Interview Cédric Kahn | LE PROCÈS GOLDMAN
«Ma crainte quand j'ai fait le film, c'est que ça n'intéresse que les Français et que les vieux de gauche et en fait ça a l’air de s’élargir»
Immense succès auprès de la critique et du public français puisque LE PROCÈS GOLDMAN a attiré déjà plus de 100’000 spectateurs.trices au bout de la 1ère semaine d’exploitation.
LE PROCÈS GOLDMAN | Synopsis
En novembre 1975, débute le deuxième procès de Pierre Goldman, militant d’extrême gauche, condamné en première instance à la réclusion criminelle à perpétuité pour quatre braquages à main armée, dont un ayant entraîné la mort de deux pharmaciennes. Il clame son innocence dans cette dernière affaire et devient en quelques semaines l’icône de la gauche intellectuelle. Georges Kiejman, jeune avocat, assure sa défense. Mais très vite, leurs rapports se tendent. Goldman, insaisissable et provocateur, risque la peine capitale et rend l’issue du procès incertaine.
Interview par Ondine Perier
Votre 12ème film, Le Procès Goldman qui est un film de procès inspiré totalement de faits réels soit le 2nd procès de Pierre Goldman, condamné à la perpétuité en 70 pour le meurtre de deux pharmaciennes survenu en 69. Votre film se concentre sur le second procès puisque la Cour de cassation a annulé le 1er jugement en novembre 75 et la renvoyé à la Cour d’Assises d’Amiens. Ce second procès aura lieu 6 mois plus tard en avril 1976. Et votre film LE PROCES GOLDMAN retrace ces 5 jours de procès en moins de 2 heures et c’est tout simplement magistral en termes de directions d’acteurs, d’immersion dans ces années 70, etc. On est littéralement propulsé dans ce tribunal et on va assister à 2 heures de joutes verbales impressionnantes d’intelligence et de densité. Un hommage à la justice et à la parle sacrée de Goldman et des avocats. Vous êtes également à Zürich pour présenter votre 13ème film MAKING OF qui est une sorte de mise en abyme de votre métier de réalisateur qui se trouve sur son lieu de tournage où il va rencontrer des déboires avec des producteurs fourbes, acteurs cabotins etc, traitée sous l’angle de la comédie.
Vous avez déclaré en 2015 à Angoulême que vous construisiez vos films les uns contre les autres. Compte tenu de la proximité des dates de sorties de vos 2 derniers films, Avez-vous avez réalisé MAKING OF contre LE PROCES GOLDMAN ?
Non, parce que je l’ai réalisé avant. MAKING OF a été un film long à se mettre en place, le casting, le financement. À l’inverse LE PROCÈS GOLDMAN s’est fait vraiment dans une sorte d’urgence, comme ça, très rapide. Tout est allé très bien. Vite. Et donc ils se sont percutés entre la lenteur de l’un et la rapidité de l’autre. Je les ai fait en même temps, quasiment. J’ai tourné MAKING OF en janvier et j’ai tourné GOLDMAN en mai de la même année. Voilà l’histoire. Quand je dis que je fais un film l’un contre l’autre, c’est que je fais un film, puis je réfléchis. J’ai besoin, pour me remettre en marche, de retrouver du désir, de m’inventer un défi nouveau. Je crois que l’expression « contre » est inappropriée. C’est plus que j’ai besoin que dans un film, il y ait quelque chose que je ne sache pas faire. Bref, il faut aussi qu’il y ait une aventure personnelle, il ne faut pas que ce soit juste un film de plus.
Revenons au PROCÈS GOLDMAN, vous avez tourné en 14 jours, vous avez écrit le scénario, avec Nathalie Hertzberg en 6 mois, tout a été – comme vous l’avez dit – très vite, comme une fulgurance dans l’écriture et un sentiment d’urgence concernant le tournage.
Même moins que ça ! L’écriture n’a pris que 2 mois et 4 mois avant, Nathalie a fait ce gros travail de documentation sur le procès en retranscrivant les comptes rendus des journaux de l’époque puisque les minutes du procès faisaient défaut. Mais le film est quand même le fruit d’une maturation aussi puisque ça fait 15 ans que je veux faire un film sur Goldman, depuis que j’ai lu son livre qu’il a écrit en prison entre ses deux procès («Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France»). C’est un peu comme une procréation très lente et un accouchement très rapide.
Quel a été votre plus grand plaisir de scénariste et de réalisateur pendant le processus de création ?
