L’acteur sénégalais était de passage à Genève pour le GIFF, aux côtés du réalisateur du film Matteo Garrone.
Interview Seydou Sarr | IO, CAPITANO
- Publié le 12. novembre 2023
«Si l'occasion se présente, j'aimerais rester dans le cinéma, sans pour autant négliger mon rêve initial de devenir footballeur.»
IO, CAPITANO | Synopsis
Seydou et Moussa, deux jeunes sénégalais de 16 ans, décident de quitter leur terre natale pour rejoindre l’Europe. Mais sur leur chemin les rêves et les espoirs d’une vie meilleure sont très vite anéantis par les dangers de ce périple. Leur seule arme dans cette odyssée restera leur humanité.
Interview par Djamila Zünd
Comment avez-vous été sélectionné pour le rôle et comment s’est déroulée votre rencontre avec Matteo Garone ?
J’ai rencontré Matteo au Sénégal tout à fait soudainement. Mon rêve était de devenir footballeur, mais après une audition à Thiès, j’ai été sélectionné à ma grande surprise. Après cette première victoire, j’ai passé une deuxième audition à Dakar avec mon futur compagnon de route, Moustapha Fall. Nous devions voir et en fait convaincre le directeur de casting que nous avions une bonne alchimie, puisque nous devions être cousins dans le film.
En tant que nouveau venu dans l’industrie du cinéma, comment avez-vous abordé le travail sur le scénario ?
C’était mon premier film, et partager l’écran avec des acteurs déjà établis représentait un défi. Mon approche du script était centrée sur l’authenticité. À la réception du script, je le lisais une seule fois, puis chaque jour, en collaboration avec le réalisateur, nous en discutions pour approfondir ma compréhension. Le script, étant en italien et en français, nécessitait un travail scène par scène avec une traductrice pour rendre le contenu accessible en wolof. Mon objectif était de livrer une performance aussi naturelle que possible.
Pouvez-vous nous guider à travers le processus de création de votre personnage, du casting au tournage ?
Du casting aux essais de costumes en passant par le tournage au Maroc, tout s’est déroulé très rapidement. En effet, les scènes de prison et de désert ont été tournées à Casablanca et dans d’autres lieux au Maroc, ce qui a permis d’éviter le tournage en Libye. En deux mois seulement, du casting au début du tournage, le projet est devenu réalité. Le tournage a duré trois mois au total, au cours desquels j’ai passé chaque jour à développer mon personnage, dans un souci constant d’authenticité. Ainsi, la création de mon personnage a impliqué une compréhension profonde des scènes et une immersion quotidienne dans leur expérience, en les abordant comme s’il s’agissait de mes propres expériences.
Dans le film, votre personnage s’amuse à écrire des chansons. Avez-vous également écrit quelques vers pendant le tournage ?
Oui ! Moustapha et moi avons composé et interprété toutes les chansons du film. Pour nous, c’était vraiment unique et stimulant ! De plus, ça correspond au rêve de mon personnage de devenir chanteur et de signer des autographes en Europe.
Lors de la 80e de La Mostra de Venise, vous avez reçu le Prix Marcello Mastroianni du meilleur espoir. Dans votre discours de remerciement, vous avez mentionné la solide préparation que votre mère vous a apportée pour ce rôle. En quoi sa formation vous a-t-elle aidé à vous épanouir ?
Pendant le tournage, sa présence, ainsi que celle de ma sœur, a été un réconfort constant.
Ma mère ne s’est pas seulement contentée de m’encourager, elle a également pris le temps de me guider et de me corriger lorsque c’était nécessaire. L’une de ses leçons les plus précieuses a été simple mais fondamentale : « sois toi-même ». Elle m’a inculqué l’importance de l’authenticité dans ma performance, soulignant que la clé n’était pas seulement d’être naturel, mais surtout d’être fidèle à moi-même.
