Cette année au GIFF, les spectateurs ont pu découvrir 110 œuvres (53 films, 27 séries, 28 expériences immersives et 2 spectacles) dont 17 premières mondiales, 7 internationales, 2 européennes et 64 suisses.
Anaïs Emery, à sa troisième édition à la tête du GIFF (3-12 novembre), s’est prêté au jeu de l’interview avec engouement.
Interview Anaïs Emery | GIFF 2023
- Publié le 15. novembre 2023
La directrice générale et artistique du Geneva International Film Festival s'exprime sur la 29ème édition, qui s'est achevée le 12 novembre.
Interview par Ondine Perier
Quels ont été les principaux temps forts de cette 29ème édition du festival ?
Les deux prix que l’on a remis cette année m’ont particulièrement tenu à cœur parce qu’ils sont en droite ligne avec les domaines artistiques sur lesquels on réfléchit beaucoup. Avec Kourtrajmé qui sont des passionnés d’audiovisuel avant tout. Ils ont véritablement aussi mis en avant tous les différents formats de l’audiovisuel, le clip, le court- métrage, le long- métrage. Ils abordent tous ces formats avec une passion toujours égalée. Avec des petits budgets, une inventivité vraiment incroyable et bien évidemment, un intérêt pour l’usage des nouvelles technologies. Et puis, deuxième point aussi très important autour de leur axe d’action, c’est la vision. Ça fait longtemps que ce collectif a été fondé, mais il a gardé une vision forte. Et puis, avec le développement de l’école, sous l’impulsion de Ladj Ly, il y a vraiment cette volonté de partage et de démocratisation du cinéma. Donc, les avoir tous ensemble, c’était très beau. C’est la première fois qu’ils s’étaient réunis pour une conférence. Et puis évidemment Jean-Michel Jarre qui est une des plus grandes stars avec lesquelles j’ai eu l’occasion de travailler. Sa présence ici était magnifique et sa présentation de l’oeuvre sur laquelle il a collaboré. Il a été aussi très généreux en donnant sa Masterclass, qui était d’une intelligence vraiment stratosphérique qu’on remettra en ligne au début de l’année 2024. Et puis, on a organisé une remise de prix aux Bâtiment des Forces Motrices qui était une très belle soirée, qui m’a vraiment touchée.
Quelles sont les évolutions majeures du festival depuis 3 ans ?
Merci de cette question. C’est vrai que c’est assez satisfaisant d’avoir mis des choses en place et puis ensuite de voir que ces choses prennent de l’ampleur au fil du temps. Il y en a plusieurs : La première, c’est la fréquentation et le mode d’interaction entre le public et la création numérique. On se donne de plus en plus de peines autour de notre exposition qui s’appelle Les Territoires virtuels, qui rassemble l’ensemble des œuvres numériques et restaurative présentes. Cette année, on avait une nouvelle scénographie qui est durable et qui fait rentrer le festival dans une nouvelle dimension eu terme d’une exposition des œuvres.
On a aussi beaucoup évolué dans notre interaction avec notre public autour des séries. On montre de plus en plus de séries de leur intégralité. Et puis, on a un nouveau modèle d’exposition des séries. Certaines ont certains épisodes projetés au cinéma et le reste est accessible en ligne. Ça a commencé l’année dernière. Là, on a répété l’expérience et ça prend très bien. Et puis, je suis très contente aussi de voir que le GIFF renforce son rôle de plateforme de lancement de séries suisses, parce qu’on en a aujourd’hui même, on va en lancer deux, une en provenance de Suisse alémanique et une du Tessin. Au début du festival, on a lancé LES INDOCILES et puis aussi hier, BREAK AWAY. Ça fait quatre séries suisses et je trouve que c’est très important pour nous de développer ce lien. Je finirai là-dessus avec la scène créative suisse. Et on a eu aussi une augmentation des accréditations pour le Geneva Digital Market, qui est un lieu de rencontre entre artistes, financiers, producteurs, etc. Et là, on voit un petit peu que justement, le lien un peu GIFF et cette scène créative, il se renforce, que l’utilité du festival aussi est mieux comprise, son positionnement. Et ça, ça me fait très plaisir qu’on va continuer de travailler dans cette direction.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur les lauréats de chaque compétition ?
Je commence peut- être par la section la moins évidente pour le grand public. Elle s’appelle Futur is sensible. C’est une section convergente qui fait aussi écho à l’aspect complètement convergent de notre festival. On a présenté dans cette section des films, des séries et des œuvres immersives qu’on rassemble autour de visions originales, inspirantes ou alors qui peuvent nous donner des pistes un peu différentes pour envisager notre futur. C’est une série norvégienne qui s’appelle THE ARCHITECT qui a gagné. C’est une série qui est très bien faite, qui est une série d’anticipation, qui souligne le rôle de l’urbanisme dans nos relations sociales et le rôle aussi pesant de l’urbanisme dans la lutte des classes, le fait qu’il y ait certaines personnes qui n’accèdent pas forcément au logement et le fait que c’est un domaine de notre planification sociale qui doit évoluer face à la gentrification.
La série qui a gagné s’appelle THE CLUB, qui est belge et qui est très intéressante de par son thème complètement original. Elle évoque le thème de la PMA, la procréation médicalement assistée, et on suit le destin de plusieurs couples qui se sont retrouvés à devoir utiliser ces technologies pour des raisons diverses et variées et qui finissent par interagir entre eux autour de cette thématique. C’est un drame, mais en même temps, c’est aussi une comédie. Et donc on est vraiment dans un domaine de la série qui est complètement loin du formatage auquel on pourrait s’attendre dans le domaine de la série, parce qu’il y a aujourd’hui une très grande production pléthorique. Et nous, au GIFF, on s’attache vraiment à montrer des œuvres qui sont innovantes de par leur structure, mais aussi de par leur thématique.
