Le huitième long-métrage d’Arnaud des Pallières nous plonge dans l’hôpital de La Pitié Salpêtrière en 1894. Il reviendra sur le bal des folles, un évènement à la fois mondain et tragique.
Interview Arnaud des Paillères | CAPTIVES
- Publié le 12. novembre 2023
«Bien que les personnages soient confrontés à des difficultés, leur réalité n'est pas dépourvue de couleurs.»
CAPTIVES | Synopsis
Paris, 1894. Qui est Fanni qui prétend s’être laissée enfermer volontairement à l’Hôpital de la Salpêtrière ? Cherchant sa mère parmi la multitude des femmes convaincues de « folie », Fanni découvre une réalité de l’asile toute autre que ce qu’elle imaginait, ainsi que l’amitié inattendue de compagnes d’infortune. Le dernier grand bal de la Salpêtrière se prépare. Politiques, artistes, mondains s’y presseront. Dernier espoir d’échapper au piège qui se referme…
Interview par Djamila Zünd
Comment est née l’idée de réaliser un film sur l’internement des femmes à l’Hôpital de la Salpêtrière, à la fin du XIXe siècle ? Y a-t-il un lien avec le roman de Victoria Mas, « Le Bal des folles » ?
Non, pas du tout. Jonathan Blumental, le producteur avait déjà eu l’idée de réaliser ce film suite à la lecture d’une page Wikipédia traitant d’un événement historique avéré : le bal qui avait lieu chaque année à l’Hôpital de la Salpêtrière. Il m’a alors proposé de réfléchir à une histoire sur ce sujet, ce que j’ai fait en collaboration avec ma co-scénariste Christelle Berthevas, avec qui j’avais déjà travaillé sur deux films. Quand nous avons commencé à écrire le scénario, nous étions les seuls à explorer le thème, aucun roman n’avait encore été publié. C’est à ce moment que Victoria Mas publie son roman. D’ailleurs, nous avons été approchés pour l’adapter mais, nous avons décliné, car nous avions déjà développé notre propre histoire.
En ce qui concerne le roman de Victoria Mas, nous avons délibérément opté pour ne pas le lire à sa sortie en raison de ses connotations fantastiques. Sa perspective, davantage orientée dans ce sens, divergeait considérablement de la nôtre, plus axée sur des faits historiques. Ma démarche en tant que cinéaste est solidement enracinée dans le matérialisme et le réalisme.
L’aspect historique des conditions de vie à l’hôpital de la Salpêtrière étant au cœur de votre intérêt, comment avez-vous veillé à l’exactitude historique tout au long de l’élaboration du scénario ?
Afin de garantir l’exactitude historique, nous avons réalisé des investigations approfondies, en bénéficiant des compétences d’historienne de ma co-scénariste. Les personnages principaux s’inspirent de personnes réelles découvertes au cours de nos recherches, même si les dates ont parfois été légèrement modifiées. Notre objectif étant de restituer de manière authentique l’époque du récit en utilisant des décors réels, recréant ainsi fidèlement l’atmosphère distinctive de l’Hôpital de la Salpêtrière.
Précisément dans cette quête d’exactitude et de fidélité, comment avez-vous géré la représentation des asiles dans votre film, notamment dans le choix des décors entre originaux et studios, et comment avez-vous évité les clichés pour assurer un portrait juste mais nuancé des personnages, sans les stigmatiser ?
Aucun décor n’a été construit en studio. Bien que mon rêve aurait été de tourner à la Salpêtrière, cela s’est avéré impossible en raison de la période du COVID-19 et de la fonctionnalité active de l’hôpital. Nous avons plutôt opté pour une reconstitution des lieux en filmant dans différents espaces historiques dans tout Paris. Le travail sur la lumière, les costumes et la manière dont nous avons filmé les corps et les visages visaient à créer une esthétique visuelle éloignée des préconçus habituels des films historiques. En nous basant sur des autochromes de l’époque, nous avons découvert et exploité les couleurs vives et variées qu’elles nous ont offertes, tout en révélant une richesse chromatique souvent méconnue. L’objectif était de rendre le passé aussi vivant que possible, en évitant les stéréotypes conventionnels.
