Diplômé d’un Master en cinéma à l’Université de Paris VIII, Just Philippot a présenté son deuxième film, ACIDE, en sélection officielle du festival de Cannes 2023 en hors compétition. Confirmant son intérêt pour des scénarios hors-du-commun au sous-ton fantastique, le réalisateur français a présenté son film lors de la cérémonie de clôture du NIFFF.
Interview Just Philippot | ACIDE
«C'est parti d'une envie de faire un spectacle en prenant très au sérieux les angoisses de notre époque, pour en faire un motif personnel et sincère»
ACIDE | Synopsis
Selma, 15 ans, grandit entre ses deux parents séparés, Michal et Élise. Lorsque des pluies acides s’abattent sur la France, cette famille fracturée va devoir s’unir pour affronter la catastrophe climatique et tenter d’y échapper. Après LA NUÉE, Just Philippot s’empare à nouveau des codes du fantastique dans cette course contre la montre anxiogène qui mêle l’intime à l’ampleur du film catastrophe. Un film effroyablement actuel.
Interview de Lliana Doudot
Votre film ACIDE clôturera le NIFFF, qui est un festival spécifique puisqu’il se concentre sur le film fantastique. Quel est votre rapport au genre fantastique dans votre travail ?
C’est un peu bizarre pour moi, parce que je n’ai pas l’impression de faire du film fantastique. C’est la particularité d’ACIDE, d’avoir une sorte de relation hybride entre du cinéma d’auteur et du cinéma spectaculaire et populaire. En France, on appelle cinéma de genre tous les films qui sortent un tout petit peu de ce sérail du cinéma d’auteur, alors que j’ai l’impression que partout dans le monde, on appelle ça du cinéma tout court. Mais je suis heureux d’être au NIFFF parce que c’est dans des endroits comme ceux-là où on explore vers des formes cinématographiques différentes, plus radicales et très osées. C’est un cinéma qui a l’originalité comme moteur, et on sent l’électricité dans l’air de ce genre de festivals. Il y a une vraie appétence du public à aller voir des choses différentes.
- ACIDE parle, entre autres, des conséquences du réchauffement climatique avec l’apparition de pluies acides qui provoquent le chaos. D’où vous est venue l’envie de parler de ce sujet ? Est-ce que cela vient d’une écoanxiété ?*
J’ai eu une carte blanche pour écrire un film fantastique, je suis donc parti sur le sujet qui me paraissait être le plus personnel, en me basant sur un court-métrage que j’avais réalisé il y a quelques années. Je me suis dit que si je devais raconter quelque chose qui faisait peur, il fallait que cela me fasse peur aussi. J’ai cherché la catastrophe devant laquelle je serai le plus impuissant. J’avais besoin d’aller vers un sujet qui serait porteur, pour moi, de sincérité. Je voulais aussi faire du cinéma spectacle : J’avais donc envie de présenter des émotions très fortes, mais de le faire de façon sincère. Ce n’est pas le geste d’un militant écologiste qui voudrait donner des leçons. Je voulais parler très sérieusement d’un sujet, respecter la sincérité d’une époque et notamment d’une jeune génération qui prend très au sérieux ces questions, avec cette écoanxiété qui est lourde, mais qui est aussi porteuse de solutions et d’un nouveau regard. Tout le film est construit autour de Selma, 16 ans, et de son regard sur aujourd’hui et demain. On a besoin de ce regard sur demain pour construire de nouvelles choses. Donc c’est parti d’une envie de faire un spectacle en prenant très au sérieux les angoisses de notre époque, pour en faire un motif personnel et sincère.
La lutte sociale est aussi très présente dans votre film, avec le personnage de Michal qui est ouvrier dans une usine. Vous êtes-vous inspiré des mouvements présents en France depuis quelques années ? Etait-ce logique pour vous de lier la question sociale à celle de l’écologie ?
Oui. Que ça soit la fin du monde ou la fin du mois, tu ne peux pas trancher. Les deux questions sont liées. C’est-à-dire qu’on ne peut pas parler des catastrophes liées au réchauffement climatique sans expliquer d’où elles viennent, et de montrer notamment à quel point la société dans laquelle on vit est malade sur plusieurs niveaux, notamment celui du social. On est sur un brasier en France depuis un bon moment, tout s’enflamme. Je ne pouvais donc pas parler d’ACIDE sans parler de nous. Et surtout, c’était un bon moyen pour moi de présenter un miroir, de présenter des personnages qui étaient ceux d’une époque et pas ceux d’une histoire hollywoodienne. Il s’agit d’hommes et de femmes comme vous, comme nous, et on en fait une histoire d’aujourd’hui, qui est portée par une colère sociale explosive. Cela a donné au film une sorte d’hyperréalisme.
