Comme l’an dernier, les récompenses des trois compétitions Prix de Soleure, Visioni & Prix du Public sont allées à des documentaires. D’une manière générale, on a l’impression que Soleure devient de plus en plus un festival de films documentaires en ce qui concerne les premières mondiales – et donc un concurrent de Visions du Réel à Nyon. Cette année, parmi les 23 premières mondiales de longs métrages, il n’y avait que quatre films de fiction, aucun d’entre eux n’a réussi à convaincre.
Critique générale
- Publié le 10. février 2025
Où sont les bons films de fiction ?
Critique générale de Geri Krebs
Des longs métrages décevants
La plus grande déception a sans doute été le long métrage BERNADETTE WILL TÖTEN d’Oliver Paulus. Le réalisateur, qui s’était fait connaître comme une voix suisse indépendante et originale dans le domaine d’un cinéma narratif sociocritique avec des films comme VIELEN DANK FÜR NTSCHTS ou TANDOORI LOVE, s’essaie dans son nouvel opus du genre film gore, mais ne parvient à créer qu’une orgie de sang et de violence aussi puérile que dénuée de sens. En revanche, ROADS END IN TAIWAN, premier long-métrage de la Genevoise Maria Nicollier, offre au moins un divertissement soigné. Cette première coproduction entre la Suisse et Taïwan est – comme le titre l’indique – un road movie qui se déroule à Taïwan et qui a montré une fois de plus que le changement de décor ne peut pas sauver une intrigue faible. Un autre premier film d’une cinéaste, le drame social BEHIND THE GLASS de la réalisatrice helvético-lettone Olga Dinnikova, qui se déroule entre la Lettonie et la Suisse, n’a pas donné grand-chose de plus qu’une production télévisuelle moyenne avec son histoire de drogue pleine de clichés. Même la présence de Marcus Signer dans un rôle secondaire n’y a rien changé. Avec NORMA DORMA, le deuxième long métrage du réalisateur zurichois Lorenz Suter, le programme comportait une contribution qui, contrairement aux deux films précédemment cités, osait tout de même quelque chose sur le plan narratif, mais risquait souvent de se perdre dans le monde entre rêve et réalité dans lequel se trouve la Nora du titre.
Les Journées de Soleure sous pression
Bien sûr, le programme de Soleure de cette année comportait de grands films réussis, mais pas en première. Plus encore que les années précédentes, une tendance se confirme : les « grosses boîtes » ne vont guère à Soleure. Locarno et le Zurich Film Festival prennent de plus en plus de terrain sur Soleure. Parmi les films qui ont déjà été présentés à Locarno, on trouve ELECTRIC CHILD ou DER SPATZ IM KAMIN, qui a reçu de nombreuses nominations pour le Prix du cinéma suisse. Tandis que FRIEDAS FALL et MOTHER MARA, deux points forts de la production actuelle de longs métrages suisses, illustrent l’ambition du directeur du ZFF Christian Jungen, proclamée il y a des années déjà, de faire de son festival le seul véritable lieu où les nouveaux (longs) métrages suisses trouvent la place qu’ils méritent.
Le Festival du film de Zurich prend de plus en plus le pas sur Soleure en matière de longs métrages suisses. Photo : Christian Jungen, directeur du ZFF, avec l’actrice allemande Iris Berben.
Prix de Soleure
Lorsqu’on parle de grands films de fiction réussis qui ont été présentés à Soleure, BAGGER DRAMA ne peut être que cité. Le premier long métrage du talentueux réalisateur bernois Piet Baumgartner a reçu le premier prix du meilleur jeune réalisateur lors de sa première mondiale au festival du film de San Sebastián en 2024. Quelques jours seulement avant sa première en Suisse, le prix du scénario et le prix de la mise en scène sont venus s’ajouter au prestigieux festival Max Ophüls de Sarrebruck. La pluie de prix dont a bénéficié BAGGER DRAMA jusqu’à présent peut expliquer pourquoi le film, l’un des six en compétition pour le Prix de Soleure, n’a pas été à nouveau récompensé. En lieu et place, le jury a donné la préférence au documentaire IMMORTALS de Maja Tschumi. La réalisatrice s’est fait connaître en 2022 avec ROTZLOCH, un portrait de plusieurs réfugiés dans le lieu isolé qui donne son titre au film, dans le canton de Nidwald. Son nouveau film, IMMORTALS, montre un couple incroyablement courageux de protagonistes du mouvement démocratique réprimé dans le sang en Irak à l’automne 2019 – et ce qu’ils sont devenus.
Récipiendaire du Prix de Soleure: IMMORTALS
Guerre et crises
Parmi les six films nominés pour le Prix de Soleure – à l’exception de BAGGER DRAMA – il est intéressant de constater que tous se situent dans des zones de guerres ou de crises présentes ou passées. Dans IL RAGAZZO DELLA DRINA, il s’agit de la Bosnie-Herzégovine, le pays dans lequel se déroule HOTEL SILENCE rappelle la Géorgie, où se situe également le documentaire DOM, et UNTER MANGOBÄREN accompagne ses spectateurs au Sri Lanka. C’est surtout UNTER MANGOBÄUMEN qui laisse l’une des plus fortes impressions parmi les premières mondiales présentées aux Journées. Le film documente la vie d’anciennes femmes soldats des Tigres tamouls en Suisse et au Sri Lanka. On y découvre de manière impressionnante ce que la folie de la guerre qui s’est terminée en 2009 a fait à ces femmes. D’une part, UNTER MANGOBÄUMEN convainc par son approche si délicate des destins de ces anciennes combattantes et, d’autre part, par la nuance avec laquelle l’histoire de la guerre entre les Tigres tamouls et les troupes gouvernementales sri-lankaises est présentée. On ne peut que souhaiter qu’un jour quelqu’un réalise un film aussi nuancé sur le conflit au Proche-Orient.
