SIMPLE COMME SYLVAIN est une histoire d’amour rafraîchissante, décapante entre deux personnes dont les milieux sont très différents : Sophia «l’intellectuelle» et Sylvain «le manuel». Une comédie romantique qui donne matière à réflexion sur le couple. De passage au ZFF pour présenter son film, la réalisatrice Monia Chokri a répondu à nos questions.
Interview Monia Chokri | SIMPLE COMME SYLVAIN
Interview par Ondine Perier
Comme vous disiez qu’il y avait une part autobiographique dans votre film « La femme de mon frère », y en a t-il une dans celui là ?
C’est drôle parce que c’est une question qu’on me pose énormément. En fait, quand je parle d’autobiographie, et cela concerne tous mes films dont celui que je suis en train d’écrire en ce moment, c’est en fait le sentiment que je porte. Mes films partent toujours d’un sentiment que j’ai vécu. Ce n’est pas tant une situation précise. Je n’ai pas vécu l’histoire de Sophia ou même l’histoire de l’héroïne dans «La femme de mon frère». Mais par contre, le sentiment est réel. La question, c’est finalement, qu’est- ce qui importe là- dedans Moi, par exemple, je suis une grande fan d’Annie Ernaux. Je sais qu’elle travaille dans l’ autofiction, mais en fait ce qui m’intéresse, c’est la fiction, puisque c’est ce qui m’amène dans mon intimité. Je m’en fiche de savoir ce qui s’est passé dans la vie d’Annie Ernaux.
Mais ici l’idée initiale c’était de parler du couple, c’est un système comme la famille. C’est un système politique, économique, social, familial, mais qui a rien à voir avec l’amour au départ. Le couple, c’est un système qu’on avait arrangé entre familles pour garder une certaine richesse, pour opérer une sorte de transfuge. Ça n’avait rien à voir avec l’amour. Ce n’est que depuis les années 60 que l’amour est associé à la notion de couple. Fondamentalement, je me suis dit « C’est une institution pesante. » qui à moi ne convient pas. Ou en tout cas, est-ce qu’on peut imaginer le couple autrement ? J’ai commencé à réfléchir sur ce système là qui pourrit l’amour d’une certaine manière. Bien sûr, il y a des couples heureux, mais ça reste quand même un challenge parce qu’il y a une pesanteur sur le couple et du coup une pesanteur sur l’amour dû au couple.
C’est extrêmement drôle la manière subtile de souligner les différences de classe à travers les façons de parler, codes, références, goûts. Comment vous êtes vous appropriée l’accent, les expressions de Sylvain, l’homme de la campagne ?
Je le connais parce que je vis dans au Québec où il y a aussi cette manière de s’exprimer. Je trouve que le plus difficile dans les films en général, c’est que les personnages aient leur propre langue. Souvent, dans les films, on dirait que tout le monde parle de la même façon. Or, dans la vie, c’est tout à fait le contraire. Les gens parlent tous d’une manière différente. Et c’est très long à faire ce travail de trouver le langage de que chacun des personnages.
Vous avez été actrice pour Xavier Dolan dans «Laurence Anyways» notamment, vous-êtes vous inspirée de sa manière de réaliser un film ?
À mes débuts, Xavier m’a appris plein de choses sur le métier de cinéaste. Et je l’ai beaucoup observé. Notamment, je me suis un peu inspirée de sa manière de diriger les acteurs qui est de laisser tourner la caméra, puis de nous diriger pendant la prise. Il s’agit du coup d’avoir une très bonne monteuse, pour mettre des points parce que la prise peut durer très longtemps, 10 à 15 minutes. Ce que j’aime dans cette méthode- là, c’est qu’au lieu de dire « coupez » puis d’aller donner un million d’indications à l’acteur, le fait que l’on soit encore dans l’énergie de la scène permet que l’acteur lâche prise sans être cérébral ; il est en état de survie parce qu’il est en jeu et il fait juste ce qu’on lui demande avec instinct. Et cela donne souvent des choses assez magiques et intéressantes au lieu de le laisser prendre le temps d’avoir le contrôle, de réfléchir à comment il va le faire.
Vous jouez Françoise, la meilleur amie de Sophia ; est-ce que cela a été un peu schizophrénique pour vous d’être à la fois actrice et réalisatrice ?
