Charlène Favier était à Genève pour présenter son film OXANA en avant-première à Genève. Nous avons eu la chance de recueillir ses secrets de tournage. Son enthousiasme et sa détermination à rendre hommage à Oxana, figure de proue du mouvement Femen, étaient palpables. Rencontre avec une cinéaste aussi talentueuse qu’inspirante.
Charlène Favier | OXANA
- Publié le 30. avril 2025
«De toute manière, quand j'ai commencé à me mettre dans la peau d'Oxana, je me sentais investie d'une mission, plus rien ne pouvait m'arrêter.»
Charlène Favier | FILMOGRAPHIE
OXANA (Long Métrage de Fiction) – 2025
LA FILLE QU’ON APPELLE (Unitaire Arte) Adaptation du livre de Tanguy Viel, écrit avec Antoine Lacomblez. – 2022
SLALOM (Long Métrage de Fiction) – 2020 : Sélection officielle à Cannes 2020. Prix d’Ornano Valenti au festival de Deauville. 2 Nominations au César 2022 (meilleur premier film et meilleure révélation) 4 nominations au Lumière de la presse internationale (meilleur premier film et meilleure révélation, meilleur acteur, meilleure photo) Prix de la meilleure actrice au festival de Bejiing 2021, Prix du public et prix du meilleur film au festival Français de Barcelone 2021. Youth award au festival Black Night Tallin film festival 2021. Meilleur film au Lecce french film festival 2021. Grand Prix Elle pour Noée Abita. Prix de la meilleure photographie au festival de Namur. Meilleur film au festival Plurielle. Prix Magelis des étudiants au festival d’Angouleme. 100% critique favorable pour Rotten Tomatoes USA.
Interview par Ondine Perier
Est-ce le personnage d’Oxana ou le mouvement Femen qui a été le point de départ de votre motivation à réaliser ce biopic ?
C’est vraiment Oxana. J’ai été possédée par cette personnalité qui m’a complètement hypnotisée : son côté mystique, paradoxal, révolutionnaire ; sa force, sa fragilité et son talent artistique. Le fait qu’elle peignait des icônes et qu’elle soit aussi imprégnée de la foi chrétienne… il y a quelque chose quand même de très fort dans son parcours en lien avec Jeanne d’Arc.
Qu’est ce qui vous touche dans le personnage de Oxana?
Comme dans mes autres films, SLALOM ou LA FILLE QU’ON APPELLE, j’aime les portraits de femmes fortes et fragiles à la fois ; et qui vont s’émanciper. Ici encore, il s’agit d’une jeune femme résiliante, combattante, survivante. Toutes ces caractéristiques me parlent parce qu’elles font écho aussi à mon propre parcours. Dépasser ses traumatismes pour en faire quelque chose. Mais évidemment, je raconte aussi la genèse des Femen à travers le portrait d’Oxana, et comme elle le disait «je serai toujours Femen». C’est elle qui a créé le mouvement, qui l’a vécu, qui l’a ressenti.
La famille d’Oxana a-t-elle eu connaissance de votre projet et l’a-t-elle validé?
Oui, bien sûr. Pour faire ce film, j’ai passé deux ans et demi à faire des recherches. Telle une journaliste, j’ai lu tout ce qui avait été écrit sur Oxana, j’ai regardé tous les films. Il y a eu plein de documentaires sur les Femen, dont un sur Oxana qui s’intitule «Je suis Femen» d’un réalisateur suisse AIain Margot ; un film que j’adore, qui m’a énormément inspirée. J’ai beaucoup dialogué avec Alain. J’ai rencontré les intimes d’Oxana dont sa maman. Avant de me lancer dans l’écriture, on s’est parlé par zoom. Elle était très heureuse qu’on pense à sa fille.
Vous a-t-elle aidé dans la caractérisation d’Oxana
Elle a lu une des versions du scénario, elle nous a envoyé des photos, des poèmes pour nourrir l’écriture. Elle n’a pas encore vu le film, mais on va essayer d’organiser une projection le 23 juillet en Ukraine, à Kiev, pour les sept ans de la mort d’Oxana.
Vous a-t-on déconseillé de réaliser ce film compte tenu du contexte géo-politique et de la guerre en Ukraine ?
Je ne suis pas du style à me décourager. Quand j’ai commencé à travailler sur ce film, c’était en 2021, il n’y avait pas la guerre. On était en plein Covid quand la Russie a envahi l’Ukraine en février 2022, on a su avec mes producteurs qu’on ne pourrait pas tourner en Ukraine pour des questions d’assurance, mais à aucun moment on s’est dit qu’on allait renoncer au film. Cela a même renforcé notre nécessité de faire ce film. Nous avons tout réorganisé pour tourner en Hongrie. On a gardé notre coproducteur ukrainien. Et puis, quand j’ai commencé à me mettre dans la peau d’Oxana, je me sentais investie d’une mission ; plus rien ne pouvait m’arrêter.
Comment s’est déroulé le casting pour trouver votre formidable actrice Albina Korzh, à la beauté sauvage, qui colle parfaitement au personnage d’Oxana ?
