Interview Timm Kröger | DIE THEORIE VON ALLEM
- Publié le 14. novembre 2023
«Mon intention était de plonger le public dans la mémoire collective d'un passé façonné par nos souvenirs cinématographiques.»
Présenté au GIFF 2023, en compétition longs métrages.
Interview par Djamila Zünd
Lors de l’écriture du scénario, quelles ont été les raisons qui vous ont poussé à choisir la Suisse comme toile de fond de votre histoire ?
Sachez avant tout que l’écriture du scénario m’a pris énormément de temps, plusieurs années en fait. Dès le départ, mon objectif était d’immerger le public dans un monde étrange et inconnu. Ayant grandi dans le nord de l’Allemagne, la simple évocation de la Suisse fait immédiatement surgir des images de montagnes, de sommets enneigés et de congrès internationaux, créant ainsi tout naturellement une atmosphère d’étrangeté. Pour moi, et cela peut sembler un peu niet, situer mon histoire en Suisse satisfait ma quête du mystérieux et de l’incompréhensible. Le film est une sorte de thriller d’espionnage et j’ai pensé qu’il n’y avait pas de meilleur endroit pour explorer ce projet. D’ailleurs, la Suisse est le siège de l’accélérateur de particules, le CERN. Et, le voyage d’un aspirant docteur en physique dans les Alpes me semblait donc tout à fait naturel. C’est pourquoi je suis convaincu que l’atmosphère particulière qui émane de votre pays vers le monde extérieur ne peut être reproduite nulle part ailleurs en Allemagne. La Suisse était pour moi comme une boîte noire, un endroit magique que je n’avais jamais exploré auparavant.
Votre film semble également faire une multitude de références cinématographiques. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Ce qui m’a toujours fasciné, non seulement en tant que passionné d’histoire mais aussi en tant que cinéaste, c’est le plaisir de plonger dans le passé. Le cinéma nous offre un moyen unique d’y parvenir en reproduisant l’esthétique des expériences cinématographiques passées. Ma vision du passé est profondément teintée de souvenirs cinématographiques, car les cinéastes ont reconstitué à travers leurs films des moments historiques, m’évitant ainsi d’avoir à les vivre personnellement.
Certes, mon film incorpore certains éléments du film noir, mais il va plus loin ; je lui ai insufflé plusieurs touches distinctives. Sans aucun doute, l’intrigue plonge dans une conspiration obscure, tenant le public en haleine avec un complot qui reste insaisissable. Nous percevons qu’il y a une complexité au-delà de la dichotomie du simple bien contre le mal, puis entre en scène une femme mystérieuse, etc. Jusqu’à la fin, les spectateurs se posent une myriade de questions. Par conséquent, je joue avec mes spectateurs et mon film incorpore, dans une certaine mesure, des éléments qui rappellent les romans gothiques et embrasse même quelques aspects lovecraftiens, ce qui intensifie son atmosphère. Le film pourrait même être décrit comme un roman kafkaïen se déroulant dans un hôtel des Alpes suisses. Cependant, il porte également l’essence d’une itération curieusement sans émotion et pleine d’action des récits d’Indiana Jones, quoique située dans un contexte germanique en noir et blanc. Et, Indiana Jones lui-même est un remarquable amalgame de différents genres. Puis, bien sûr, nous rendons hommage au grand Hitchcock !
Comme vous l’aurez compris, mon intention était de plonger le public dans la mémoire collective d’un passé façonné par nos souvenirs cinématographiques. L’esthétique des années 1950 avec laquelle j’ai essayé de colorer mon film ajoute une dimension particulière de mysticisme, cherchant à susciter la réflexion et à faire réagir le public d’aujourd’hui à ce style visuel particulier.
Dans cette démarche la musique semble jouer un rôle incontournable dans ce sens. À quel point son rôle a-t-il influencé certains de vos choix esthétiques ?
