LA CACHE de Lionel Baier se déroule en mai 68 à Paris, théâtre de manifestations et d’émeutes dans la rue. L’histoire est racontée du point de vue d’un enfant de 9 ans qui séjourne chez ses grands-parents à ce moment là. Leur appartement est joyeux et bordélique à souhait, les oncles du petit y vivent encore. William Lebghil incarne «Grand Oncle», un linguiste trentenaire passionné. Rencontre à Lausanne quelques minutes avant la présentation du film en avant-première au Capitole. Interview vidéo
William Lebghil | LA CACHE
- Publié le 26. mars 2025
«Michel Blanc était un génie, précis et passionné. C’était notre quatrième film ensemble, et je le considérais comme un mentor.»
Interview par Ondine Perier
Comment avez-vous abordé le personnage de Grand Oncle dans LA CACHE et quelle est son importance dans l’histoire ?
Grand Oncle est un personnage inspiré de figures réelles du roman LA CACHE de Christophe Boltanski. Le film adapte une petite partie du livre, notamment l’épisode de Metz en 1968, qui fait écho à un événement marquant : en 1942, le père du personnage joué par Michel Blanc s’est caché sous le plancher de la salle de bains pendant deux ans. Cette cachette devient un symbole du poids du passé et du traumatisme familial qui perdure à travers les générations.
Comment le film retranscrit-il le traumatisme familial lié à la Seconde Guerre mondiale et en quoi cela vous a-t-il séduit ?
La famille du film, marquée par la guerre et l’Occupation, vit de façon atypique : quatre générations sous le même toit, une peur de l’extérieur et une fusion quasi obsessionnelle. Surnommés le “mille-pattes” dans le roman, ils se déplacent comme un seul corps. Ce qui m’a séduit, c’est le ton du film : malgré le traumatisme, l’histoire est racontée avec humour, légèreté et élégance, montrant comment certains transforment la douleur en une énergie joyeuse et pétillante.
Comment Mai 68 influence-t-il votre personnage ?
La famille évolue dans un contexte intellectuel bouillonnant, entourée de livres et de discussions érudites. Avec un frère sociologue, un autre artiste et une mère engagée dans le journalisme, ils sont profondément imprégnés par la culture et le langage. Pourtant, malgré cette ouverture d’esprit, ils restent repliés sur eux-mêmes, dominés par une peur viscérale de l’extérieur, en décalage avec l’élan révolutionnaire de Mai 68.
En quoi la direction d’acteurs de Lionel Baier est-elle singulière ?
Lionel Baier adopte une approche à la fois précise et bienveillante. Toujours sur le plateau, mais jamais derrière un moniteur, il observe discrètement et prend des notes avant de donner des indications ciblées. Sa manière douce, élégante et assurée de diriger crée un cadre de travail apaisant, où chacun se sent libre d’explorer tout en restant aligné avec sa vision rigoureuse et maîtrisée du film.
L’appartement, un personnage à part entière ?
Le décor joue un rôle clé dans LA CACHE. Construit en studio au Luxembourg, il est si réaliste qu’il semble être un véritable appartement. Il faut saluer le travail minutieux de la décoratrice qui renforce l’authenticité et l’atmosphère du film.
Aviez-vous lu le roman avant le tournage ?
Je me suis concentré sur le scénario, mais j’ai cherché des éléments sur Jean-Elie Boltanski, l’homme réel qui a inspiré mon personnage. Il a vécu toute sa vie dans cet appartement et y est resté jusqu’à sa mort en janvier. Son attachement au lieu a nourri ma compréhension du rôle et apporté une profondeur supplémentaire à mon interprétation.
Comment avez-vous vécu votre collaboration avec Michel Blanc ?
Michel Blanc était un acteur d’exception, précis et passionné, notamment par la musique classique. C’était notre quatrième film ensemble, et je le considérais comme un mentor. Son talent unique donnait une véritable identité aux films. Son absence pour la promotion du film est un vide étrange, tant il a marqué ce projet.
Quelle scène du film vous a particulièrement marqué lors du tournage, que ce soit par sa difficulté ou son intensité ?
La scène qui m’a le plus marqué est une cérémonie funéraire vers la fin du film. C’était un moment très fort, à la fois bouleversant et impressionnant à jouer. Il y avait aussi des séquences plus légères, comme la chorégraphie, qui étaient amusantes à tourner, mais cette scène-là m’a profondément marqué.
*Comment décririez-vous LA CACHE en quelques mots ?
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C’est un film d’une rare densité, mêlant profondeur et légèreté. Il captive par son intensité émotionnelle tout en gardant une touche de fantaisie. Je le vois comme un trou noir déguisé en meringue ou en tutu : un mélange fascinant entre gravité et délicatesse, qui absorbe le spectateur tout en le surprenant par sa douceur apparente.
Comment percevez-vous votre évolution en tant qu’acteur après vos rôles marquants au cinéma et en série ?
Ce qui me passionne avant tout, c’est la rencontre avec les cinéastes et l’exploration de nouveaux univers. J’aime me laisser surprendre par des projets variés et plonger dans des personnages très différents. La curiosité me guide, et ce travail d’acteur, qui me fascine depuis l’enfance, continue de m’enthousiasmer à chaque rôle.
Quel a été votre parcours avant d’arriver au cinéma ?
J’ai commencé par le théâtre et le café-théâtre, ce qui m’a beaucoup appris. Comme Michel Blanc avec Jean-Claude Dus, j’ai été marqué par un rôle populaire, celui de Slimane dans Soda. Mais très vite, j’ai eu envie d’explorer d’autres facettes du jeu. J’ai découvert la scène en intégrant une école de théâtre après le bac, l’École Périmony, qui a été une révélation pour moi.
Y a-t-il un.e cinéaste avec lequel.laquelle vous rêveriez de travailler ?
Il y en a beaucoup ! En France, Justine Triet, Albert Serra, Arthur Harari ou Quentin Dupieux m’inspirent énormément. À l’international, Paul Thomas Anderson ou Park Chan-wook sont des cinéastes dont l’univers me fascine.