De passage au ZFF en octobre dernier pour présenter LE RAVISSEMENT, son premier long-métrage impressionnant de maîtrise, la réalisatrice Iris la réalisatrice Kaltenbäck s’est exprimée à notre micro autour de la genèse de cette histoire fascinante et de ses influences cinématographiques. La maternité, l’amitié fusionnelle, la confusion des sentiments sont autant de thèmes qui ont été abordés dans le film et lors de l’interview. Bonne lecture !
Interview Iris Kaltenbäck | LE RAVISSEMENT
«Je souhaitais ainsi interroger toute la mythologie et le poids qu'il y a autour de la maternité et qui pèse encore aujourd'hui sur les femmes.»
Premier long-métrage d’Iris Kaltenbäck, récompensé par le prix SACD à la Semaine de la Critique au Festival de Cannes 2023.
Ce premier film bouleversant où le suspense et la tension ne faiblissent jamais est d’une grande maîtrise. Le court métrage « LE VOL DES CIGOGNES » d’Iris Kaltenbäck réalisé en 2015 parlait déjà de rapport complexe face à la maternité.
LE RAVISSEMENT | LA RÉALISATRICE
Iris Kaltenbäck grandit en France où elle étudie le droit et la philosophie. Elle entre ensuite à l’école La Fémis et décroche un diplôme de scénariste. En 2013, elle travaille comme assistante du metteur en scène Declan Donnellan dans un théâtre de renom. Son premier court-métrage, LE VOL DES CIGOGNES, paraît en 2015 et remporte le prix du Brussels International Film Festival.
LE RAVISSEMENT | SYNOPSIS
Lydia (Hafsia Herzi), sage femme d’une trentaine d’année, fraîchement séparée est amie avec Salomé (Nina Meurisse), qui vit en couple avec Jonathan (Younes Boucif). Salomé et Jonathan attendent ensemble leur premier enfant. Pendant la grossesse de Salomé, Lydia rencontre Milos (Alexis Manenti), chauffeur de bus de nuit, ils ont une aventure d’un soir. Ils se recroisent par hasard à l’hôpital lorsque Salomé accouche, Milos rendant visite à son père malade. À ce moment précis, Lydia a le bébé de Salomé dans les bras. Elle va alors mentir en lui annonçant que le bébé est leur fille. La machine infernale du mensonge va se mettre en marche jusqu’à ce que l’étau se resserre autour de Lydia.
Interview par Ondine Perier
Le désir de maternité ou de changer de vie qui peut conduire à un tel mensonge. Est-ce un fait divers qui vous a interpelée ou le fruit de votre imagination sur un sujet qui vous fascine ?
À l’origine, l’histoire vient d’un fait divers qui tenait sur une phrase dans les journaux : une jeune femme fait croire à un homme que l’enfant de sa meilleure amie est le sien ; mais rien n’était écrit sur le désir de maternité. Ce qui m’a tout de suite interpellée, c’était l’idée de raconter un mensonge qui va à la fois venir bouleverser une grande histoire d’amitié entre deux femmes et en même temps, qui va être à l’origine de la naissance d’une possible histoire d’amour. Donc, qu’il y ait quelque chose de très tragique et en même temps, une conséquence potentiellement belle de ce mensonge. À partir de là, je me suis totalement abandonnée à la fiction avec une forte envie d’en faire une histoire romanesque sans forcément coller au fait divers.
Vous avez choisi de donner des indications sur le dénouement de l’histoire par la voix off de Milos. Pourquoi ce choix ?
En fait je trouvais la démarche de Milos très importante pour deux raisons. Déjà, parce que j’avais envie qu’il y ait un double point de vue dans l’histoire, c’est-à-dire qu’à la fois, on accompagne vraiment, étape par étape, cette jeune femme dans cette spirale infernale, mais en même temps, qu’on ait une légère distance. Je voulais aborder l’histoire de mon point de vue à moi, soit celui de quelqu’un qui essaye de cerner une personne à travers des sortes de pièces à conviction, des éléments d’un procès, des « j’ai entendu que… », « il paraît que », etc. et petit à petit d’essayer de mettre ensemble des bribes d’informations pour dresser le portrait d’une femme.
Je trouvais ça très important d’avoir le point de vue de Milos, aussi parce que je ne voulais pas que le personnage masculin soit réduit à l’homme trompé, je trouvais ça important qu’il soit plus intelligent que ça et s’interroge sur Lydia et sur le rôle qu’il a tenu dans cette histoire. J’aimais beaucoup ce double point de vue dans le film et l’idée qu’on puisse à la fois suivre Lydia, mais qu’elle reste une énigme pour nous. Par cette voix off, j’assume aussi de ne pas avoir toutes les réponses et je m’autorise à poser les questions dans le film. On est avec Lydia et en même temps, on a cette voix off qui s’interroge tout le temps sur cette femme.