C’est complètement schizophrénique, je déteste ça et je pense que je ne le ferai plus d’ailleurs ! Je ne voulais pas le faire mais Magali (Lépine-Blondeau) qui est ma meilleure amie dans la vie a insisté en mettant en avant la travail facilité du fait qu’on aurait pas à inventer notre complicité. Je n’étais vraiment pas convaincue parce que sur « Babysitter » (son 2ème film NDLR), ça avait été très compliqué, ce à quoi Magali rétorquait que c’était complètement différent car il s’agissait là d’un rôle beaucoup plus petit, etc. et j’ai fini par me ranger de son avis. Mais j’avais oublié que Françoise était dans les plus grosses scènes du film, celle notamment où je me retrouve à diriger neuf acteurs. J’avais envie de pleurer tellement j’avais l’impression d’être présente à moitié, que j’étais à 50% actrice et à 50% réalisatrice… En plus c’était une mise en scène très travaillée techniquement car on était toujours en mouvement, heureusement que j’avais des partenaires solides.
Il y a une symbiose évidente, charnelle entre les protagonistes incarnés par Magalie Lépine-Blondeau et Pierre-Yves Cardinal, sont-ils des acteurs connus au Quebec ?
Oui, les deux sont des grosses stars au Québec. Magali est une très grande actrice. Au Québec, pour être connue, il faut faire part de la télé, parce que le cinéma est quand même un milieu artisanal. Magali, elle a fait une série qui s’appelle District 31, qui était une quotidienne où elle a explosé en popularité il y a quelques années. Et c’est aussi une grande actrice de théâtre. Elle a interprété des grands rôles au théâtre : Mademoiselle Julie, Roxane, dans Cyrano de Bergerac, etc. Elle est très connue et très appréciée du public. Et Pierre-Yves, c’est un peu le fantasme au Québec, le bellâtre. Donc pour les Québécois, ce duo là – qui n’avait jamais été formé à l’écran avant – crée tout de suite un couple très romantique.
Avez-vous tout de suite pensé à eux en écrivant le scénario du film ?
Non, je n’écris jamais en pensant à mes acteurs, parce que le peut bouger, c’est tellement long d’écrire un scénario.
Y a-t-il eu un casting pour trouver votre Sophia ?
Il y a eu un casting mais comme Magali est une de mes premières lectrices. Elle l’a lu il y a presque quatre ans maintenant et elle m’avait dit très timidement « j’aimerais vraiment que tu me considères pour le rôle, j’aimerais vraiment incarner ce personnage, mais bon, je veux pas que tu te sentes obligée » et bon, ça m’a pris un an et demi pour lui dire « voilà, je te l’offre ».
Il n’y a jamais de jugement sur un milieu plutôt qu’un autre sauf sur celui du frère de Sophia qui évolue dans celui de l’art contemporain et fait preuve d’un snobisme méprisant.
C’est drôle parce que celui qui joue le frère, Guillaume Laurin – que j’adore comme acteur – m’a dit juste avant le tournage qu’il était allé à Berlin pendant l’été et qu’il avait réellement rencontré ces gens-là. Et ce sont aussi des gens que j’ai moi-même côtoyés dans le milieu de l’art. Mon père était peintre ; j’ai grandi dans le milieu des arts visuels. Il s’agit toujours pour ces artistes d’expliquer leur démarche ; ce qu’on ne trouve pas dans un art comme le cinéma ou dans la littérature, qui sont des arts populaires.
On a l’impression que c’est à cause de l’entourage, des injonctions sociales, que Sophia ne s’abandonne pas totalement dans sa relation.
Oui, en surface, mais je pense que fondamentalement, elle- même, elle n’est à un moment donné plus vraiment convaincue. Cela vient lorsqu’il y a une rupture dans la langue de l’âme aussi, où là, il y a un manque de communication, puis qu’elle se dit « Je ne suis pas sûre que je me comprends moi-même non plus dans cette relation-là. ». Le film traite aussi la question du rapport des femmes au couple et à l’amour.
Sélectionné à la compétition UN CERTAIN REGARD à Cannes, ovationné par la critique, premier rang du box-office québécois, la sortie en France début novembre s’annonce sous les meilleurs auspices, comment appréhendez-vous cette sortie?
Dans le milieu professionnel, je sens que le film a un certain écho, mais j’aimerais vraiment que les gens y aillent surtout. Ce qui me fait vraiment peur, c’est qu’il y a une espèce de saga de punaises de lit dans les cinémas à Paris, même Libération en a fait son titre…!
Enfin y a-t-il un film parmi les nombreux programmés au ZFF que vous avez particulièrement envie de voir ?
Il y en a plein mais j’aurai pas le temps de les voir malheureusement car je pars demain mais j’aurai adoré voir « Àma Gloria » de Marie Amachoukeli.