UNTER MANGOBÄUMEN, habile et nuancé, un temps fort à Soleure.
La Palestine ?
Étonnamment, le conflit du Proche-Orient n’est apparu que de manière marginale dans l’ensemble du programme des plus de 150 titres des Journées cinématographiques de cette année, dans un documentaire d’une demi-longueur réalisé par une jeune réalisatrice soleuroise. HABIBI SAMI est le nom du film d’une demi-heure dans lequel Lesley Kennel, née en 1992 à Niederbipp, fait le portrait du Palestinien Sami Daher. Propriétaire du « Pittaria » situé derrière le restaurant Kreuz, il jouit d’une notoriété locale. « J’ai été touché par sa cordialité », s’est enthousiasmé Lesley Kennel dans la « Solothurner Zeitung » du 24 janvier. Le restaurateur de la Pittaria n’a pas été aussi chaleureux au début du mois d’octobre 2023 : Trois jours après l’attaque du Hamas du 7 octobre, il s’est exprimé ainsi dans le « Blick » : « J’ai ressenti une certaine fierté que nous, les Palestiniens, soyons militairement capables d’une telle frappe ».
Éloge
Le réalisateur Laurin Merz a fait le portrait d’une autre figure controversée dans un film qui a également été présenté en première mondiale à Soleure – et qui n’était lui aussi qu’un éloge : Lukas Bärfuss (LUKAS BÄRFUSS – SCHRIFTSTELLER). Il n’est pas question ici de nier le fait qu’il s’agit de l’un des hommes de lettres locaux les plus importants – mais peut-être aussi un peu surestimé – de sa génération. Mais il n’en reste pas moins que Laurin Merz aurait pu se montrer un peu plus critique à l’égard de cet homme au visage toujours grimaçant. Dans une récente interview de la « SonntagsZeitung » (29.12.2024), celui-ci avait par exemple répondu à la question de savoir ce qu’il faisait des 350 000 francs qu’il avait reçus pour la vente de ses archives aux Archives littéraires suisses (la somme la plus élevée que la Suisse ait jamais versée à un homme de lettres) : « Cela ne regarde personne ».
Un égocentrique mégalomane
On peut se demander pourquoi les cinéastes devraient faire le portrait de personnes sympathiques ? C’est la question que s’est posée une table ronde organisée dans le cadre de la série « Biopics » des Journées de Soleure. Une réponse possible à cette question a été donnée par le documentaire BARLUSCHKE de Thomas Heise, un film aux multiples facettes, à la fois distant et empathique. Dans son portrait réalisé en 1997, le réalisateur, décédé en 2024, a accompagné l’officier de la Stasi Berthold Barluschke. Cet égomaniaque aussi sinistre que mégalomane a changé de camp en 1985 et s’est mis au service du BND allemand. Plus tard, après la chute du mur, il a sombré dans l’insignifiance. Peter Badel, le caméraman de Heise, a présenté le film à Soleure et a raconté comment, en tant qu’enseignant à l’école de cinéma, Heise conseillait à ses étudiants de choisir leurs personnages pour un éventuel documentaire parmi des inconnus plutôt que dans leur cercle familial ou amical, car cela donnait souvent des films plus intéressants.
Imaginaires du Jura
Les films les plus intéressants étaient à découvrir dans la série de rétrospectives thématiques «Imaginaires du Jura». Dix-neuf longs métrages et autant de courts métrages ont été présentés. Le paysage grandiose qui s’étend de Bâle-Campagne à Genève, puis loin en France, était toujours au centre de l’attention. La direction des Journées a noté non sans fierté que les contributions cinématographiques couvraient onze décennies, le plus ancien, IMAGES DU VAL DE TRAVERS, datant de 1910 et les deux plus récents, la comédie noire UN OURS DANS LE JURA et la comédie de coming-of-age VINGT DIEUX, datant de l’année dernière. Parmi de nombreux autres, dont un documentaire époustouflant sur un plongeur de falaise, LE PLONGEUR de 1936, nous avons eu un coup de cœur pour VINGT DIEUX de la jeune réalisatrice française Louise Courvoisier. Le film, qui a été présenté en première mondiale en 2024 au Festival de Cannes dans la sélection Un certain regard, a tout ce qui fait du cinéma un pur plaisir : du spectacle, des idées folles, du suspense, de la tragédie, de l’humour absurde et des protagonistes auxquels on s’attache immédiatement. Et ce qui est incroyable, c’est que Louise Courvoisier a tourné exclusivement avec des acteurs non professionnels, qui vivent tous dans cette région, l’une des plus reculées du Jura français, et qui jouent ici en grande partie leur propre rôle. Dans cette histoire d’un jeune paysan un peu gauche qui, après la mort soudaine de son père, doit tout à coup se débrouiller seul avec sa petite sœur dans une ferme très endettée, le rire ne laisse pas un œil sec, malgré toute la tragédie. Et lorsque le jeune homme semble finalement obtenir sa jeune paysanne adorée, on espère seulement que ce happy end restera ainsi. Le film, qui est déjà sorti en Suisse romande à la mi-décembre, y a déjà remporté un grand succès et sera également projeté en Suisse alémanique en avril. (voir l’interview ci-dessous)
Probablement l’un des meilleurs films jamais vus à Soleure : VINGT DIEUX