Notre directrice de casting était à Kiev. Après la guerre, elle s’est réfugiée à Paris. Donc elle était avec moi derrière l’ordinateur. Je savais la responsabilité énorme de trouver l’actrice qui allait devoir endosser ce rôle. Et il fallait qu’elle ait tout le tout l’aura de Oxana. On a cherché longtemps la perle rare. Un jour, la directrice de casting m’a dit «Viens, on essaie de faire une impro avec Albina». Elle s’est alors imposée c’était Oxana ! Albina avait fait un tout petit film avant, mais c’est son premier vrai rôle au cinéma.
Le casting a dû être laborieux compte tenu de la guerre…
Pendant que nous faisions faire les impros par zoom, il y avait des alertes à la bombe et des coupures d’électricité. Un moment, je me suis qu’on allait trouver des Ukrainiennes en France, après tout, il y avait sûrement des ukrainiennes réfugiées qui correspondaient. Finalement, toutes les filles qui jouent dans le film sont ukrainiennes et vivent à Kiev encore aujourd’hui. Mon souhait de travailler avec des Ukrainiennes a donc été exhaussé, avec un casting via zoom qui a duré quand même deux ans !
La nudité est très présente dans votre film, avez-vous dû faire appel à un coordinateur d’intimité ?
Non alors que tous mes films parlent du corps de la femme souvent d’abus, de représailles, de violences. Lorsque j’ai réalisé SLALOM, il n’y avait pas encore de métier de coordination d’intimité. J’ai pas pris cette habitude de travailler avec mes actrices de manière très horizontale, je n’aime pas trop d’ailleurs le terme direction d’acteur, on est plutôt une troupe, une famille. C’est ensemble que l’on construit le film. On est tous des artisans en train de construire notre édifice ensemble. Il y a beaucoup de respect, de communication et une grande fluidité dans les rapports. Sur le tournage d’OXANA, les filles savaient qu’elle allaient devoir enlever le haut et elles étaient finalement dans le même état que la première fois que les Femen l’ont fait : avec cette peur au ventre, cette excitation.
Et pour les scènes de sexe ?
C’est vrai qu’il y en a dans tous mes films. J’essaye à chaque fois d’être très claire dans ce que je raconte. Ce qui est très important c’est de donner aux comédien.ne.s la raison précise de pourquoi on va filmer cette scène, comment on va la filmer. Le dialogue est permanent.
Votre mise en scène très esthétique très stylisée donne une impression de voir des tableaux de maîtres dans certaines scènes…
Tous mes films ont un côté esthétique assumé. Dans SLALOM déjà, mais là on a vraiment poussé les curseurs avec toute mon équipe artistique composée de Éric Dumont, le chef opérateur, Florian Sanson, le chef décorateur, qui a fait un travail incroyable parce qu’il faut remplir les cadres et Judith de Luze, la costumière. Tout ça est orchestré par ma scripte Laurence Nicoli. Je tiens à citer les gens avec qui je travaille parce qu’on ne parle pas assez des gens qui nous entourent et qui font le film avec nous.
Il s’agit donc d’une œuvre commune.
Oui, tous ensemble, nous avons élaboré une bible de plus de 200 pages où il n’y avait que des tableaux d’art et des photographies : des icônes, des Delacroix, des Turner, qui jalonnaient le scénario. On avait ce document avec nous pendant le tournage et parfois on s’amusait à recréer des tableaux choisis. Ce travail en amont a duré plusieurs mois. Je l’ai fait parce que je voulais remettre Oxana au centre – elle a été malheureusement oubliée – et je voulais lui rendre justice tout en la sublimant.
Les nombreux flash-backs constituent la narration du récit, était-ce compliqué à imbriquer dans l’écriture du scénario ?
Avec ma co-scénariste, Diane Brasseur, nous avions plusieurs contraintes : le film devait être français, donc en langue française majoritairement, ce qui était loin d’être le cas. On a dû panacher les langues entre l’ukrainien, le russe, le biélorusse, le français. Il fallait aussi qu’on ait un temps de tournage égal entre la France et la Hongrie. On a trouvé cette idée d’ancrer le film lors de la dernière journée de la vie d’Oxana en se disant que lors de sa dernière journée, on se remémore toute sa vie. Cela nous permettait aussi de tisser un fil rouge qui se passait en France.
Les derniers jours d’Oxana paraissent effectivement très sombres, elle semble perdue.
On trouvait intéressant qu’il y ait un face-à-face, via ces flashbacks, entre le combat collectif et la solitude d’exilée, la vie et finalement le désespoir, l’exclusion, et le mal-être d’Oxana face à ses questionnements : «J’ai été Femen. Est ce que je pourrais encore être Femen tout en étant une nouvelle personne ?». Ce va-et-vient permanent entre un état passé, présent, futur et qui débouche sur cette finalité tragique.
Pouvez-vous qualifier OXANA de 3 adjectifs pour donner envie à notre audience d’aller voir le film ?
Envoûtant, enragé et poétique.
Bravo et merci beaucoup Charlène Favier !