Dans une ville de banlieue japonaise, le calme habituel et paisible d’une école est soudainement mis à mal par une bagarre. Ce qui peut sembler en premier lieu anodin prend des proportions imprévues, bousculant l’équilibre aussi bien scolaire, amical, professionnel que familial de certain·e·s habitant·e·s.
« Monster » du réalisateur japonais Kore-eda
- Publié le 26. mai 2023
Critique d'Abel Zuchuat du film Récipiendaire du Meilleur scénario au Festival de Cannes 2023.
Critique d’Abel Zuchuat
Kore-Eda déploie ici des thèmes bien connus de sa filmographie, une obsession pour les bouleversements sociaux et familiaux, appelant à un questionnement des codes moraux et à une redistribution des responsabilités.
Le feu au milieu de la ville
Sur le balcon d’un gratte-ciel, le jeune Minato (Soya Kurokawa) accourt pour observer en contrebas un hôtel de passe en prise à un incendie. L’establishing shot de « Monster » s’ouvre ainsi sur une menace qui crépite violemment au milieu de la nuit, comme une maladie prête à innerver la ville entière. Captivé par sa brutalité, dont le film choral nous révèle plus tard la source, le jeune adolescent demande alors à sa mère (Sakura Ando) : « Si l’on remplace le cerveau d’une personne par celui d’un porc, est-elle toujours humaine ? ».
Tout comme le feu au milieu de la ville, cette question innerve tout le film qui déploie par la suite de multiples stratégies pour en résoudre l’énigme. Parmi elles, Kore-Eda alterne ses plans sur d’autres dangers naturels – intempéries et glissements de terrain –, leur intensité soudaine au milieu du calme des décors et d’une caméra toujours stable comme autant de miroirs allégoriques à la violence psychique que subissent les personnages au sein d’une société japonaise maîtrisant à l’extrême leurs comportements sociaux.
Un film sur la responsabilité
Comme dans l’éblouissant « Nobody Knows » présenté à Cannes en 2004, où une fratrie de quatre enfants se retrouve délaissée par leur mère, Kore-Eda retrouve avec Monster le thème de l’enfance livrée à elle-même, mais cette fois-ci abandonnée aux affres psychologiques du silence, de la différence, de l’exclusion sociale et du harcèlement scolaire ou familial. Si le film présente d’abord ce mal-être du point de vue de Minato et de sa mère, dénonçant le professeur M. Hori (Eita Nagayama) comme bourreau, l’« effet-Rashōmon » que déploie ensuite Kore-Eda rétablit la vérité en offrant le point de vue du professeur, mais également celui du camarade de classe de Minato, Eri (Hinata Hiiragi), dont le père l’accuse d’avoir un « cerveau de porc », ainsi que de la directrice de l’école Mme Fushimi (Yuko Tanaka). Toute la subtilité de Kore-Eda réside ainsi dans le fait de conjuguer une mise en scène discrète à un récit itératif complexe, distillant des clefs de lecture pour aider le·a spectateur·ice à reconstruire petit à petit une fresque sociale qui requestionne les codes moraux et redistribue les responsabilités de chacun·e.
Conclusion
Aux antipodes narratifs des grandes productions occidentales, Kore-Eda propose avec Monster un anti-manichéisme typique du cinéma japonais, permettant de porter son attention sur des combats bien plus importants aujourd’hui, et qui nous laisse avec cette question en toile de fond : qui est le véritable monstre ?