De son arrivée dans le milieu du cinéma à son combat pour le consentement sur les plateaux, en passant par l’agression subie sur le tournage du DERNIER TANGO À PARIS, la cinéaste Jessica Palud raconte dans MARIA, présenté à Cannes Première, comment le 7e Art a bouleversé la vie de Maria Schneider.
MARIA
Jessica Palud dédie son nouveau long-métrage à l'actrice au destin brisé Maria Schneider.
MARIA | Synopsis
Maria n’est plus une enfant et pas encore une adulte lorsqu’elle enflamme la pellicule d’un film sulfureux devenu culte : «Le Dernier tango à Paris». Elle accède rapidement à la célébrité et devient une actrice iconique sans être préparée ni à la gloire ni au scandale…
Jessica Palud commence sa carrière en tant qu’assistante réalisatrice en 2003, sur des films tels que INNOCENTS – THE DREAMERS du réalisateur italien Bernardo Bertolucci, ou MARIA-ANTOINETTE de Sofia Coppola. Elle participe ensuite à plusieurs longs métrages du réalisateur français Philippe Lioret : JE VAIS BIEN NE T’EN FAIS PAS (2006), WELCOME (2009) ou encore TOUTES NOS ENVIES (2011). Son court métrage MARLON est sélectionné dans plus de 150 festivals (Cannes, Toronto, Stockholm, Vancouver, Clermont-Ferrand…) et obtient 40 prix internationaux. Elle réalise ensuite son premier long métrage, REVENIR. Cette libre adaptation du roman L’AMOUR SANS LE FAIRE de Serge Joncour sort sur les écrans en janvier 2020 et obtient le prix du meilleur scénario dans la section Orizzonti à la Mostra de Venise. À partir du récit de Vanessa Schneider, elle livre son deuxième film – MARIA – qui retrace un passage de la vie de la cousine de celle-ci, l’actrice Maria Schneider, interprétée par Anamaria Vartolomei.
Critique d’Ondine Perier
MARIA raconte l’histoire de l’actrice Maria Schneider lors de ses jeunes années marquées par la scène de tournage traumatique du Dernier Tango à Paris – scène de sodomie simulée avec Marlon Brando -, elle n’a alors que 19 ans. Malgré sa prise de parole courageuse et limpide, elle ne sera entendue, ni par la presse, ni par ses proches. C’est au contact d’une étudiante en cinéma, qu’elle va peu à peu tenter de se reconstruire et échapper à ses démons. Ce tournage apparaît comme un point de bascule fatal pour une jeune actrice humiliée et trahie par ses pairs. MARIA touche par sa mise en scène sensible et la raisonnance sur la triste actualité qui touche le milieu du cinéma.
Immersion dans une époque, fascination pour les tout-puissants
Le film plonge le spectateur dans les années 70 avec une photographie vintage, une reconstitution minutieuse des décors, coiffures et costumes. Des scènes de boîtes de nuit très esthétiques envoûtent, d’autres se déroulant dans les cafés enfumés et cuisines en Formica nous immergent instantanément dans cette époque. La jeune Maria Schneider tente de se frayer une voix entre une mère toxique – incarnée par Marie Gillain et un père absent acteur à succès, Daniel Gélin (Yvan Attal) qu’elle ne rencontre qu’à l’âge de 16 ans. Il règne alors une fascination pour les réalisateurs-démiurges sur les plateaux de cinéma. Giuseppe Maggio campe un Bernardo Bertolucci autoritaire, exigeant sans cesse l’intensité de jeu auprès de Maria pour incarner son personnage ultra-sexualisé. Son partenaire de jeu Marlon Brando (Matt Dillon, impeccable) 48 ans à l’époque, était l’objet de toutes les convoitises. Des rumeurs circulaient sur les méthodes de direction d’acteurs du cinéaste peu scrupuleuses. La domination masculine sur les actrices débutantes s’exerçait sans peine, le silence était de rigueur pour préserver sa carrière et son image.
Le point de bascule
La scène de sodomie non-consentie est filmée avec beaucoup de pudeur. Un contre-champ puissant intervient au moment de la simulation de l’acte sexuel. On découvre l’équipe de tournage en état de sidération. Le plan témoigne de la brutalité de la scène, appuyée par les larmes de Maria et sa fuite après le « Coupez » bien trop tardif de Bertolucci.
La réalisatrice déclare qu’il régnait à ce moment charnière de son tournage une tension palpable.
Maria reproche immédiatement cette scène au réalisateur. Elle retourne malgré tout sur le tournage et n’a pour mots de soutien de Brando qu’une tirade pathétique « It’s only a film » provoquant habilement colère et dégoût.
Empathie avec son personnage
La réalisatrice nous offre le point de vue unique de Maria Schneider. Une empathie omniprésente pour elle traverse le film : les gros plans délicats sur le visage de l’actrice, sa voix si claire même dans la souffrance, son assurance et son courage parfaitement interprétés par Annamaria Vartolomei, qui convainc de bout en bout. Révélée dans « L’événement » d’Audrey Diwan, l’actrice crève littéralement l’écran. Son regard pénétrant et intense bouleverse. Sa lucidité impressionne : « habillée je n’intéresse personne » (suite au Dernier Tango, on ne lui proposera quasiment que des films de charme où elle doit apparaître nue). Maria sombre, elle est seule contre tous : ni la presse ni son père ni son agent ne la soutiennent. Il faudra l’arrivée d’une jeune étudiante en cinéma (formidable Céleste Bunnquell) pour que l’actrice puisse s’extraire de ses démons. Là aussi, la caméra de Jessica Palud enveloppe de douceur les scènes de tendresse des deux jeunes femmes. Enfin, les notes de musique signées Benjamin Biolay subliment ce récit poignant.
En conclusion : Jessica Palud apporte un éclairage sensible et incarné sur ce scandale. Elle rend compte en outre d’une époque qui cautionnait des comportements abusifs sous couvert de l’art. La réalisatrice s’empare de son sujet avec une volonté farouche de rendre hommage à une actrice courageuse : il y a 50 ans, Maria Schneider disait les choses mais elle n’était pas entendue. Les deux ogres manipulateurs auront finalement reconnu leur responsabilité, bien après le décès de l’actrice survenu en 2011.