Quelle était votre motivation pour tourner avec BISONS ?
J’ai grandi à Châtel Saint Denis, à la campagne et suis issu d’une famille en partie d’agriculteurs. J’ai toujours eu envie de raconter des histoires qui se passent dans ce monde là sans la volonté de vouloir forcément faire un film à thèse qui parlerait de la condition du monde agricole.
Qui a été à l’origine du projet ?
Le producteur Xavier Grin : il portait ce projet depuis longtemps, qui lui vient d’une passion pour les sports de combat.
Comment vous êtes-vous impliqué dans l’écriture de BISONS ?
J’ai accompagné l’écriture pendant tout le processus. Patrick Delachaux et Joseph Incardona ont d’abord proposé à Xavier Grin (le producteur) de faire un film moderne dans lequel un agriculteur au pied du mur utiliserait des moyens plus ou moins légaux pour s’en sortir. J’adorais cette idée de travailler le genre très helvétique ou très alémanique qu’on appelle «Heimat film». Ce que j’ai amené surtout, c’est l’aspect lutte et l’histoire des deux frères. J’ai un frère et c’est une des relations les plus importantes dans ma vie, une relation complexe avec beaucoup d’amour et aussi beaucoup de conflits.
BISONS devait s’appeler initialement «Passer l’hiver», pourquoi ce changement de titre ?
On a eu l’idée du titre «Passer l’hiver» après la pandémie et au début du conflit ukrainien. Tout à coup, il y avait cette crainte de ne pas pouvoir passer l’hiver. C’était une expression qu’on retrouvait beaucoup dans la bouche des politiciens et des journalistes dû à la peur de manquer d’électricité ou de blé. On sentait que le monde était en train de se durcir. On doit ainsi apprendre à se battre de différentes manières. Le film explore ce ce monde du combat sous toutes ses formes.
Et pourquoi avoir finalement opté pour BISONS
Quand on a visionné le film une fois monté, on a trouvé que ces bisons prenaient une place très belle et symbolique. Et bizarrement ils ramenaient vraiment le film à l’humain. Le titre BISONS a un caractère onirique. Il y a aussi cette association qu’on peut faire entre le héros Steve Chappuis, son physique, son jeu et toute la symbolique du bison. Et le bison est un animal très courageux. Par exemple, quand un orage survient, au contraire des vaches qui fuient pour s’abriter, eux, foncent vers l’orage pour le traverser au plus vite. Ces animaux affrontent les problèmes sans chercher à se protéger ; tel Steve qui affronte son destin bille en tête, quitte à y laisser sa peau.
L’acteur qui incarne Steve, Maxime Valvini, après plusieurs emplois dans le milieu paysan suisse, a travaillé sur les plateaux de cinéma en 2015 en tant que perchman et ingénieur du son. Il se dirige désormais vers une carrière d’acteur. Comment l’avez-vous trouvé ?
C’est un vrai pari car le film repose beaucoup sur ses épaules. Je ai rencontré Maxime fin 2018. Je voulais avant tout travailler avec quelqu’un qui vient du monde du combat et de la lutte, je recherchais cette authenticité. On a donc organisé des castings et rencontré énormément de lutteurs en Suisse romande. Parmi eux, on nous a présenté Maxime, membre du club de lutte de Carouge. Il présentait un autre profil différent : il avait cette sensibilité à fleur de peau et aussi une certaine forme de modernité. Maxime n’avait aucune expérience de jeu mais connaissait le monde du cinéma en tant que perchman. Avec Bruno Todeschini, ami de la famille de Maxime, nous l’avons coaché pendant deux ans. On cherchait à créer du lien pour gagner une confiance, amitié, complicité. Ce lien nous a permis, une fois le budget bouclé, de tourner ce film ensemble et d’affronter des conditions dures dans des temps très courts (NDL: le tournage a duré moins de 30 jours).
En quoi le tournage a été si éprouvant pour l’acteur principal ?