Les réalités difficiles que vivent les personnages du film reflètent des histoires réelles de migrants. Comment avez-vous géré les émotions pendant le tournage ?
Avant le tournage, je ne connaissais personne qui avait fait le même voyage que mon personnage. Les rencontres que l’équipe de tournage a organisées avec des personnes au Maroc qui avaient vécu l’expérience de la migration à pied vers l’Europe ont eu un effet profond sur mon expérience. Le choc initial a fait place à une compréhension plus poussée grâce à leurs histoires personnelles. Heureusement, l’équipe technique a joué un rôle crucial en apportant son soutien au quotidien. Même dans les moments de tension émotionnelle, l’atmosphère est restée positive. Nous avons ri pendant le maquillage et l’atmosphère s’est immédiatement détendue. De plus, nous sommes devenus plus qu’une équipe, nous sommes devenus une famille.
La scène où votre personnage voyage mentalement avec un ange est imprégnée d’éléments de la tradition sénégalaise. Pouvez-vous la décrypter pour nous ?
Oui, c’est exactement ça. Au début du film, mon personnage va avec son cousin Moussa consulter le marabout du village pour obtenir la bénédiction des ancêtres, étape importante avant de commencer leur voyage. Une fois qu’il a donné son accord, ils partent tous les deux. Mais au fil de l’histoire, le personnage principal se retrouve emprisonné, épuisé et tourmenté. Puis, dans un rêve, il dialogue avec un interlocuteur mystérieux. Accompagné d’un ange, il retourne dans son village pour réconforter sa mère, lui assurant qu’elle ne doit pas s’inquiéter malgré les épreuves du voyage. Cet ange intervient, offrant une forme de soutien dans une période difficile, surtout considérant que le personnage est parti sans l’approbation de sa maman.
Le film est un reflet de notre société : la richesse de l’animisme sénégalais, coexistant harmonieusement avec nos traditions catholiques, chrétiennes et musulmanes. Cette fusion culturelle s’exprime pleinement dans le film de Matteo. La figure messagère, bien que vêtue de manière traditionnelle, incarne un ange porteur de bonnes nouvelles. C’est une représentation de l’harmonie entre les influences religieuses et traditionnelles, ce qui dépeint une réalité culturelle complexe et variée.
Après ce voyage émotionnel, y a-t-il une scène particulière qui résonne encore en vous ?
C’est celle que nous avons tournée dans le désert du Maroc. C’était une scène incroyablement chargée émotionnellement. J’étais là, avec cette femme mourant dans mes bras, et moi, totalement impuissant face à la situation. Interpréter cette scène a fait remonter en moi des souvenirs enfouis, notamment la mort de mon père, survenue il y a six mois. Automatiquement, je ne voyais plus la femme à l’écran, mais plutôt mon père. Et c’était vraiment difficile.
Ce vécu m’a, d’une certaine manière, aidé à jouer la scène, mais ça a été une épreuve difficile, un nouvel affrontement avec des émotions que je pensais avoir déjà surmontées.
Après ce cours accéléré dans le domaine du cinéma, comptez-vous continuer à évoluer dans l’univers du 7e art ou vous destinez-vous à d’autres rêves ?
Si l’occasion se présente, j’aimerais rester dans le cinéma, sans pour autant négliger mon rêve initial de devenir footballeur. La composition de chansons fait également partie de mes talents, mais je n’envisage pas d’en faire mon métier.
Vous évoquez vouloir sensibiliser le public à un message, lequel est-il ?
Oui, je ressens le besoin de dénoncer un problème que j’ai découvert en faisant ce film. Je veux encourager tout le monde à réfléchir à cette injustice. Par exemple, le voyage d’un Sénégalais vers l’Europe est extrêmement difficile, alors que l’inverse est beaucoup plus accessible par la simple demande d’un visa. J’espère sincèrement que ce film ouvrira les yeux du monde sur la réalité vécue par certains migrants et que des changements significatifs seront apportés à l’avenir.