De passage à Genève pour la présentation de leur film PRODIGIEUSES, Frédéric et Valentin Potier, père et fils, nous ont accordé un entretien sur les secrets de fabrication de leur film. Il est aussi question de leur rencontre avec ces sœurs Pleynet qui se sont battues pour transcender un destin tragique et continuer leur art coûte que coûte. Une formidable leçon de résilience et de persévérance. Incarné également par Frédéric Potier dont le cancer l’a rendu mutique, il était néanmoins présent.
Interview Valentin et Frédéric Potier | PRODIGIEUSES
- Publié le 13. novembre 2024
«Ce duo de ces sœurs jumelles pianistes est d’une rare intensité, un peu mystérieux, et c’est ce qu’on a voulu transmettre dans le film.»
D’un seul coup, des années de travail, des années d’investissement, des années de passion, d’efforts, de rêves, sont réduits à néant, nous dit Ève Ruggieri à propos des pianistes virtuoses Diane et Audrey Pleynet. Elles avaient 16 ans lorsqu’une maladie orpheline les a privées de l’usage de leurs mains. Aujourd’hui, ensemble, à force de persévérance et de résilience, elles se produisent en concerts et écrivent ainsi une nouvelle page de l’histoire de la musique. Cela valait largement que le cinéma s’empare de cette histoire pour en écrire «Prodigieuses». Les jumelles Pleynet deviennent les sœurs Valois interprétées avec sensibilité et justesse par Camille Razat et Mélanie Robert, accompagnées par la formidable comédienne Isabelle Carré. Une fratrie de réalisateurs, Frédéric et Valentin Potier, nous propose un film riche d’enseignements sur une sororité hors du commun.
Interview de Valentin et Frédéric Poitier : un duo père-fils à la réalisation
Par Ondine Perier
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Bien sûr. Je suis Valentin Poitier, co-réalisateur avec mon père, Frédéric Poitier. Mon parcours a débuté en publicité aux côtés de mon père qui a une longue expérience dans ce domaine. C’est en le suivant que j’ai appris le métier, d’abord comme monteur, puis en passant peu à peu derrière la caméra. Ce film est notre premier long métrage ensemble. Un rêve pour lequel on a travaillé des années, avec la même envie de faire connaître cette histoire qui nous a bouleversés.
Comment avez-vous rencontré les sœurs Pleynet et découvert leur histoire ?
Ce n’est pas une histoire très connue, et nous-mêmes n’en avions jamais entendu parler. C’est un ami qui nous a mis en relation avec elles, lors d’un café. On a passé trois heures ensemble, elles se sont livrées comme jamais. Elles nous ont raconté des anecdotes poignantes : comme ce moment où elles se sont retrouvées sur scène, incapables de jouer en raison de leur maladie, trop fragiles pour toucher un piano. C’était intense, on en a eu des frissons. On est sortis de là convaincus que cette histoire méritait d’être racontée. Leur résilience et leur lien puissant nous ont touchés profondément.
Comment s’est passée la phase d’écriture avec elles ?
Elles nous ont confié des centaines de pages de leur vie, des fragments d’intimité qu’elles écrivaient malgré la douleur que cela leur causait. Elles utilisaient des gommes et des stylos retournés pour ne pas aggraver leur état. Ces écrits étaient si denses qu’il nous a fallu sélectionner et trouver l’angle qui nous permettrait de raconter cette transformation, ce moment où elles allaient devenir des femmes et s’affranchir de l’influence étouffante de leur père.
Justement, ce père (incarné par Franck Dubosc) est dépeint de façon très dure dans le film. Est-ce une part romancée de l’histoire ?
Pas du tout. C’est un aspect véridique. Leur père était extrêmement exigeant, parfois tyrannique, voulant faire d’elles des prodiges, à tout prix. Il leur interdisait toute activité qui pourrait nuire à leur jeu de piano, même les entraînements de gymnastique à l’école. Cette pression incessante a façonné leur carrière, certes, mais elle a aussi été la cause de beaucoup de souffrance. Ce film interroge justement cette frontière entre ambition et bienveillance parentale.
Ont-elles pardonné cette éducation sévère ?
