Le nouveau drame social de Jean-Pierre et Luc Dardenne est porté principalement par de jeunes comédiennes dont c’est le premier grand rôle. 10e entrée en compétition du tandem à Cannes cette année, JEUNES MÈRES a été récompensé du Prix du scénario. Les frères cinéastes n’ont pas manqué de rendre hommage à leur cinq jeunes actrices lors de leur discour au micro du Grand Théâtre Lumière, samedi 24 mai dernier.
JEUNES MÈRES
Portraits croisés de jeunes femmes, liées par un lieu, une maison maternelle ; le nouveau film des Dardenne a reçu le Prix du scénario à Cannes !
JEUNES MÈRES | SYNOPSIS
Jessica, Perla, Julie, Ariane et Naïma sont hébergées dans une maison maternelle qui les aide dans leur vie de jeune mère. Cinq adolescentes qui ont l’espoir de parvenir à une vie meilleure pour elles-mêmes et pour leur enfant.
JEUNES MÈRES | AUTRES AVIS
«Un inventaire bouleversant de la tristesse du monde et de ses consolations.» – Les Inrockuptibles | «Les frères belges visent une troisième palme d’or avec ce film bouleversant qui sort dans les salles parallèlement à sa présentation à Cannes. Un nouveau sommet dans leur carrière.» – Les Echos | «Tout l’enjeu de JEUNES MÈRES consiste à trouver le moyen de lutter contre une hérédité malade et à se construire dans la fuite ; numéro d’équilibriste périlleux mais pas impossible, qui confère à l’ensemble son lot de tension nerveuse, sans jamais le priver d’un possible horizon heureux – rares sont les films des Dardenne comme celui-ci où l’on est invité à verser une larme de bonheur.» – L’Obs
Critique par Djamila Züund
Quand la sobriété cède place au foisonnement
Chez les frères Dardenne, c’est souvent dans les silences, les gestes suspendus, les non-dits et les regards fuyants que réside la force de leur cinéma. Avec JEUNES MÈRES, ce principe est inversé : le film déborde d’histoires. Dès le titre, le pluriel annonce la couleur : exit le personnage central (ROSETTA (1999), LE FILS (2001), L’ENFANT (2005)), place à une mosaïque de récits féminins. Jessica (Babette Verbeek), Perla (Lucie Laruelle), Ariane (Janaïna Halloy Fokan), Naïma (Samia Hilmi), Julie (Elsa Houben)… autant de trajectoires juvéniles réunies dans un centre pour mères mineures.
Genèse d’un projet : de l’individuel au collectif
À l’origine, les Dardenne voulaient écrire un scénario autour d’une seule jeune mère et de son lien au nourrisson. Une visite dans une « maison maternelle » près de Liège change leur projet : les cinéastes sont saisis par la richesse des interactions collectives. Un court reportage réalisé sur place leur ouvre un monde : celui de jeunes filles traversées par des chocs de vie trop grands, trop précoces. Le film devient alors un portrait choral, construit sur les besoins intérieurs de chaque protagoniste. Comme ils l’expliquent dans le dossier presse du film, il s’agit de « cinq portraits de jeunes mères vivant chacune son histoire faite de situations sociales et de relations affectives personnelles ».
Cinq destins, mille blessures
Jessica, orpheline, voit ressurgir une mère longtemps disparue, réveillant à la fois blessures anciennes et espoirs confus. Perla, enceinte, se raccroche à l’image d’un « vrai couple », promenant sa poussette comme un étendard de normalité. Ariane lutte pour échapper au poids de l’héritage maternel : sa propre mère projette sur elle des attentes démesurées, espérant que sa fille répare ce qu’elle-même n’a pu accomplir. Naïma puise sa force dans la solidarité du foyer et exprime sa gratitude envers les accompagnatrices du centre – figures pourtant reléguées au second plan par la mise en scène, alors qu’elles constituent l’épine dorsale de ces institutions. Cette mise à l’écart constitue une lacune regrettable. Julie, quant à elle, récemment sortie de la rue, mène un combat quotidien contre la rechute, soutenue par un compagnon aussi vulnérable qu’aimant.
Violences, addictions, avortement, filiation, entraide féminine… le film multiplie les thématiques. Mais à force de vouloir tout explorer, il laisse peu de place à l’ancrage, à l’épaisseur émotionnelle. Les scènes les plus fortes surgissent presque en marge : une porte de bus qui se ferme, une main qui hésite, une lettre écrite au stylo rose, un poème qui sauve.
Un regard sincère, une émotion morcelée
Les frères Dardenne conservent leur mise en scène dépouillée (caméra légère, lumière naturelle, plans-séquences) mais elle semble cette fois écrasée par la densité de l’histoire. Le récit enchaîne les scènes, ne nous laissant pas le temps de nous ancrer vraiment dans un visage, une trajectoire, un souffle. La distribution est pourtant impressionnante : Lucie Laruelle, Babette Verbeek et Samia Hilmi, toutes jouant ici dans leur premier film, livrent des interprétations d’une justesse saisissante. Elles incarnent leurs personnages avec une authenticité troublante et un naturel évident, comme si la caméra avait simplement capté leur propre vécu. Pourtant, bien que le casting soit puissant, le film n’autorise l’émotion que par petites touches, ne laissant que rarement place à une immersion profonde. Ces portraits de jeunes filles malmenées par la vie, mais tenaces, font preuve de résilience. L’émotion surgit par fragments, dans une approche quasi-documentaire où la caméra préfère toucher plutôt qu’explique (une méthode en accord avec les origines documentaires des Dardenne, eux-mêmes issus de ce milieu). Leur regard social sans jugement reste intact. Mais la mécanique dramatique, trop verrouillée, finit par prendre le pas sur les personnages : à force de vouloir tout couvrir, de sauter d’un destin à l’autre, le film s’éparpille. Ce qui faisait la force de leur cinéma, une intensité cristallisée et une émergence à échelle humaine se dilue ici dans une prolifération parfois frustrante, où l’impact émotionnel cède peu à peu à la surcharge narrative.
Conclusion
JEUNES MÈRES révèle les fractures d’une maternité subie plutôt que choisie. Si la multiplication des récits affaiblit la concentration narrative habituelle des Dardenne, elle n’entame pas la sincérité du regard porté sur ces jeunes femmes ni la force des interprétations. Le film pose des questions essentielles sur des parcours que la société préfère ignorer. Un film à voir.