Michel Gondry revient, huit ans après son dernier film, pour présenter son histoire. Alors qu’il souffre de crises délirantes sur le tournage de L’ÉCUME DES JOURS en 2015, une profusion d’idées toutes plus loufoques les une que les autres l’emmène dans un tourbillon sans fin. LE LIVRE DES SOLUTIONS est le récit touchant et drôle de ses échecs, mais aussi de ses victoires éclatantes. Dans l’interview, il révèle ce que Paul McCartney a à voir avec tout cela.
Interview Michel Gondry | LE LIVRE DES SOLUTIONS
LE LIVRE DES SOLUTIONS | Synopsis
Marc s’enfuit avec toute son équipe dans un petit village des Cévennes pour finir son film chez sa tante Denise. Sur place, sa créativité se manifeste par un million d’idées qui le plongent dans un drôle de chaos. Marc se lance alors dans l’écriture du Livre des Solutions, un guide de conseils pratiques qui pourrait bien être la solution à tous ses problèmes…
Interview par Lliana Doudot
Vous n’aviez plus réalisé de long-métrage depuis MICROBE ET GASOIL en 2015, quelle a été pour vous l’impulsion de recommencer un nouveau projet ?
Je tiens à préciser que j’ai fait beaucoup de choses pendant cette période ! Parce que vous comptez huit ans de pause, mais un film se commence quand même deux ans avant sa sortie. Donc disons six ans. Ensuite, deux ans de Covid qu’on peut enlever, ça fait quatre ans. Maintenant, vous pouvez demander à tous les réalisateurs si quatre ans, ça leur paraît excessif entre deux films, et ils vous diront non. Pendant ces années, j’ai fait une série de deux saisons avec Jim Carrey qui s’appelle KIDDING. J’ai fait plein de dessins animés pour ma fille. J’ai fait quelques clips et quelques pubs. En fin de compte, je n’ai pas du tout glandé!
Et pourquoi la réalisation d’un long-métrage maintenant, alors ?
C’est par rapport à des commentaires de mon fils, très présent pendant la crise que je traversais sur le tournage de L’ÉCUME DES JOURS, qui a vu comment je me comportais, les choses que je faisais. Il en parle souvent à ses amis, parce qu’il y avait des trucs très, très drôles qui se passaient, et qui ne sont d’ailleurs même pas dans LE LIVRE DES SOLUTIONS. Il m’a dit: «On aurait dû faire un documentaire pendant cette période», parce que c’était vraiment complètement délirant. Et je me suis dit: «Bon, je vais quand même écrire ce qui s’est passé sur des petites fiches.» Je les ai alignées par terre, et j’ai pensé: «Peut- être que ça fait un film. Je vais tenter le coup.» Je n’y croyais pas du tout, en fait. Et puis finalement, c’est ce film qui s’est dessiné plus que les autres projets.
Marc, un jeune réalisateur excentrique, est votre homologue romancé dans le film. Lorsqu’on suit ses expériences loufoques, on se demande toutefois à quel point est-ce vraiment autobiographique. À quel degré de véracité se trouve-t-on dans LE LIVRE DES SOLUTIONS ?
Il y a une grande partie de ce qu’on peut voir dans le film qui sont des expériences que j’ai vraiment mises en place lors de ma période de crise. Une autre partie a été uniquement pensée, et réalisée à travers ce film. Une dernière fraction de choses a été faite dans la réalité, mais n’a pas été mise dans le film. Donc ça s’équilibre, mais c’est quand même assez honnête. Et surtout, le comportement de Marc est honnête aussi. Je n’ai pas essayé de le rendre plus sympathique.
Est-ce que partager dans ce film votre système de pensée, alors que vous étiez en proie à cette maladie mentale, a une fonction de documentation pédagogique et didactique ?
Oui. Je pense que fatalement on éduque, on décrit, et peut- être un certain nombre de personnes vont se reconnaître dans ce film, ou vont reconnaître des amis. Plutôt que d’essayer de l’expliquer en disant: «Allez voir un docteur, le docteur vous dira que vous avez, votre état c’est à cause de ça ou ça», j’ai voulu simplement montrer cela de manière la plus neutre possible. Ça devient donc effectivement un petit peu un documentaire de cet état. Ce qui s’est passé, ce que j’ai produit, fabriqué ou créé pendant cette période. J’ai ainsi décrit la maladie, si on veut l’appeler comme ça, de manière plus forte que si j’en parlais directement.
