Jafar Panahi compte parmi les cinéastes les plus importants et les plus courageux de notre époque. Malgré la répression en Iran, il a été récompensé à plusieurs reprises par les plus grands prix européens dont la Palme d’or 2025 pour UN SIMPLE ACCIDENT. Dans son nouveau film, il combine dialogues perspicaces, humour noir et suspense pour brosser un portrait social impressionnant. Dans cet entretien, il explique comment le scénario a été écrit en prison et pourquoi il souhaite retourner en Iran.
Jafar Panahi | UN SIMPLE ACCIDENT
- Publié le 29. octobre 2025
«La seule possibilité d'un avenir meilleur dans mon pays est de briser le cercle vicieux de la violence. »
Récompenses de Jafar Panahi
- THE WHITE BALLOON | 1995 | Caméra d’or – Meilleur premier film au Festival international du film de Cannes
- THE MIRROR | 1997 | Léopard d’or – Grand prix du Festival du film de Locarno
- THE CIRCLE | 2000 | Lion d’or – Grand prix au Festival international du film de Venise
- CRIMSON GOLD | 2003 | Prix du jury – Un Certain Regard au Festival international du film de Cannes
- OFFSIDE | 2006 | Ours d’argent – Grand prix du jury au Festival international du film de Berlin
- THIS IS NOT A FILM | 2011 | Carrosse d’Or au Festival de Cannes
- TAXI TEHERAN | 2015 | Ours d’or au Festival international du film de Berlin
- TROIS VISAGES | 2018 | Meilleur scénario au Festival international du film de Cannes
- NO BEARS | 2022 | Prix spécial du jury au Festival international du film de Venise
- UN SIMPLE ACCIDENT | 2025 | Palme d’or au Festival international du film de Cannes
Interview par Geri Krebs au Locarno Film Festival 2025
Monsieur Panahi, il y a exactement 30 ans, en août 1995, vous étiez pour la première fois à Locarno, sur la Piazza Grande, avec votre tout premier film, THE WHITE BALLOON. Quel effet cela vous fait-il de revenir ici aujourd’hui ?
Je me souviens encore très bien de cette expérience incroyable : après avoir remporté la Caméra d’or du meilleur premier film à Cannes en mai, j’ai pu présenter mon film devant 8000 personnes sur cette magnifique place. Et le plus incroyable, c’est qu’il s’est mis à pleuvoir vers le milieu du film, mais les gens sont restés. C’était un sentiment très particulier que je n’oublierai jamais. Je suis revenu deux fois à Locarno : en 1997 avec mon film suivant, THE MIRROR, et en 2002 en tant que membre du jury du Concorso internazionale. Je me souviens encore que Béla Tarr était l’un de mes collègues du jury à l’époque. Je ne suis pas revenu à Locarno depuis. C’est bien sûr un sentiment formidable d’être de retour ici après tant d’années, et je suis un peu nerveux à l’idée de savoir comment mon nouveau film sera accueilli par le public de la Piazza.
UN SIMPLE ACCIDENT est déjà votre onzième long-métrage. Contrairement à vos films précédents, que vous avez dû réaliser plus ou moins en secret, il semble cette fois-ci que vous ayez pu tourner sans trop d’entraves. Est-ce exact ?
Non, j’ai également réalisé UN SIMPLE ACCIDENT en secret et sans autorisation. Je ne l’aurais d’ailleurs jamais obtenue. De plus, ce serait une course d’obstacles bureaucratique insensée. Il faudrait d’abord soumettre le scénario à l’autorité de censure. Si le scénario passe avec succès toutes les étapes de la censure, vient ensuite la course d’obstacles des autorisations de tournage. Et lorsque le film est terminé, une autre autorité de censure examine le montage final et peut à tout moment saisir le film terminé. Mais vous avez raison dans la mesure où, par rapport à mes cinq films précédents – à commencer par THIS IS NOT A FILM (2011), que j’ai réalisé chez moi alors que j’étais assigné à résidence, jusqu’à NO BEARS (2022) –, il y avait une petite différence, non négligeable, dans UN SIMPLE ACCIDENT.
Laquelle ?
L’interdiction de sortie du territoire qui m’avait été imposée pendant 15 ans a été levée il y a quelques mois. J’ai récupéré mon passeport. C’est pourquoi j’ai pu me rendre à Cannes en mai avec mon film et que je suis maintenant assis devant vous dans la belle ville de Locarno.
Allez-vous retourner en Iran ?
Bien sûr, c’est mon pays natal. Je viens directement de Paris, mais avant cela, après le Festival de Cannes, j’ai passé plusieurs semaines en Iran et, comme je l’ai dit, j’y retournerai bientôt. C’est aussi la raison pour laquelle, comme vous l’a déjà indiqué le distributeur du film, je ne peux répondre à aucune question sur la situation politique actuelle en Iran dans cette interview, ce que vous comprendrez certainement.
J’aimerais en savoir plus sur la genèse du scénario. Dans quelle mesure les histoires des cinq protagonistes s’inspirent-elles de personnes réelles ?
Comme vous le savez probablement, j’ai été incarcéré à la prison d’Evin à Téhéran de juillet 2022 à février 2023. J’ai passé la plupart de mon temps dans une cellule avec mon ami et collègue cinéaste Mohammad Rasoulof. Nous avons constamment échangé nos idées sur des films et des scénarios. Nous étions aussi souvent en compagnie de nombreux autres prisonniers et écoutions leurs histoires. Chaque fois que j’étais interrogé, on me bandait les yeux. À cet égard, le personnage principal, Vahid, s’inspire en partie de ma propre expérience. Les quatre autres personnages sont issus en partie des histoires de mes compagnons d’infortune qui partageaient ma cellule, et en partie des témoignages que j’ai entendus après ma libération. Chacun des cinq protagonistes représente un groupe particulier de la société iranienne actuelle. En fin de compte, celle-ci se divise en deux parties : ceux qui croient en la nécessité de la violence et ceux qui plaident pour des relations pacifiques entre les uns et les autres. Dans mon film, j’essaie de montrer qu’un dialogue doit avoir lieu entre ces deux parties de la société.
Peut-on dire que le message principal du film est que la vengeance ne mène à rien ?
Je dirais plutôt que c’est un film sur la fin de la violence. La seule possibilité que je vois pour un avenir meilleur dans mon pays est de briser le cercle vicieux de la violence.