Enfin, celui qui a gagné le prix du meilleur film s’appelle VAMPIRE HUMANISTE CHERCHE SUICIDAIRE CONSENTANT. Il nous arrive du Québec et il a été réalisé par Ariane Louis-Seize. Nous avons tous adoré ce film parce qu’il prend à rebours tous les codes du film de genre pour réussir à parler du fait que nous, les êtres humains, on est tous différents et parfois, dans notre vie, on se sent à contre-sens, à contre-courant de ce qu’on a reçu d’héritage social, biologique et qu’on a toujours la possibilité d’essayer de s’affirmer et de chercher des solutions pour retrouver un équilibre à l’intérieur de soi. En plus, c’est une bonne comédie et c’est un film qui a été réalisé par une femme qui a beaucoup de talent et qui a su mettre cette thématique en scène avec beaucoup d’entrain. C’est très dynamique, très drôle et aussi questionnant.
Le Jury longs métrages est composé de jeunes étudiants en école de cinéma/audiovisuel depuis l’an dernier, pourquoi ce choix ?
Oui, depuis 2021 maintenant, on a un peu cassé la formule jury traditionnel pour le cinéma. Donc, on fait un concours dans les hautes écoles, soit de pratique, soit de théorie de cinéma et on sélectionne quatre étudiants et étudiantes et on leur demande de venir voir tous les films qu’on a sélectionnés. Et ils ont une personnalité importante dans le domaine de l’audiovisuel qui les accompagne. Pour nous, c’était intéressant d’impliquer la relève du cinéma autour des réflexions des prix et aussi de montrer que souvent dans les festivals, c’est assez asymétrique, la visibilité qu’on donne aux stars et celle accordée à la relève. C’était aussi intéressant de questionner ça à travers cette forme de jury.
Les prix de la compétition ont en lien de traiter des sujets très ancrés dans la réalité.
Mais ça, je ne l’ai pas maîtrisé parce que c’est aussi les jurys qui ont fait ces choix. Et puis, effectivement, en tout cas, moi, j’ai du plaisir à ce qu’on parle des enjeux de la société avec des points de vue qui sont très divers. Et je crois que ça se retrouve dans le palmarès.
Cette année le GIFF signe la chartre, promue par SWAN (Swiss Women’s Audiovisual Network), pour la parité et l’inclusion dans les festivals de cinéma, j’image que c’est une grande fierté ?
C’est une immense fierté. Et puis je crois qu’il y a vraiment beaucoup à faire pour tenter d’avoir une plus grande représentativité dans le domaine du cinéma. Parfois, on s’inquiète sur le futur de la relation entre l’audiovisuel et les nouveaux cinéphiles. Je pense que la diversité des thèmes, la diversité des modes d’expression, c’est une des réponses possibles pour ramener un maximum de jeunes spectateurs et spectatrices dans les salles, sur du cinéma indépendant, etc.
Comment choisissez-vous les films d’ouverture et clôture ?
On essaie de choisir des films qui nous ressemblent ou qu’on aime et qui sont surtout aussi en lien avec la ligne éditoriale du festival en général, qu’ils puissent faire écho. Et dans le cas de Daaaaaali! et Monster, Innocence, c’est vrai que c’est intéressant parce que c’est des films qui sont réalisés par des créateurs qui sont très différents mais qui ont tous les deux la passion pour les structures narratives, mais qui arrivent quand même à travailler avec beaucoup de finesse et d’attention les structures de leurs films, tout en laissant leurs fibres créatives prendre le dessus. Chez Kore-eda, tout comme que chez Quentin Dupieux, c’est d’abord le message, la force de la vision artistique qui dépasse tout, mais c’est quand même des films qui sont très fins en termes de points de vue, de structure. Donc il y a un bel équilibre chez ces deux cinéastes.
Quel est le dernier film que vous avez visionné ?
Le dernier film que j’ai visionné pour le GIFF, c’est un film absolument incroyable qui s’appelle THE OWNER, de Yury Bykov, un film russe qu’on a présenté hier soir en Highlight. C’est le réalisateur de la série de THE METHOD. Il a fait aussi THE FOOL qu’avait gagné THE MAYOR qui était à Cannes. Et là, il a fait un film absolument incroyable sur la corruption morale et systémique en Russie. Et puis ça me fait plaisir de parler de ce film parce que je crois qu’ils ont eu pas mal de peine à le mettre dans des festivals, parce que le film était pas mal repoussé en raison de son origine géographique. Il n’a pas encore de distributeur suisse. Mais le vendeur était là hier, il y avait des coproducteurs suisses qui étaient présents. Et le film est incroyable parce que comme le réalisateur, déjà, il vient d’une fraction assez populaire de la société russe. Il a beaucoup travaillé dans le domaine de la série et du cinéma. Il a à la fois un langage très personnel pour son cinéma, mais il sait être efficace. Et il aborde des sujets de société assez vifs. Ça fait des films super impactants. Pour moi, c’est une expérience de cinéma qu’on peut aussi qualifier d’ immersif parce que je trouve que le cinéma, on parle beaucoup de création immersive mais le cinéma, quand c’est bien fait, c’est une expérience immersive.