C’est un tournage physique dont certaines scènes de combat demandent un engagement physique très fort et qui sont exténuantes à tourner. C’est un marathon dans lequel il faut savoir gérer son effort tout en gardant une présence artistique utile en dehors des scènes de combat. Il faut aller chercher cette émotion, cette vérité, cette nécessité pour provoquer de l’empathie chez le spectateur. On a décidé – comme c’était le cas sur PLATZSPITZBABY avec Luna qui joue la petite fille – d’entourer Maxime d’acteurs aguerris : India Hair, Karim Barras et Marie Berto. Ce petit groupe qui forme le cœur du film a passé ainsi beaucoup de temps ensemble.
Pour qu’il y ait une osmose ?
Oui, car faire un film c’est aussi créer une famille, un lien de confiance pour qu’ensuite, sur le plateau, on n’ait plus trop besoin de parler. Il peut y avoir une forme de lâcher prise qui fonctionne que si tu es en confiance avec la personne qui te regarde tout simplement. C’est vraiment la clé. On apprend à se connaître d’abord comme individu, comme humain. Après nous avons réécrit le scénario un petit peu pour faire du sur mesure. Il y a beaucoup de de Maxime dans ce film par exemple. Par exemple, toute la relation avec Lena, qui est très pudique, romantique et pure ; nous l’avons créé de manière organique avec les deux comédiens.
Il s’agit d’un lien très pudique mais fort entre eux.
Oui, on savait qu’on voulait qu’il se tisse un lien très fort entre eux. Maxime est extrêmement doux et délicat. Il a une forme de féminité ancrée en lui et je trouve qu’on le ressent dans le film. Et dans cette relation où était difficile de trouver le bon équilibre, on a décidé de s’appuyer sur l’instinct des comédiens. On n’avait pas du tout envie de leur faire faire des choses qui allaient les mettre mal à l’aise.
Comment avez-vous appréhendé le film physiquement avec ces scènes de combat ultra violentes ?
On a eu beaucoup de chance en travaillant avec Cyril Raffaelli, un des plus grands cascadeurs européens et régleur de combats. Sa filmographie est impressionnante : il a travaillé à Hollywood sur des films avec Bruce Willis, avec Luc Besson, il était lui même champion du monde MMA, l’ancêtre de l’UFC (Ultimate Fighting Championship). Le script lui a plu, il a accepté de travailler avec nous. Ce fut une très belle rencontre et j’étais impressionné à quel point on a pu tourner ces scènes rapidement grâce aux chorégraphies et ce malgré un budget limité.
Les combats qu’on voit à l’écran sont-ils réels ?
Bien sûr et c’est là la difficulté ! On ne peut donc pas faire trop de prises de ces combats car les comédiens ont un rand besoin de récupération pendant les prises. Je ne viens pas du monde du combat et n’ai même pas vraiment d’intérêt pour ça ; en revanche je trouve que ça très beau cinématographiquement. C’est archaïque et ça fait appel à l’instinct plutôt qu’à des réflexions. La force que les lutteurs dégagent est tellement impressionnante qu’elle effraie. Les lutteurs du film s’entraînent tous les jours. Dans le film, ils ne sont évidemment pas à 100 % sinon ils se blesseraient, mais ils peuvent descendre à 30% tout en se touchant vraiment. Grâce à cette rencontre entre Cyril Raffaelli et Maxime, tout s’est idéalement passé et on a pû tourner ces combats dans un temps record.
On peut également imaginer que le froid ait contribué à la difficulté du tournage.
Oui, nous avons tourné dans des conditions difficiles, justement, dans l’arrière pays de Sainte-Croix, dans le froid du mois de janvier, avec cette bise constante, les températures descendaient à -18, voire -21. J’ai une grande admiration pour les comédiens qui sont toujours les moins bien lotis : Maxime, on le voit, est souvent très légèrement habillé.
Pour conclure, pouvez-vous nous dire quelques mots de votre prochain projet ?
Je travaille actuellement sur un biopic de la fondatrice de Betty Bossy : Amy Créole (titre de travail : «Hallo Betty»), qui se déroule à Zurich. C’est aussi une vraie réflexion sur le couple dans les années 50. Le budget est quasiment bouclé, le tournage doit avoir lieu en fin d’année.