La Twilight Zone y est certainement très présente. Je crois que j’ai dû écouter chaque partition de Twilight Zone du début à la fin, quelque 300 fois, juste pour m’imprégner de ce langage musical. Par la suite, avec mon compositeur, on a pu la retravailler. Je ne sais pas si c’est audacieux, mais cela m’a semblé très stimulant.
Ce qui m’intéresse le plus à propos de cette musique, c’est de comprendre comment un public contemporain perçoit et vit une approche cinématographique de ce genre. Bien que le film évoque les années 1950, nous sommes conscients que ce n’est pas le cas, d’où la présence tapageuse de la musique. On a littéralement l’impression qu’elle nous crie dessus par moments. Le film adopte parfois un ton très pathétique et sérieux, mais on sent qu’il ne se prend pas entièrement au sérieux. Il cherche à maintenir un équilibre, créant une atmosphère bizarre qui résonne au-delà de l’écran.
Passons aux personnages, en particulier à Johannes. Comment avez-vous travaillé sur son développement et son interprétation ?
Le personnage de Johannes est complexe et j’ai eu beaucoup de chance d’avoir à mes côtés l’acteur Jan Bülow, qui possède un instinct brillant. Parfois son jeu semblait un peu excessif et parfois ses initiatives m’impressionnaient. En fin de compte, en termes de dosage dramatique, tantôt il avait raison, tantôt j’avais raison, mais au bout du compte, le tout était réuni en un ensemble cohérent. Comme l’a dit Hitchcock, la caméra fait parfois le travail à votre place !
La trame du multivers est un élément incontournable de votre film. Contrairement à son traitement dans les films Hollywoodiens comme ceux de la franchise MARVEL, comment l’avez-vous traité et pourquoi ?
L’idée du multivers est venue de mon co-scénariste, et elle a donné une direction nouvelle à mon idée de conspiration – dans le genre « James Bond secret », sous un hôtel. Elle a également ajouté une couche de paranoïa que j’ai trouvée exaltante, en explorant les multiples façons dont une vie peut se dérouler. Je l’ai utilisé davantage comme une métaphore psychologique pour raconter mon histoire que comme un film sur la physique quantique.
J’ai ensuite pensé au cinéma, car les films traitent généralement de biographies humaines réussies. Les fameuses « success stories ». Il était donc particulièrement intéressant pour moi d’avoir ce jeune génie et de le faire évoluer dans une direction totalement inexplorée. Il aurait pu devenir un génie, gagner un prix Nobel, mais je le vois plutôt comme le concept du chat de Schrödinger (qui est à la fois vivant et mort). Johannes est donc à la fois un génie et un cerveau mort. C’est à la fois tragique et drôle. Voir un personnage se retrouver dans cette impasse à la fin, où personne ne croit vraiment à l’histoire que nous venons de vivre avec lui.
Pour clore, pouvez-vous nous éclairer sur la manière dont vous intégrez les éléments de science pure dans votre scénario ? Sont-ils des éléments de soutien à l’histoire ou occupent-ils une place centrale dans votre propos en tant que protagonistes principaux ?
En ce qui concerne les aspects scientifiques du film, bien que je ne sois pas physicien, je voulais que les informations sur la physique restent crédibles. Les formules utilisées ne sont peut-être pas totalement réalistes, mais elles sont profondément ancrées dans des concepts réels. Le film est davantage une exploration artistique de thèmes scientifiques qu’une œuvre de science pure. Il ne se concentre pas sur la physique en tant que telle, mais plutôt sur la façon dont nous utilisons la physique. Il s’agit davantage d’une métaphore psychologique, d’un outil pour raconter mon histoire.
Je ne pense pas qu’un intérêt pour la physique soit une condition préalable pour s’identifier au résultat de l’histoire. Le titre, « Die Theorie von Allem » [fra. La Théorie du Tout] évoque une promesse que nous pouvons, même à première vue et sans connaissances approfondies en physique, reconnaître comme quelque chose qui n’existe pas vraiment. Il suscite des attentes qu’il ne pourra probablement pas satisfaire pleinement ! C’est pourquoi je considère que ce titre est à la fois évocateur de ce dont nous parlons et porteur d’attentes.