens traditionnel.
Les chansons étaient-elles prévues dès le départ ?
Oui, dès la première version du scénario. Certaines ont même influencé l’écriture. “Cécile, ma fille” a inspiré le prénom de l’héroïne. On voulait des titres cultes pour réveiller la mémoire collective, en lien avec l’âge des personnages. Ces chansons racontent leur passé.
Un titre vous touche-t-il particulièrement ?
Nougaro m’évoque les trajets en voiture avec mon père. D’autres morceaux ne sont pas liés à des souvenirs précis mais font partie de mon univers. “Partir un jour”, par exemple, est ancré dans ma génération, même si je n’écoutais pas les 2Be3.
Pourquoi ancrer le récit loin de Paris ?
Il y a une ouverture récente dans le cinéma français : des cinéastes venus de toute la France racontent d’autres réalités que celles des appartements parisiens bourgeois. C’est précieux. Au départ, j’ai réalisé que mes personnages étaient toujours masculins. J’ai voulu changer ça pour le long métrage.
*Pourquoi avoir évité le “food porn” dans un film centré sur un restaurant ?”
Parce que ce n’est pas un film sur la gastronomie en tant qu’objet esthétique, mais sur le travail. Mes parents économisaient pour aller une fois par an dans un étoilé – pour eux, c’était sacré. Le film montre la dureté du métier, dans les relais routiers comme dans les cuisines gastronomiques. Les exigences sont différentes mais l’engagement est total, souvent au prix de sacrifices.
Vous montrez une femme cheffe, autoritaire mais humaine. Une volonté de proposer un nouveau modèle ?
Oui, je voulais montrer une cheffe contemporaine, exigeante mais bienveillante, dans un management moins toxique. Un personnage fort, libre, qui ne veut pas d’enfant, non pas à cause d’un traumatisme, mais parce que c’est son choix. J’ai été frappée qu’on me demande de justifier ce refus lors du financement. Ce choix reste tabou.
Ce refus de maternité crée un dilemme avec son compagnon.
Elle l’aime, mais elle ne veut pas transiger. Elle sait que ce choix lui fera du mal, à elle comme à lui, mais elle veut rester fidèle à ce qu’elle est. Ce n’est pas une question de carrière contre enfant. C’est un besoin d’être soi.
Le plat signature du film est très symbolique. Pourquoi ce choix ?
On cherchait une saveur d’enfance, une émotion. Le “canard”, ce morceau de sucre trempé dans le café, est un souvenir fort : mon grand-père me le faisait, mon père le fait à mon fils. C’est une transmission. Visuellement, c’est aussi très cinématographique, avec ce café qui grimpe dans le sucre. C’est notre madeleine de Proust.
*Quelle a été l’importance de votre productrice, Sylvie Pialat ?
Elle a été essentielle. J’ai trois producteurs hommes que j’adore, mais avoir une femme à la production, une figure aussi forte que Sylvie, c’est précieux.*
Des projets à venir ?
Des idées, oui, mais après une telle aventure, il faut digérer. C’est un peu paralysant. J’ai envie de retrouver l’élan, la liberté du premier film.