Comme scénariste c’était ma rencontre avec ma co-scénariste Nathalie Herzberg, qui a été très heureuse, très amicale, très créative. Et c’est de notre rencontre qu’est née l’idée du film. On s’est rencontrés par hasard, elle m’a rappelé quand on s’était vu 15 ans auparavant, que je l’avais contactée pour faire un film, pour parler de Goldman, parce que je savais qu’elle avait travaillé sur un film sur Goldman. Le lendemain matin de notre rencontre, je l’ai appelée et lui ai dit « Écoute, cette rencontre, cette conversation est divinatoire, On va faire le film sur Goldman».
Et comme réalisateur, c’était ce moment où j’avais tout le monde en même temps. J’avais 120 personnes à l’image tous les jours. Je me souviens de l’audition de la scène de Christiane, la femme de Goldman, à un moment, tout le banc des Antillais s’est levé derrière cette femme noire tellement belle, tellement digne et ça m’a prucuré une émotion incroyable ce jour-là. J’en avais presque les larmes aux yeux.
Vos acteurs semblent être habités par leurs personnages, vous avez notamment dit lors d’une interview que Arieh Worthalter vous apparaissait comme une sorte de réincarnation de Goldman. Je me suis demandée s’il y avait – du fait de cette forte appropriation – des tensions entre les acteurs par moment ? Je pense notamment à Arthur Harari vs Nicolas Briançon qui s’invectivent à plusieurs reprises compte tenu de leurs rôles.
Non, jamais, c’était un tournage très heureux, très bienveillant. C’est des mecs adorables, très joyeux. Et puis il y avait une ambiance sur ce tournage, toute cette salle, il y avait une communion entre l’équipe technique, la salle, les acteurs, les figurants. La fin du tournage était très émouvante. On a tourné de manière chronologique par rapport au film donc la dernière scène du film est aussi la dernière scène du tournage et c’est la seule scène qui est tournée de nuit. On a donc fini très tard et là, on a rendu hommage à tous les acteurs. On s’est tous applaudis les uns les autres et c’était hyper émouvant. C’est comme si les gens n’avaient pas vraiment envie de quitter cette ambiance. Tout le monde venait tous les matins. La particularité de ce tournage, c’est que tout le monde était là tous les jours et ça c’est très rare.
Comment avez-vous eu l’idée de proposer aux figurants d’assister au tournage sans avoir lu le scénario et de réagir spontanément aux rebondissements du procès ?
En fait, on ne fait jamais lire le scénario aux figurants ; c’est considérablement les personnes les moins impliquées sur un film. Et donc, l’idée n’était pas nouvelle. En revanche, ils étaient libres de leurs réactions, ils connaissaient bien sûr leur fonction sociale, s’ils étaient soutien, copain, ennemie, badaud, etc.
Les rires, les applaudissements, les cris, tout ce qui fait qu’une salle vit, c’est totalement spontané. Ce qui donne une profondeur et induit le jeu des comédiens. Ils jouent avec une salle qui respire, ils jouent pour la salle et non pour les caméras et c’est très différent. L’énergie que mettent les comédiens à convaincre 120 personnes n’aurait pas été la même que s’ils s’adressaient à une caméra ; ça n’aurait pas été fait avec la même puissance de conviction.
Et comment vous est venue l’idée du dispositif justement ?
Tout de suite. Quand j’ai proposé le film au producteur, je lui ai dit d’emblée « Je vais faire un film sur Goldman qui va se concentrer sur son second procès, rien que ce procès, ça durera trois semaines (14 jours travaillés). On va tourner salle pleine tous les jours avec trois caméras. Je lui ai présenté le projet comme ça. Ensuite il a essayé de me faire renoncer à des choses parce que tout ça avait un prix et je n’ai renoncé à rien.
Parmi les plaidoiries, celle de l’avocat général interprété par Aurélien Chaussade est énoncée très posément, c’est aussi celle qui dépeint la personnalité de Goldman de manière la plus pertinente et qui semble rejoindre l’idée que vous avez du personnage, ai-je raison ?
Moi, j’aime beaucoup la plaidoirie de l’avocat général, je la trouve très pertinente, très convaincante. Alors, quand même, pour info, c’est la plaidoirie du premier procès et pas du deuxième. Et c’est la plaidoirie qui a condamné Goldman à la perpétuité. Ma co-scénariste et moi-même avons trouvé cette plaidoirie tellement incroyable, construite, brillante qu’on a décidé de tricher, de la rapatrier dans le deuxième procès, parce qu’on s’est dit « soyons exhaustifs, donnons la chance à chaque point de vue, donnons le maximum de puissance à chaque point de vue.»