Oui, je crois. Elles ont fini par trouver leur propre voix dans la musique, par jouer pour elles-mêmes et non pour répondre aux attentes paternelles. Le film aborde cette réconciliation subtile, sans jugement. Elles comprennent aujourd’hui que leur père agissait par amour, même maladroitement. Cela nous a poussés à explorer comment les enfants peuvent réagir face aux exigences parentales : faut-il les écouter ou les encourager malgré eux ?
Le thème de la gémellité est central. Comment l’avez-vous ressenti en les rencontrant ?
C’est fascinant. Elles terminaient les phrases de l’autre, avec une complicité presque magique. Chacune a sa personnalité, mais elles partagent un lien unique qui transcende tout. Cela se manifeste aussi dans leur jeu de piano, où leurs doigts se synchronisent comme un ballet. Ce duo est d’une rare intensité, un peu mystérieux, et c’est ce qu’on a voulu transmettre dans le film.
Vous aussi vous êtes un duo à la réalisation. Y voyez-vous des parallèles ?
Absolument, on nous le fait souvent remarquer. Travailler à deux est une chance, même si ce n’est pas toujours facile. On s’apporte mutuellement et on se soutient dans les épreuves. D’ailleurs, juste avant le tournage, Frédéric a traversé un cancer. Cela a remis beaucoup de choses en perspective, mais il était impensable de continuer sans lui. C’était un projet à deux ou rien. Cette solidarité, cette force qu’on puise l’un dans l’autre, on la retrouve dans le film.
Le film aborde les performances musicales. Comment avez-vous dirigé des actrices qui ne sont pas pianistes ?
C’était un défi de taille. Il fallait créer une illusion crédible de virtuosité. Camille et Mélanie ont suivi un coaching intensif au piano pour reproduire les gestes, l’aisance des sœurs Plénet. Nous avons aussi fait appel à des doublures pour les gros plans sur les mains. Tout devait être précis, sans tricher, car on voulait que le spectateur ressente l’émotion au bout des doigts. On est même allé filmer à l’intérieur d’un piano pour capturer cette sensation de cordes vibrantes.
Comment les sœurs Pleynet ont-elles participé au film ?
En raison de leur santé, leur participation directe a été limitée. Elles nous ont toutefois guidés sur les aspects techniques et partagés des vidéos pour illustrer leur technique. Leurs conseils nous ont permis de conserver l’essence de leur art. Pour Camille et Mélanie, parler et jouer en même temps s’est révélé complexe, car cela ne leur est pas naturel. On tenait à ce que cette fluidité fasse partie de leur jeu, sans tricher avec les émotions.
Le casting du film est aussi très diversifié. Comment se sont déroulés les échanges sur le plateau ?
L’ambiance était formidable. Franck Dubosc et Isabelle étaient bienveillants et toujours à l’écoute. Franck, par exemple, a immédiatement compris qu’il devait se mettre au service de cette histoire et de ses jeunes actrices, Camille et Mélanie. Personne n’a joué de son ego, tout le monde était là pour le film. Cette énergie de solidarité entre les acteurs a nourri le projet.
Quel accueil le film a-t-il reçu ?
L’accueil a été extraordinaire. À La Baule, à Angoulême, les spectateurs ont réagi très intensément, certains étaient en larmes. Une dame est venue nous dire que le film lui donnait espoir et la force de continuer, et une petite fille nous a confié que le film lui avait donné envie de faire du piano. On a rencontré un homme dont le frère atteint de Parkinson continuait à jouer du piano. Ce genre de témoignage est très précieux pour nous.
Avez-vous pris des libertés créatives pour adapter cette histoire ?
Bien sûr, adapter mille pages de souvenirs en un film demande des choix. Nous avons choisi de centrer l’histoire sur le moment où la maladie se déclare, mais avec des scènes qui font écho à leur enfance. L’essentiel était de rester fidèles à l’émotion et à l’essence de ce qu’elles ont vécu, même si certains aspects ont été romancés.
Quel est votre prochaine projet ensemble ?
Nous travaillons sur un nouveau projet intitulé Les Prodigieux, inspiré d’un livre intitulé Des Voyous Magnifiques. C’est l’histoire de deux personnages qui, malgré leurs disputes, restent liés par un profond attachement. C’est encore une exploration de la dualité et de la filiation, mais dans un autre registre. On ne peut s’empêcher de revenir à ces thématiques qui nous tiennent à cœur.
Merci, Valentin et Frédéric Potier.