Venue présenter son film en avant-première pendant les Rencontres 7e Art Lausanne, la réalisatrice Léa Todorov a répondu à nos questions. Ce film n’est pas un biopic sur Maria Montessori mais sur un pan de sa vie, celui où elle doit faire face à des choix cruciaux en tant que femme et mère. Maria Montessori a œuvré toute sa vie pour le droit des femmes et celui des enfants atypiques. Léa Todorov avait aussi à cœur de pallier au manque de représentation d’enfants porteurs de handicap à l’écran.
Interview Léa Todorov | LA NOUVELLE FEMME
« Ce qui compte pour moi, c'est d'avoir vécu cette aventure humaine qui dépasse les questions cinématographiques »
LA NOUVELLE FEMME | Synopsis
Lili d’Alengy, cocotte parisienne, est au faîte de sa gloire au début du 20e siècle. Pour cacher sa fille Tina, née avec un handicap, et ainsi préserver sa réputation, elle fuit à Rome où elle rencontre Maria Montessori. La femme médecin a développé une méthode pour aider les enfants qu’on appelle alors déficients à mieux apprendre. Mais elle aussi, qui incarne publiquement la “nouvelle femme”, moderne et émancipée, cache un secret : un enfant né hors mariage. Ensemble, les deux femmes vont s’entraider pour gagner leur place dans ce monde d’hommes et écrire l’Histoire.
Interview de Lliana Doudot
LA NOUVELLE FEMME est votre premier long-métrage de fiction, après avoir réalisé de nombreux documentaires. Qu’est-ce qui vous a poussé à essayer ce genre ?
Ça faisait un moment déjà que je ne voulais plus faire du documentaire. J’avais d’ailleurs arrêté et je travaillais sur la structure de production que j’ai participé à créer, Elinka Film. J’ai fait un dernier projet, mais où j’ai essayé de faire quelque chose d’un peu plus hybride, un documentaire qui serait une sorte de performance. Je ne me retrouvais finalement plus complètement dans la forme du documentaire, parce que j’ai une écriture et une envie d’aller vers le romanesque. Ce mouvement interne a trouvé son expression dans la fiction.
Ce film sur Maria Montessori est une fiction biographique, entre événements réels et fictifs. Comment avez-vous fait pour trouver un équilibre entre ces éléments ?
Ce qui me passionne, c’est de partir de beaucoup d’événements et d’éléments extrêmement réels et d’essayer d’être le plus fidèle possible à une vérité historique, afin d’y trouver les ressorts d’une dramaturgie fictionnelle mais singulière. La singularité du réel est toujours plus étonnante que celle qu’on peut imaginer lorsque l’on se projette dans l’écriture d’un scénario. C’est ensuite un travail qui se passe par couches successives, de reformuler l’aspect dramatique du réel. Et puis effectivement, j’insuffle dans le récit des éléments totalement fictionnels, mais qui n’en sont pas moins nourris d’autant de vérités. Il y a aussi une vérité émotionnelle que j’amène, à partir de la manière dont j’ai pu éprouver le monde à la naissance de mon enfant neuroatypique.
Était-ce donc pour vous une évidence, de faire un film sur Maria Montessori à laquelle vous vous étiez déjà intéressée dans le documentaire RÉVOLUTION ÉCOLE, sorti en 2016 ?
Oui, complètement. Dans tous les projets que j’ai voulu initier en fiction, je me penchais sur des personnages de femmes historiques. On est donc dans une continuité totale. Et puis effectivement, je m’étais intéressée à Maria Montessori en participant à l’écriture de ce documentaire qui m’a occupée pendant des années. C’était un film auquel j’ai donné énormément de temps et d’énergie parce que je trouvais le sujet tellement passionnant. Je suis donc heureuse d’avoir pu poursuivre ce travail dans une fiction.
L’émancipation féminine et la sororité sont d’ailleurs des thèmes très présents dans LA NOUVELLE FEMME. Ces motifs sont-ils intrinsèques au vécu de Maria Montessori ou était-ce un choix personnel d’ajouter ce ton féministe au film ?
J’ai trouvé très intéressant de découvrir à quel point Maria Montessori avait toujours été entourée de femmes qui l’avait aidée. C’est donc complètement véridique, il y avait effectivement des femmes puissantes, intelligentes et éduquées qui se sont très vite intéressées à cette jeune médecin exceptionnelle, et qui en ont fait une alliée. Un peu comme le personnage de Betsy dans le film, ces femmes s’ennuyaient : elles étaient riches, habitaient en ville et n’avaient rien à faire. La philanthropie était alors devenue ce à quoi elles pouvaient s’occuper. Et ces moyens étaient ce qui manquait à Maria Montessori. C’est de cette manière qu’elle a écrit son premier livre : ses amies lui ont dit que sa méthode était géniale et qu’il fallait qu’elle la documente.
