2023 a été une année cinématographique mouvementée. Comme si la branche – et en premier lieu les salles de cinéma – n’était pas déjà suffisamment secouée après la période difficile Corona, la grève justifiée des scénaristes et acteurs américains est venue s’y ajouter. Les sorties ont été reportées et même les grands festivals de cinéma ont manqué de stars. Mais ceux qui sont restés fidèles aux salles de cinéma ont peut-être été récompensés ! Voici les perles de l’année selon notre équipe ciné.
Les films de l'année 2023
Cette année encore, nous dévoilons les films qui ont marqué nos journalistes cinéma en 2023.
Films de fiction
Ondine Perier : LE RAVISSEMENT – Ce premier film de la jeune française Iris Kaltenbäck traite de l’amitié entre deux jeunes femmes qui se trouve bouleversée lorsqu’une d’elles devient mère. Ce rapport complexe face à la maternité donne lieu à une histoire haletante où le suspense et la tension ne faiblissent jamais. Le film est en outre sublimé par la formidable Hafsia Herzi.
Djamila Zund : LE BLEU DU CAFTAN – Le deuxième film de Maryam Touzani nous invite à découvrir la confection artisanale d’un caftan, à travers l’intimité d’un couple d’artisans, un maâlem et son épouse à la santé fragile. L’histoire est délicatement nouée, elle se drape d’amour dans une réalité imprégnée de questionnements spirituels et de non-dits. Entre quête de compréhension de l’autre et de soi-même, ainsi que de nouveaux départs, ce film témoigne de manière éloquente des histoires des artisans de la Médina, murées dans un silence discret. Un hommage élégant à un artisanat raffiné, un savoir-faire unique menacé de disparition.
Lliana Doudot : L’INNOCENCE – Ce magnifique film décortique point de vue après point de vue une situation qui semble d’abord banale, mais qui révèle peu à peu les enjeux d’une société japonaise en transition. Hirokazu Kore-eda réalise un sans-faute avec cette histoire sensible et touchante.
Abel Zuchuat : MAY DECEMBER – Pour interpréter le rôle de Gracie au cinéma, Elizabeth infiltre sa vie quotidienne, une quête transcendantale vers une mimèsis totale. Todd Haynes offre une tension au bord de la rupture pour un thriller introspectif à la fois drôle, étrange, inquiétant et mystérieux. Mais surtout : Nathalie Portman, prodigieuse … épatante … époustouflante !
Madeleine Hirsiger : LE CIEL ROUGE – Une maison de vacances du nord de l’Allemagne, située dans une clairière près de la mer, devient le point névralgique d’erreurs et de confusions, de relations, d’expériences personnelles et de recherche d’identité. Un incendie de forêt qui se rapproche de plus en plus intensifie les événements. Le CIEL ROUGE de Christian Petzold est un film d’été de premier ordre et convainc par ses jeunes acteurs engagés et talentueux.
Rolf Breiner : ANATOMIE D’UNE CHUTE – Un homme fait une chute mortelle, sa femme est soupçonnée. Le décès et un mariage sont disséqués au tribunal. Ce thriller judiciaire et psychologique de Justine Triet est un chef-d’œuvre de mise en scène subtile, marqué par Sandra Hüller dans le rôle de l’épouse condamnée d’avance et Milo Machado Graner dans celui du fils du défunt.
Doris Senn : FALLEN LEAVES – “Si tout espoir est perdu, il n’y a aucune raison d’être pessimiste”, estime le réalisateur culte finlandais, qui signe une fois de plus un petit chef-d’œuvre qui réchauffe le cœur. L’engagement de Kaurismäki pour les petites gens est sans faille, ses décors sophistiqués sont astucieux, le tout truffé d’allusions qui font battre le cœur des cinéphiles.
Silvia Posavec : ABOUT DRY GRASSES – Le conte d’hiver épique de Nuri Bilge Ceylan, qui met en scène trois personnes solitaires, deux visions du monde et une fausse accusation, se déroule dans la lointaine Anatolie et est pourtant directement inspiré de la vie avec ses personnages complexes. Merve Dizdar est convaincante – forte et vulnérable – dans le rôle principal féminin et a reçu le prix de la meilleure actrice à Cannes.