- ACIDE suit donc Selma qui tente de survivre avec ses parents séparés, alors que les tensions familiales sont exacerbées. Pourquoi était-ce important pour vous de montrer ces relations à l’écran ?*
Je voulais montrer des gens qui n’étaient plus à leur place. Le père a tout perdu avec sa lutte syndicale parce qu’il est allé trop loin, et cela a créé des complications avec Elise, la mère. Au milieu de ça, il y a une ado qui n’a rien demandé à personne et qui se retrouve victime à la fois de la violence des contacts entre ses parents, et à la fois de la violence sociale, puisqu’on se moque d’elle à l’école. C’est donc une enfant en danger. Je voulais alors faire évoluer une famille fragile dans une catastrophe, alors que la cohésion et la réflexion collective sont nécessaires pour survivre. Dans une famille où l’amour n’est pas cimenté, les parents prennent les mauvaises décisions, et la menace se transforme. Ce n’est plus simplement celle d’une catastrophe naturelle, mais c’est celle de parents qui mettent en danger leur fille. Ces parents sont alors impuissants devant la situation, et incapables de faire les bons choix.
Avez-vous directement pensé à Guillaume Canet, Laetitia Dosch et Patience Munchenbach pour interpréter cette famille, lors de l’écriture du scénario ?
Non, j’imaginais des visages très flous ou une carrure en particulier. J’avais quand même très envie de travailler avec Laetitia depuis longtemps, et c’est devenu tout de suite très naturel de l’inscrire dans la narration d’ACIDE. Je cherchais ensuite le père, et il se trouve que l’agent de Laetitia est aussi celle de Guillaume. Elle nous en a donc parlé. J’ai réfléchi aux personnages très ambivalents et complexes qu’il a déjà joués, et ça a été une évidence. Il avait tout pour remplir ce personnage qui devait être dur. Ce qui a été formidable, c’est que quand je lui ai présenté le scénario, il m’a poussé à aller plus loin dans la noirceur du personnage de Michal. On a défini ensemble le chemin que je voulais qu’il prenne dans son interprétation. Il a alors travaillé énormément en amont. Guillaume est quelqu’un de très précis. Patience, je l’ai rencontrée par curiosité, et je me suis rendu compte très vite qu’elle avait le sens du jeu et de l’improvisation. C’est une jeune fille qui avait des choses à dire. J’ai donc veillé, avec l’aide d’une répétitrice, qu’elle se prépare à vivre des moments éprouvants et qu’elle les répète comme une actrice face à un rôle, et pas comme une jeune fille à qui j’allais voler des émotions. Je lui ai demandé de se protéger humainement pour être à même de répéter des émotions très fortes.
- ACIDE est seulement votre second film, mais il a été montré à Cannes et sélectionné ici au NIFFF, entre autres. Quelle est votre réaction face à l’accueil positif de votre film ?*
Quand tu as fini un film, tu as l’impression d’avoir tout donné. C’est physiquement et psychiquement éprouvant pour toi et ton entourage. Tu es vraiment dans une bulle, et ensuite tu n’as plus de force quand tu donnes ton film. Quand la critique est positive, c’est formidable. Quand elle est négative, c’est extrêmement difficile à vivre. Il faut se protéger constamment de l’accueil autour de ton film, parce qu’il arrive toujours un moment où tu ne comprends plus vraiment ce qui se passe. Tu as traversé des tunnels et tellement de pression lors de la fabrication, mais tu ne peux pas t’en plaindre parce que tu fais un métier incroyable. Donc quelque part, de façon très sincère, j’ai pris ce qu’il y avait à prendre, et il y a eu des choses formidables. Les choses moins formidables, j’ai appris à les mettre un peu à distance pour me protéger. Il faut bien trouver un équilibre pour éviter de prendre trop au sérieux des choses qui doivent n’être que du plaisir. Parce que dans un monde comme le nôtre, discuter face à vous de mon film à Neuchâtel avec le lac et cette magnifique ville devant moi, ce n’est qu’un pur plaisir.