On sait aussi très peu que la méthode Montessori a d’abord été développée avec des enfants neuroatypiques et porteurs de handicaps moteurs et mentaux. Est-ce que c’était pour vous une volonté militante de montrer à l’écran des personnes qu’on ne voit jamais au cinéma ?
C’est au cœur de mon propos. J’adore la dimension historique et féministe du film, mais le vrai cheval de Troie, ce sont les enfants que je suis allée rencontrer à la fois dans des instituts, dans des écoles, ou par l’intermédiaire d’une annonce de casting. Avec mon équipe, d’ailleurs très féminine, on a alors formé un groupe avec lequel on avait l’impression de partir chaque matin à l’aventure. On est ressorties toutes complètement transformées par l’expérience de partage qu’on a traversée. C’est quelque chose que je chéris par-dessus tout aujourd’hui, parce que faire un film, c’est intimidant. Il est ensuite lâché, jugé, vu ou pas vu. Et je me raccroche toujours au fait que ce qui compte pour moi, c’est d’avoir vécu cette aventure humaine qui dépasse les questions cinématographiques. Et puis ça s’inscrivait dans la démarche du film, c’est une vraie image manquante de notre société. Et il y a un tel filtre validiste qui nous empêche de voir la représentation des enfants handicapés que je suis même surprise à quel point c’est peu remarqué au sujet du film, alors qu’il montre quelque chose qui n’est jamais montré, et que c’est son message le plus politique et le plus vibrant.
Comment s’est passé le tournage ? Était-ce différent de diriger une personne neuroatypique ?
Ça dépend de chaque scène, il n’y a pas de grandes règles – à part celle de bien connaître les enfants avec qui on travaille. Il y a quelque chose de vraiment remarquable dans le fait qu’ils arrivent à se rappeler de tous les déplacements qu’ils doivent faire, comment ils doivent manipuler un objet, donner une réponse, ou écrire au tableau en italien alors qu’il s’agit d’enfants français. Il y a vraiment un apprentissage derrière, comme pour un comédien tout à fait ordinaire. Mais j’avais vraiment la conviction que ce qui forme la différence donne la puissance à l’écran. On était en tout cas une équipe qui s’adaptait, mais comme j’aimerais que la société le fasse elle aussi au quotidien.
Aviez-vous déjà en tête Leïla Bekhti et Jasmine Trinca pour les rôles principaux lors de l’écriture du scénario ?
Jasmine Trinca était une évidence pour moi, parce que c’est une actrice que je connais depuis toujours. C’est quelqu’un qui a joué dans des films qui ont vraiment nourri ma cinéphilie. Dans « Nos meilleures années », une fresque historique sur l’Italie des années 60 à nos jours, sa fragilité à l’écran est incroyable et m’avait époustouflé. C’était donc magique de la filmer ici en Maria Montessori extrêmement forte. Pour Leïla Bekhti, je la connais comme tout le monde en France, c’est une de nos grandes icônes. Je pense que c’était bien de donner un personnage de cocotte française des années 1900 à quelqu’un qui joue un rôle de référence dans le cinéma français. C’est une actrice avec laquelle il a été assez formidable de travailler parce qu’elle a vraiment une générosité sur le plateau qui est extraordinaire, et elle ne ménage pas ses efforts.
La musique est très importante dans le film. Comment avez-vous sélectionné les morceaux de la bande-son ?
Pour la bande-son extra-diégétique, j’ai exclusivement utilisé la musique d’une compositrice d’époque qui s’appelle Mel Bonis, qui est méconnue parce que femme. Elle a composé cette musique que je trouve magnifique et qui a vécu en plus un destin similaire à celle des femmes incarnées à l’écran. Ça me tenait donc à cœur de la choisir. Le morceau de piano que joue à un moment le personnage de Lili a aussi été composé par une femme. En fait, je me suis dit que d’habitude on ne prend que des hommes par automatisme, et donc par militantisme, je n’ai pris que des femmes.
Après ce premier long métrage de fiction, est-ce que vous avez des projets en cours ?
Oui, j’ai envie de continuer dans la fiction. D’être inspirée par le réel mais de voir comment je le transforme. Après avoir fait un premier film, j’ai à la fois vraiment hâte de m’y remettre et de réécrire, mais aussi de me questionner sur comment faire autrement.