Geri Krebs : TÓTEM – Rien de moins que la vie elle-même – et sa fin imminente – en une seule journée, du point de vue d’une petite fille : c’est tout cela que la Mexicaine Lila Avilés parvient à montrer avec ce film d’ensemble émouvant, aussi triste à mourir que parfois criant de drôlerie.
Films documentaires
Ondine Perier : BIG LITTLE WOMEN – Documentaire percutant de la cinéaste suisso-egyptienne Nadia Farès sur le système patriarcal et comment il affecte la vie des femmes en Orient et en Occident à travers trois générations où la réalisatrice entremêle habilement son histoire personnelle avec d’autres récits de femmes sur ce sujet brûlant. Touchant et nécessaire.
Lliana Doudot : JE SUIS NOIRES – Ce documentaire de de Rachel M’Bon et Juliana Fanjul met en lumière le racisme structurel et les préjugés profonds auxquels sont confrontées les femmes racisées en Suisse, en faisant entendre les voix de six femmes afro-descendantes. Absolument nécessaire
Djamila Zund : VOYAGE AU PÔLE SUD – Dans cette fresque monochrome d’une délicate beauté visuelle, Luc Jacquet nous entraîne de la Patagonie au pôle Sud à travers des paysages en perpétuel changement. Une expérience cinématographique exceptionnelle qui dévoile des horizons antarctiques inédits tout en lançant une délicate plaidoirie pour la préservation de notre planète.
Abel Zuchuat : OURS – « Il a filmé tout ce qu’il a regardé. Et moi, je découvre un monde à travers ses yeux ». Ce court-métrage documentaire suisse est d’abord le rêve d’un cinéaste amateur ayant filmé des ours toute sa vie, de monter un film de ses archives vidéo grâce à l’aide d’une étudiante de la HLDK. Lui s’appelle Urs, et comme ses homonymes, « animaux solitaires », c’est un comportement primitif qui finit par se révéler aux yeux de l’étudiante. Elle s’appelle Morgane, et son film de Bachelor, renversant, s’ouvre en débat essentiel pour dénoncer les conduites inappropriées du patriarcat, finalement pas si solitaire que ça …
Madeleine Hirsiger : LAS TORERAS – Dans son documentaire, l’artiste tout-terrain Jackie Brutsche part à la recherche des raisons du suicide de sa mère. Elle interroge son frère, son père et surtout ses proches dans l’arrière-pays espagnol, d’où sa mère était originaire. De temps en temps, l’auteure se met elle-même en scène de manière théâtrale, ce qui fait de ce film un documentaire créatif aux multiples facettes.
Rolf Breiner : PAR LA PORTE DE L’ENFER AU PARADIS – Comment dompter plus de 110 ans d’histoire de l’architecture et de l’art en un film d’une heure ? Peter Reichenbach et Sibylle Cazajus l’ont fait. Leur documentaire sur le Kunsthaus de Zurich invite à un voyage dans le temps DURCHS HÖLLENTOR INS PARADIES, sans avoir l’air scolaire ou académique.
Doris Senn : ORLANDO, MON BIOGRAPHIE POLITIQUE – Le philosophe franco-espagnol et activiste du genre Paul B. Preciado catapulte le roman de Virginia Woolf dans le XXIe siècle et nous fait flotter librement dans l’espace non binaire des genres avec un équipage chatoyant d’Orlandos multiples. Profond et poétique, ludique et impertinent.
Silvia Posavec : POLISH PRAYERS – Une chute tête la première dans l’une des sociétés les plus polarisées d’Europe : Antek appartient à une confrérie chrétienne fondamentaliste. La réalisatrice Hanna Nobis se rapproche de lui et l’accompagne dans son parcours pour sortir du monde des réponses faciles. Courageux, sensible et plein d’espoir.