Le casting composé de Hafsia Herzi, Alexis Manenti et Nina Meurisse est juste parfait, formidable de justesse. On est bien sûr époustouflé par le jeu tout en retenu d’Hafsia Herzi pour interpréter un personnage aussi complexe que Lydia. Avez-vous pensé tout de suite à elle en écrivant votre scénario ?
Non, je n’avais personne en tête en écrivant le scénario. C’est quand on a commencé à réfléchir avec ma directrice de casting à qui allait interpréter Lydia, Hafsia est vite venue dans nos esprits. Je la connaissais par « La Graine et le Mulet » bien sûr et par son propre film « Tu mérites un amour. J’ avais une grande admiration pour elle. Je me devais de lui demander quelque chose d’un peu nouveau, une prise de risque, pour qu’elle n’ait pas le sentiment de se répéter et que ce soit aussi un défi pour elle et pas juste pour moi en tant que réalisatrice qui fait son premier film. Hafsia a l’habitude de rôles dans des films assez naturalistes où elle a une verve, elle exprime énormément de choses par les dialogues, elle est très fougueuse, là, je lui ai demandé de prendre le contre-pied de ces rôles-là car Lydia est un personnage qui exprime très peu ce qu’elle ressent, qui exprime très peu la vérité par la parole et qui, finalement, quand elle parle, elle ment. Donc, il s’agissait de trouver comment exprimer sa vérité autrement que par le dialogue. Cela a été tout le travail avec Hafsia qui a été passionnant, ce travail en dentelle pour capter toutes les nuances de chaque situation et d’être à la fois dans le concret. Hafsia a un rapport très concret au travail, elle part toujours de son instinct de jeu.
Une des réussites du film est que le personnage de Lydia n’est jamais perçu comme une folle. Elle est certes inquiétante et pleine de mystère, dès le début pour autant elle fait toujours preuve de calme et de maîtrise même dans les scènes de très forte tension. Était-ce votre intention que le spectateur soit en empathie totale avec elle ?
Oui et on le doit aussi beaucoup à Hafsia qui est tombée amoureuse du personnage de Lydia. Hafsia était tout le temps convaincue par son personnage et d’une certaine façon, par son propre mensonge. Elle la défendait en permanence ! En fait, elle m’a beaucoup aidée à ne pas faiblir devant le personnage et à l’assumer coûte que coûte. Et effectivement, mon premier but était qu’on parvienne à suivre ce personnage sans le juger. C’était très important.
Votre film brasse ainsi beaucoup de sujets comme le bouleversement provoqué par la maternité, les relations amicales fusionnelles, la vie par procuration, les ravages de la solitude, etc, Quel est le sujet que vous aviez le plus à cœur d’aborder ?
Ce qui me tenait le plus à cœur, c’est vraiment cette idée d’une histoire qui allait bouleverser une amitié et en même temps faire naître une histoire d’amour. Et le fait que les deux soient indissociables parce que reliés par un mensonge. Après, j’avais aussi à cœur de raconter la maternité à travers ces deux femmes donc aussi bien raconter l’histoire d’une femme qui, au départ, n’a pas particulièrement de désir d’enfant, mais qui va, s’attacher énormément et développer des sentiments maternels pour un enfant. Et inversement, comment une femme qui devient mère, qui a enfanté peut se retrouver face à la difficulté du post-partum, Salomé est un personnage qui remet en question l’instinct maternel inné. Je souhaitais ainsi interroger toute la mythologie et le poids qu’il y a autour de la maternité et qui pèse encore aujourd’hui sur les femmes.
On sent une influence assez forte des films des années 70 avec le fondu à l’iris, la voix-off, le grain de la pellicule, l’image un peu floue. Avez-vous un goût particulier pour ce cinéma là ?
En tout cas j’avais une envie formelle de m’éloigner du film naturaliste et du fait divers un peu classique, grisonnant. Je me suis inspirée du cinéma américain des années 70 : « Taxi Driver » où il y a une voix off, et également d’un film taïwanais « Millenium Mambo » de Hou Hsiao-hsien qui raconte le portrait d’une femme tout en couleurs et en même temps accompagné d’une voix off qui s’interroge sur son mystère. Ce film m’a beaucoup inspirée parce que j’adore le réalisme, mais selon moi, il ne doit pas forcément être naturaliste, il faut oser aller vers le romanesque.
Pour fini, parmi les nombreux films programmés au ZFF, y en a-t-il un que vous avez particulièrement envie de voir ?
Oui, un film sorti il y a déjà quelque temps ici : « Foudre » de la réalisatrice Suisse Carmen Jaquier, car ma cheffe opératrice Marine Atlan a aussi travaillé sur ce film, je suis très curieuse de le découvrir. Et bonne nouvelle, j’ai appris qu’il allait bientôt sortir en France !