Notre ambition était de donner à l’histoire une touche contemporaine. En étroite collaboration avec ma co-scénariste, nous avons alors entrepris une recherche approfondie des nuances de couleurs caractéristiques de l’époque. Notre objectif était de transcender les clichés associés aux films historiques en évitant les tons sombres et ternes souvent utilisés. Nous avons délibérément choisi de présenter un monde de couleurs inattendu et vibrant. Le contraste entre la cruauté de la vie quotidienne et la présence lumineuse du soleil était une stratégie clé pour renforcer le réalisme de l’histoire. L’utilisation de couleurs vives était également un choix délibéré pour montrer que, bien que les personnages soient confrontés à des difficultés, leur réalité n’est pas dépourvue de couleurs. D’ailleurs, lorsque l’équipe de montage a découvert les rushes, la surprise face à la vivacité et à la richesse des couleurs était palpable. L’utilisation de ce nuancier nous a permis d’adoucir l’âpreté de l’histoire.
Les autochromes du XIXe siècle ont donc été une source d’inspiration majeure, nous ouvrant les portes à une richesse chromatique trop souvent sous-estimée pour cette période de l’histoire. Ces images d’archives ont donc influencé les tons utilisés dans les costumes, le maquillage et les décors du film, contribuant à éviter les stéréotypes conventionnels de noirceur et de morosité pour ce type de film.
Comment avez-vous abordé le choix de la distribution des rôles pour le film ?
L’écriture visait à offrir une diversité de personnages féminins, dépassant les attentes traditionnelles. L’idée était de représenter les multiples facettes de la féminité – du comique au sérieux, de la colère à la folie – en explorant toutes les dimensions de la vie des femmes au-delà des clichés. Certaines actrices étaient envisagées dès le début, comme Josiane Balasko et Yolande Moreau. D’autres sont venues plus tard dans le processus, émergeant de la nécessité de l’écriture des personnages.
Comment votre expertise dans la réalisation de films documentaires a-t-elle influencé les choix esthétiques et de mise en scène ?
Ma décision d’opter pour une caméra au style documentaire était motivée par le désir de rompre avec la tradition souvent posée et académique des films d’époque. Souvent, ces films sont marqués par une esthétique classique et travaillée, dictée par une notion parfois trop respectueuse du passé. Mon approche, guidée par mon intérêt pour le passé en tant que présent au cinéma, consistait à injecter une dose de contemporanéité dans la narration.
Je partage l’idée que le passé doit être exploré avec une caméra qui hésite, qui cherche, qui se positionne de manière similaire à un journaliste en quête d’informations. L’utilisation stratégique du zoom, des mouvements flottants, et même du flou gardé au montage, ont été délibérés. Ces choix cinématographiques ont été intégrés pour capturer les ressentis du personnage principal, offrant ainsi au spectateur une expérience immersive et authentique.
En m’inspirant de l’idée de ne pas craindre le flou, de le laisser parfois se manifester et de le conserver au montage, j’ai cherché à créer une esthétique visuelle qui transcende les conventions habituelles associées aux films d’époque. Cette approche visait à apporter du dynamisme et de la spontanéité, rompant ainsi avec le côté trop figé et prévisible souvent attribué à ce genre de films.
Une autre idée fondamentale était de placer le spectateur directement dans le regard du personnage principal. Cela renforce l’immersion en permettant au public de partager les perspectives et les émotions du personnage. En embrassant une esthétique cinématographique contemporaine et en adoptant une approche immersive, mon objectif était de créer une connexion émotionnelle et narrative qui transcende les barrières temporelles, transformant ainsi le passé en une expérience cinématographique vibrante et pertinente.
Pour clore cet entretien, je souhaiterais aborder une question plus générale. La thématique du festival cette année porte sur l’intelligence artificielle et ses évolutions potentielles. Comment concilier cinéma et intelligence artificielle, notamment dans le contexte du film historique ?
Je pense qu’il n’y a pas de différence fondamentale entre le cinéma de fiction et le cinéma historique. Et d’ailleurs, je ne m’en fais pas du tout une spécialité.
J’essaie de faire un cinéma imprévisible. L’intelligence artificielle, selon moi, repose sur des principes de fonctionnement et de calcul statistique. En restant en marge, en demeurant singulier, on échappe davantage à l’emprise des statistiques et on devient moins prévisible, moins assimilé aux données statistiques.
Maintenir une singularité artistique est une manière de se protéger contre les éventuelles productions de l’intelligence artificielle dans le domaine cinématographique. Pour le moment, je n’ai pas encore exploré comment je pourrais intégrer des outils d’intelligence artificielle à certaines étapes de mon travail. Je n’ai pas encore défini lesquelles, car peut-être que sur mon prochain projet, l’un de mes collaborateurs, qu’il s’agisse d’un opérateur, d’un mixeur, d’un ingénieur du son, ou d’un spécialiste des effets spéciaux, me suggérera un outil capable de répondre de manière optimale à une de mes demandes spécifiques.