Kevin Macdonald dissèque astucieusement les rouages complexes d’une success story décrite par certains proches du styliste comme “entachée” par ses multiples addictions et ses propos antisémites.
HIGH AND LOW - JOHN GALLIANO
- Publié le 18. mars 2024
HIGH AND LOW – JOHN GALLIANO | Synopsis
Construit comme une enquête, le film de Kevin MacDonald décrit les travaux de John Galliano, les nombreuses facettes de sa personnalité et les dernières étapes qui l’ont poussé à profaner des insultes antisémites. A travers des interviews de sa famille et de ses amis les plus proches, de personnalités parmi les plus influentes du monde de la mode et de la pop, et enfin de John Galliano lui-même, Kevin MacDonald dresse le portrait de l’homme derrière le génie de la mode et nous raconte son chemin vers la rédemption.
Critique de Lliana Doudot
HIGH AND LOW – JOHN GALLIANO porte bien son nom: en passant en revue les étapes de l’ascension, puis la prétendue chute du styliste anglais John Galliano dans la mode, le documentaire de Kevin Macdonald peint un saisissant tableau des enjeux sociaux et industriels d’un monde exclusif et ô combien protégé. Dès les premières minutes, l’enchaînement rapide d’images d’archives et d’un entretien avec John Galliano, ainsi que des interviews des figures phare du milieu donnent le ton.
Un travail d’équilibriste
C’est bel et bien un travail d’équilibriste dans lequel le réalisateur s’est lancé avec ce portrait de la figure polémique de John Galliano : comment créer une narration cinématographique qui donne au.à la spectateur.rice la liberté de se faire son propre avis ? Les faits sont les faits, et Kevin Macdonald fait le choix impartial de ne pas les contourner. Les questions creusent, tentent de comprendre pourquoi John Galliano a-t-il professé ces diatribes antisémites en 2011. “I don’t even know myself”, avoue-t-il. Pourtant, le documentariste tente de long en large d’y répondre pour lui. Et l’explication semble se trouver au coeur de la culture du tournant de siècle encore aveugle face aux dynamiques de pouvoir racistes, capitalistes et toutes puissantes de la mode, qui ont porté aux nues un individu jusqu’au point où il se pensait intouchable.
L’agonie de la poule aux œufs d’or
Acclamées par les initié.e.s et décrites comme les œuvres d’un “surdoué”, les premières collections du créateur – bien que peu rentables – bouleversent immédiatement les codes artistiques vus et revus de la mode de la fin du 20e siècle. La figure de John Galliano se construit ainsi sur les acclamations de ses pairs qui le voient comme un génie, et c’est cette image presque messianique qui mène le milliardaire français Bernard Arnault à le choisir pour la direction artistique de la collection Haute-couture de Givenchy en 1995, puis de Dior l’année suivante sur les conseils d’Anna Wintour.
Finis les problèmes d’argent, ces nouveaux rôles permettent au styliste britannique de déployer son talent, mais aussi d’être usé par l’industrie jusqu’à la corde. Plus de 32 collections par année, voilà ce qu’on attend de lui pendant près d’une décennie. Pas étonnant, donc, que John Galliano sombre dans l’alcoolisme et la prise de diverses drogues, ce que le milieu a sciemment laissé faire. Et c’est peut-être là le portrait le plus frappant du documentaire: celui du monde de la mode avide au point d’être le témoin passif de l’agonie de ses poules aux œufs d’or.
Conclusion
Les insultes de John Galliano, sous l’emprise de substances au moment des faits, représentent-elles alors la tentative d’un suicide social, comme il semble l’expliquer ? N’est-ce pas plutôt le résultat d’un environnement qui permet tout et pardonne vite ? Sa disgrâce ne durera en effet réellement que 3 ans, car il est engagé en 2014 par la maison Margiella. Dans HIGH AND LOW – JOHN GALLIANO, le réalisateur écossais parvient alors avec tact à poser au public la question qui parcourt la société depuis quelques années: peut-on vraiment séparer l’homme de l’artiste ?