Rencontré à Genève dans le cadre de la présentation de son film au public romand, Arnaud Desplechin nous a livré sa leçon de cinéma. Réalisateur passionné, cinéphile invétéré, le cinéaste français s’exprime avec un enthousiasme de jeune premier alors qu’il signe là son 15ème film. SPECTATEURS ! rend compte de ses influences et souvenirs d’enfance en tant que cinéphile en herbe. Une avalanche d’extraits de films et d’images comme le dit si bien l’intéressé.
Arnaud Desplechin | SPECTATEURS !
- Publié le 14. janvier 2025
«J’ai eu envie de partager avec les spectateurs tous ces souvenirs qui m'habitent, ces obsessions et bien sûr de rendre hommage aux salles obscures.»
*SPECTATEURS ! | Synopsis *
Qu’est-ce que c’est, aller au cinéma ? Pourquoi y allons-nous depuis plus de 100 ans ? Arnaud Desplechin célèbre la magie des salles de cinéma et suit le chemin du jeune Paul Dédalus. Dans SPECTATEURS! les souvenirs, la fiction et la recherche se mêlent pour créer un flot envoûtant d’images.
Interview par Ondine Perier
D’où vient ce titre au pluriel et ponctué de vote 14e film?
SPECTATEURS ! point d’exclamation et au pluriel est un film sur les salles de cinéma, sur le cinéma en général, sur les films ; il s’agit d’un film essai. Cela veut dire que les bouts de fictions, les bouts de documentaires, les bouts de films racontent des histoires sur le cinéma. Le point d’exclamation, c’est pour la fierté des spectateurs. Les spectateurs sont toujours considérés comme passif. Or moi, je trouve qu’il n’y a rien de plus classe que les spectateurs. Les spectateurs sont en réalité très actifs déjà tout simplement parce que sans eux, il n’y a pas de film.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur genèse du film ?
Un producteur, Charles Gilbert, est venu me trouver avec un projet. Il m’a demandé si j’étais intéressé par la réalisation d’un documentaire sur les salles de cinéma et un obscur philosophe américain dont j’ai été l’ami qui s’appelait Stanley Cavell. Je lui ai répondu par la négative car je ne sais pas faire de documentaire. En revanche je sais raconter des histoires. Du coup, j’ai noté des tas de bouts de souvenirs, de trucs qui me trottent dans la tête depuis quinze, vingt ans, et je lui ai proposé de faire un film hybride : « on ne va pas du tout faire un documentaire, on va faire un film beaucoup plus rigolo que ça et on va faire une avalanche de bouts de films qui tombe sur les spectateurs pendant le film ».
Combien de temps le film vous a pris en tournage et montage ?
C’était facile parce que c’est que des trucs qui me trottent dans la tête depuis tellement longtemps. On avait un tournage assez ramassé qui était compliqué parce que c’est aussi un film d’époque, un roman d’apprentissage.
Le montage a été lui assez long parce qu’il y a tellement d’extraits de films et ce sont des films de tous les gens puisque ça va de SHOAH de Claude Lanzmann qui est un monument très grave et très triste. Et ça va à TERMNATOR en passant par COUP DE FOUDRE À NOTTING HILL. C’est ce mélange toutes ces axes différents, ces différentes façons d’aimer le cinéma, qui a pris un certain temps. Et après il fallait négocier les droits, cela a pris un an mais un an d’amusement !
Comment a été accueilli votre film à cannes, en séance spéciale ?
À Cannes déjà les spectateurs sont des gens qui aiment les films. C’est un public qui est cinéphile et très pointu. Mais c’est vrai que cela m’obsédait cette idée de montrer, de parler avec des gens qui sont des spectateurs humbles. Peut-être la cause qui me tient le plus à coeur dans le film, c’est de dire qu’il n’y a pas de hiérarchie entre films d’auteurs et films populaires. Il y a juste des films et il y a de la beauté cachée partout. Et un bon spectateur, c’est celui qui arrive à cueillir de la beauté ici et là. Donc je sais une chose, c’est que je faisais ce film non pas pour les cinéphiles mais pour les gens qui vont au cinéma sans être forcément des experts. Et j’espère que les gens savants reconnaîtront des choses cachées dans le film. Mais je voulais avant tout parler de l’expérience d’un spectateur lambda.
Les scènes évoquant vos souvenirs d’enfance et adolescence sont-elles proches de la réalité ?
Alors oui, j’ai vu FANTÔMAS avec ma grand-mère. Mais évidemment que j’ai menti, j’ai rajouté, mon métier c’est de mentir pour vous raconter les histoires les mieux possible donc ma vie elle est horriblement ennuyeuse, c’est une vie de cinéphile : je vais voir des films et je lis, je fais des films ; ce n’est pas intéressant donc du coup je suis obligé d’améliore la vie. Donc oui ce sont bien mes souvenirs, mais améliorés !
Comment après 14 films vous avez eu envie de mettre en scène votre cheminement vers votre métier et votre amour du 7e art ?
J’ai remarqué que en tant que spectateur, après le Covid, des réalisateurs que j’admire beaucoup ont fait des films sur la salle de cinéma, sur le cinéma. Je pense en particulier à THE FABELMANS de Spielberg, mais aussi à un film que je préfère encore qui est ARMAGEDDON TIME de James Gray, un film que j’aime infiniment et je pense aussi à un chef-d’oeuvre absolu qui est ONCE UPON A TIME IN HOLLYWOOD de Tarantino. On s’est dit peut-être il n’y aura plus jamais de salles de cinéma. Cela a provoqué une envie de la part des cinéastes de raconter la chance qu’on avait eu de connaître le cinéma. Et je m’inscris complètement dans ce mouvement. Et c’est aussi quelque chose qui vient avec l’âge, j’ai envie de partager avec les spectateurs tous ces souvenirs qui m’habitent, ces obsessions.
À quel besoin SPECTATEURS! répond-il ?
J’aimerais bien parler à un public plus jeune, j’aimerais bien leur dire voilà, moi c’était comme ça, vous c’est pas pareil, c’est aussi bien. J’éprouve un besoin de partager cette expérience.
Ce que j’ai souhaité avec ce film, c’est que ce soit une avalanche d’images qui vous déboule dessus. Que vous soyez assaillis d’images, de bouts de films, de souvenirs. Et c’est juste le plaisir d’être dans la cascade d’images qui vous tombe dessus et d’être noyé dedans car cela pour moi est un plaisir total.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre futur projet ?
Ce sera un long métrage de fiction qui se déroule à Lyon avec au casting François Civil, Nadia Tereszkiewicz et Charlotte Rampling, (Titre : UNE AFFAIRE NDLR).