Geri Krebs : HOLLYWOODGATE – Ce documentaire époustouflant montre des scènes du royaume des fous fondamentalistes, l’Afghanistan des talibans. L’Égyptien Ibrahim Nash’at, qui vit à Berlin, a pris beaucoup de risques – et a, en passant, brillamment mis en œuvre, sur le plan dramatique, la phrase du documentariste qui va dans des mondes qui restent normalement cachés.
Films suisses
Ondine Perier : INTERDIT AUX CHIENS ET AUX ITALIENS – Le film d’Alain Ughetto retrace une épopée familiale d’immigrés italiens au début du XXème siècle. Il nous rappelle combien la France doit à ses immigrés et à quel point leur intégration n’est pas un long fleuve tranquille. Un bijou d’animation à l’inventivité et à la poésie débordantes.
Lliana Doudot : LAISSEZ-MOI – Le jeune réalisateur Maxime Rappaz signe un premier long-métrage délicat avec “Laissez-moi”, qui suit une mère célibataire et son quotidien rythmé par ses rencontres, dans un cadre valaisan à couper le souffle. Jolie découverte
Djamila Zund : LA VOIE ROYALE – Plongez dans l’expérience palpitante des écoles préparatoires et savourez le frisson du grand huit émotionnel que traversent les étudiants en suivant le parcours de Sophie. Malgré son dévouement, la voie des études scientifiques confronte cette fille d’éleveurs à de nombreux défis. Ce film rend compte de l’effervescence intellectuelle et du rythme effréné de la vie en classe préparatoire. Un film incontournable qui invite à se surpasser.
Abel Zuchuat : LAISSEZ-MOI – Présenté en ouverture de l’ACID 2023, ce premier long métrage de Maxime Rappaz est un drame poignant, qui suit l’échappée de Claudine vers un hôtel de montagne, tous les mardis, pour y rencontrer des hommes de passage. Soutenu par la Valais Film Commission, « Laissez-moi » offre un panorama saisissant de la région valaisanne, tout en démontrant l’étendue créative des reliefs helvétiques dans sa capacité à scénariser les grands espaces ; paysage alpin et plaine étouffante comme contraste de la double vie de Claudine.
Madeleine Hirsiger : DIE NACHBARN VON OBEN – Le couple d’en bas a invité le couple d’en haut à un apéro. En bas, l’air est déjà lourd, car l’homme n’aime pas vraiment ceux d’en haut : il s’agace du sexe bruyant qu’ils n’ont justement plus en bas. L’homme fait des efforts, un mot en appelle un autre, les blessures s’ouvrent et finalement, la proposition d’une partie à quatre fait déborder le vase. La réalisatrice Sabine Boss démonte habilement le schéma des relations usées et en fait un psychodrame profond, presque léger.
Rolf Breiner : FOUDRE – Monde montagnard vers 1900. La novice Elisabeth retourne par la force des choses dans la maison de ses parents pour reprendre le travail de sa sœur Innocente, décédée. FOUDRE – un drame sensuel sur le désir, le plaisir et la foi, l’oppression et l’amour, fortement mis en scène par la Suissesse Carmen Jaquier.
Doris Senn : LAS TORERAS – Le premier long métrage de Jackie Brutsche développe un suspense subtil et présente des rebondissements toujours surprenants dans son approche de l’histoire familiale. Au cours d’entretiens empathiques, la réalisatrice dissout couche après couche, met à jour des tabous, remet en question des “vérités” et trouve finalement la réconciliation.
Silvia Posavec : L’AMOUR DU MONDE – Librement inspirée du roman éponyme de C.F. Ramuz, Jenna Hasse porte à l’écran une histoire réconfortante sur trois jeunes gens qui se réconfortent et se sécurisent de manière inattendue. Ce film d’été inhabituel est plein de poésie et constitue une magnifique ode à la famille d’adoption.
Geri Krebs : LAS TORERAS – Les films qui ont tenté de rendre tangible l’incompréhensible – le suicide d’un proche – ne sont pas rares. Mais jamais personne ne s’y est attaqué avec un humour aussi féroce, des idées aussi folles et une détermination aussi farouche que Jackie Brutsche dans cette quête pour retrouver sa mère.