Agathe Riedinger était de passage à Genève pour présenter son film en avant-première. Il s’agit de son premier long-métrage, propulsé dans la sélection officielle de Cannes cette année. Son film naturaliste très réussi rappelle ceux de son idole Andrea Arnold. Cette interview dévoile l’univers de DIAMANT BRUT et la vision engagée d’Agathe Ridinger, qui dépeint avec justesse la quête d’identité et d’amour dans une société obsédée par l’apparence.
Interview Agathe Riedinger | DIAMANT BRUT
- Publié le 18. novembre 2024
La réalisatrice évoque son premier film très réussi avec beaucoup d'empathie pour son personnage, asservi par les réseaux sociaux et la télé-réalité.
DIAMANT BRUT | SYNOPSIS
Liane, 19 ans, téméraire et incandescente, vit avec sa mère et sa petite soeur sous le soleil poussiéreux de Fréjus. Obsédée par la beauté et le besoin de devenir quelqu’un, elle voit en la télé-réalité la possibilité d’être aimée. Le destin semble enfin lui sourire lorsqu’elle passe un casting pour « Miracle Island ».
AGATHE RIEDINGER | BIOGRAPHIE
Agathe Riedinger, née en 1985, diplômée de l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris (ENSAD), est auteure, réalisatrice et photographe. Elle expérimente différents modes de narration, entre excès et ironie, parfois volontairement vulgaires ou surréalistes, pour questionner une certaine vision du monde et parler de sujets qui lui tiennent à cœur, comme l’émancipation et la place des femmes. Elle a réalisé les courts métrages « J’attends Jupiter » puis « Eve », tous deux sélectionnés dans de nombreux festivals. « Diamant brut » est son premier long métrage, présenté en compétition au Festival de Cannes 2024.
Interview d’Agathe Ridinger par Ondine Perier
Pouvez-vous présenter votre film et en expliquer son titre ?
Ce film raconte le besoin d’amour à travers Liane, 19 ans, qui vit à Fréjus avec sa mère et sa sœur. Obsédée par la beauté et la téléréalité, elle voit en cette dernière une porte vers la reconnaissance et l’amour. Un jour, elle passe un casting pour l’émission «Miracle Island». Le titre Diamant brut reflète la complexité de Liane : une pierre brute aux facettes multiples, à la fois saillante et précieuse.
Vous semblez très proche de l’univers de la téléréalité. Comment vous êtes-vous documentée ?
Je regarde de la téléréalité depuis toujours et suis assidûment les candidats sur les réseaux sociaux. J’ai grandi avec cet univers, ce qui m’a donné une compréhension intime des dynamiques qui le traversent. J’ai également échangé avec des candidats, bien que cela ait été difficile car beaucoup se sentent dénigrés. Leur méfiance m’a permis de percevoir l’impact du regard extérieur sur leur quête d’amour et de reconnaissance. Pour le scénario, j’ai minutieusement travaillé le lexique, m’inspirant des discours liés à la beauté, au luxe et à la religion, afin de rester authentique.
Le film explore la confusion entre amour et désir. Pouvez-vous développer ?
Liane incarne cette confusion. Elle pense que le désir qu’elle suscite est synonyme d’amour. Cette tyrannie de l’apparence et de la perfection est amplifiée par les réseaux sociaux, où les likes et les cœurs définissent la valeur d’une personne. Liane est le fruit de cette société compétitive où la performance prime sur tout.
Le personnage de Liane est complexe : déterminée mais aussi vulnérable. Comment avez-vous abordé le casting ?
Trouver une actrice capable d’incarner Liane était un défi. Malou, qui interprète le rôle, ne ressemble pas physiquement au personnage. Elle a fait un travail de transformation impressionnant tout en maintenant une distance émotionnelle pour ne pas se perdre dans ce rôle intense. Nous avons travaillé sur son apparence, jusqu’aux moindres détails comme ses sourcils et sa démarche, pour révéler les multiples facettes de Liane.
La nudité dans le film, notamment celle de Liane, a-t-elle posé des problèmes ?
La poitrine de Liane est en réalité une prothèse. Cela a aidé Malou à établir une distance entre elle et son personnage, un peu comme une armure. Cela lui a permis d’évoluer devant la caméra avec une grande aisance. Aujourd’hui, les jeunes acteurs ont un rapport décomplexé à leur image, probablement parce qu’ils ont grandi avec les réseaux sociaux et l’omniprésence des caméras.
Quels messages souhaitez-vous transmettre avec ce film ?
Je voudrais dire aux jeunes, surtout aux jeunes femmes : soyez doux avec vous-même. Le film aborde les violences subies, qu’elles soient sociales, psychologiques ou liées à la quête de perfection. Une jeune spectatrice m’a confié : « Enfin, quelqu’un raconte ce qui nous fait souffrir. » Mon but est de montrer la réalité des pressions subies par les femmes et d’inviter à plus de bienveillance. Un jeune spectateur m’a dit qu’il n’avait pas compris ce que c’était qu’être une femme avant de voir le film. Cela m’a beaucoup touchée et reflète bien l’idée du film : révéler ce que signifie être une femme ou une jeune femme aujourd’hui. J’espère que DIAMANT BRUT pourra encourager les spectateurs, hommes comme femmes, à mieux comprendre cette réalité.
Quels sont vos projets futurs ?
Pour l’instant, rien de concret. J’ai quelques idées, peut-être une série ou une co-réalisation. Mais je suis encore en réflexion.
Un dernier mot pour les spectateurs.trices ?
J’admire les jeunes générations et leur résilience. À travers Liane, j’espère leur avoir transmis mon affection et mon admiration. J’ai envie de leur dire « Soyez doux avec vous-mêmes ».