C’est une œuvre qui montre aussi le soutien sans limite de votre entourage et une sorte d’ode à la créativité sans limites. C’était important pour vous, de souligner les côtés positifs de cette situation malgré les difficultés ?
Je voulais rendre hommage aux personnes qui m’ont accompagné, parce qu’elles en ont bavé. Quand j’ai commencé à écrire le scénario et travailler avec Pierre Niney, on s’est bien dit qu’il ne fallait pas qu’on cherche à rendre le personnage romantique, ou à essayer de le comprendre. J’ai donc trouvé un moyen plus simple pour qu’on l’apprécie quand même, c’est à travers ce regard d’empathie, et même d’amour, que les femmes qui travaillent avec lui et qui l’aident ont sur lui. Alors qu’il est insupportable, elles veulent l’aider et l’aimer quand même, parce qu’elles le connaissent d’avant cette crise. Ce sont aussi des techniciennes qui ont développé cette passion pour le travail en collaboration avec lui, et s’étaient attachés à lui par rapport à sa créativité.
C’était aussi pour célébrer les « victoires éclatantes » de la crise, comme Marc le dit dans le film ?
Oui, c’était une partie de mon intention quand j’ai commencé à écrire le film. Je voulais répertorier les catastrophes et les réussites. Les gens autour de moi ont vu que dans ma tête, mes pensées allaient dans des directions bizarres: si je les avais écouté, j’aurais tout perçu comme un échec. Et moi, j’avais envie de voir quand même les réussites que j’avais atteintes. À l’époque, on avait par exemple eu Paul McCartney pour faire de la basse sur la musique originale de L’ÉCUME DES JOURS, ce qui était incroyable. C’était ma désinhibition, provoquée par mon état, qui faisait que j’osais faire les choses. J’osais aussi engager un orchestre de 50 musiciens et les diriger en improvisant. J’osais dire à ma tante d’aller voir un médecin et de la menacer pour qu’elle aille se soigner. Donc, c’était important pour mon équilibre mental de me dire que malgré mes troubles, il y avait quand même eu des succès très intenses, que ce n’était pas une année de trous noirs et de catastrophes. J’avais un sentiment énorme d’isolement, parce que les gens avaient arrêté de me comprendre, parce que je faisais aussi un peu n’importe quoi, c’est vrai. Mais je voulais continuer à avancer, à croire en mes idées.
Par rapport au casting, avez-vous directement pensé à Pierre Niney pour jouer votre rôle ? Et Françoise Lebrun qui interprète votre tante ?
Au départ, je voulais tourner ce film-là aux États-Unis. J’avais peur que les gens voient trop le côté méta par rapport à L’ÉCUME DES JOURS si je le faisais en France. Mais c’est finalement ce qui s’est décidé. J’ai alors pensé assez rapidement à Pierre Niney, parce qu’on avait une sorte de lien : il m’avait choisi comme parrain pour une cérémonie en 2012, et j’ai vu l’évolution de sa très bonne carrière. Je le voyais bien dans ce rôle. Françoise Lebrun, pour sa part, n’a pas voulu regarder mon documentaire sur ma tante alors qu’elle l’interprète. Elle a eu entièrement raison, parce que je trouve que le meilleur moyen de travailler, c’est de prendre le script et le tirer vers l’acteur, puis de prendre l’acteur et de le tirer vers le script. On se rencontre alors au milieu. Parce que si l’acteur va jusqu’au script, il fait finalement de l’imitation et il perd de sa substance. Ce que j’ai aimé avec Pierre Niney, c’est qu’il allait à fond, il n’avait pas peur du ridicule. Je trouvais que c’était important qu’il soit prêt à jouer le jeu. En plus, il me voyait sur le tournage en tant que réalisateur, il m’observait du coin de l’œil et des fois, je voyais de petites choses apparaître dans son jeu que je ne lui avais pas dites de faire, et qu’il avait remarqué de moi. Quand je dirige les acteurs, je ne donne pas de direction pour les premières prises, pour être surpris. Pierre m’a agréablement surpris.