Et cela signifie-t-il que vous pensez Goldman coupable ? Puisque vous avez déclaré avoir une opinion.
Oui, mais je ne veux pas imposer mon opinion à quelqu’un d’une part et d’autre part je trouve que le film est émancipé de tout jugement. Ce n’est pas important, en fait je suis comme un juré et chacun a son intime conviction. Le film n’est pas construit sur mon opinion.
Tout le travail de l’avocat Georges Kiejman est d’invalider le travail de la police et d’invalider le témoignage des témoins, c’est tout. Il ne dit jamais que Goldman est innocent. Il dit qu’il n’y a pas assez de preuves pour l’accabler, ce qui n’est pas du tout la même chose.
On l’a dit c’est un film reflet de la France des années 70, avec beaucoup de références françaises, pensez-vous que votre film aura malgré tout une résonance à l’étranger ?
J’espère. Comment savoir ? Mais j’ai été très agréablement surpris par les réactions de la presse étrangère qui s’est beaucoup intéressée au film et le film s’est très bien vendu à l’international. En fait ma crainte quand j’ai fait le film, c’est que ça n’intéresse que les Français et que les vieux de gauche et en fait ça a l’air de s’élargir et je m’en réjouis bien évidemment.
La reconstitution de l’époque est impeccable jusqu’au format carré de l’image. Avez-vous vous même une fascination pour cette époque des années 70 ou le cinéma des années 70 ?
Oui, j’aime bien. Même le cinéma américain de cette époque, «Panique à Needle Park» j’adore. Mais ce n’était pas ça ma motivation de faire un film vintage années 70. C’était vraiment au service du procès.
Avez-vous eu un retour de son demi-frère, le célèbre chanteur Jean-Jacques Goldman ou savez-vous s’il a vu et apprécié le film qui est aussi en quelque sorte un hommage à l’effroyable intelligence et l’art de la rhétorique de Goldman?
Je crois qu’il ne l’a pas vu mais il a envoyé des proches le voir, des espions (rires) mais je n’ai pas eu de retour direct. Je pense que les espions lui ont dit que le film était convenable. Je crois qu’il a plutôt émis le désir de ne pas le voir mais je n’ai aucun lien direct avec ses proches. Moi, j’ai une position très simple : Jean-Jacques Goldman a toujours été très discret, Il n’a jamais parlé dans aucune interview ni de cette affaire ni de son frère, donc je respecte cette discrétion.
LE PROCES GOLDMAN était sélectionné à la 15aine des cinéastes à Cannes, MAKING OF à la Mostra de Venise, vous avez eu droit à une rétrospective à la Cinémathèque française, ça se passe très bien pour vous, vous êtes un réalisateur accompli est-ce que vous auriez un conseil à donner à un jeune cinéaste ou étudiant en cinéma qui rêve de faire ce métier ou un écueil à lui faire éviter ?
Alors j’ai bien préparé cette réponse parce qu’on me l’a posée souvent et mon conseil, c’est «n’écoute aucun conseil».
Avez-vous connu des périodes de découragement ?
Moi, j’ai tout connu en tant que réalisateur. J’ai connu des échecs aussi. Mon dernier découragement, je m’en suis fortement inspiré pour la réalisation de MAKING OF qui parle d’un cinéaste en burn-out et est en quelque sorte mon double. En fait, j’ai très mal vécu la période du Covid, d’immobilisation, j’avais un projet que je n’ai pas réussi à faire. J’ai écrit un scénario que j’avais beaucoup de mal à écrire, ça patinait. Non seulement j’ai eu beaucoup de difficultés à l’écrire, mais en plus, il n’a pas plu. Et pour conjurer ce découragement, j’ai écrit une comédie. Je me suis dit non seulement je vais raconter mon état, mais je vais le raconter pour faire rire.
Pour finir, quelques questions du tac au tac : parmi les films programmés au ZFF, y en a-t-il un que vous avez particulièrement envie de voir ?
SIMPLE COMME SYLVAIN de Monia Chokri, une réalisatrice que j’aime beaucoup.
Le dernier film que vous avez vu au cinéma ?
ANATOMIE D’UNE CHUTE, film de procès aussi et qui est en plus co-scénarisé par Arthur Harari qui joue Maître Kiejman. C’est un film que j’ai beaucoup aimé.
Le livre que vous lisez en ce moment ?
«Humus» de Gaspard Koenig (dans la liste des prétendants au Goncourt NDLR).