«La Voie Royale» marque le troisième long métrage du réalisateur Frédéric Mermoud, originaire de Suisse et résident français depuis près de deux décennies. Ce film nous transporte au cœur de l’histoire de Sophie, incarnée avec brio par Suzanne Jouannet.
Interview Frédéric Mermoud | LA VOIE ROYALE
« Dans mes récits, je privilégie les héroïnes du quotidien, des figures féminines fortes qui parviennent à s'élever au-dessus de leur condition. »
Sophie est une jeune fille élevée dans une famille d’agriculteurs. Bien qu’elle brille en mathématiques, ses résultats scolaires ne sont pas à la hauteur de son potentiel. Tout change lorsque son professeur en périphérie reconnaît son talent pour les maths et l’encourage à poursuivre une voie professionnelle prometteuse. Elle quitte alors la ferme familiale pour intégrer un lycée prestigieux à Lyon.
Le film nous plonge dans l’univers exigeant des classes préparatoires scientifiques, où les étudiants se préparent aux concours d’entrée dans des institutions de renom telles que Polytechnique, Normale Supérieure et les Mines. Ce périple social constitue un défi de taille pour Sophie, qui doit faire face à des défis et à des moments de remise en question. Le film explore cette quête pour définir ses propres choix tout en jetant un regard rétrospectif sur le milieu qu’elle quitte. L’atmosphère immersive et captivante du film est renforcée par les exigences des classes préparatoires, où les étudiants consacrent en moyenne 60 à 70 heures par semaine à leur travail.
«La Voie Royale» est bien plus qu’un simple récit de passage à l’âge adulte. Il offre une exploration profonde et émouvante des moments décisifs de la vie de Sophie, où le courage, la persévérance et la découverte de soi sont au cœur de l’intrigue. Ce film promet une expérience cinématographique à la fois riche et captivante pour tous les amateurs de coming-of-age stories et d’histoires de réussite sociale.
Djamila Zünd a eu le privilège de rencontrer le réalisateur. Extraits.
Pourriez-vous nous expliquer comment votre approche cinématographique, qui est parfois qualifiée de ‘romanesque’, a été utilisée dans «La Voie Royale» pour raconter l’histoire de Sophie ?
En tant que réalisateur, je suis très attaché aux histoires dans lesquelles les personnages sont acteurs de leur propre vie. Ils doivent être ceux qui prennent leurs propres décisions et se battent pour ce qu’ils veulent, plutôt que des personnages victimaires qui subissent ce qui leur arrive de manière passive. Je recherche des personnages qui vivent des situations conflictuelles et qui ont une certaine forme de résilience. Dans mes récits, je privilégie les héroïnes du quotidien, des figures féminines fortes qui parviennent à s’élever au-dessus de leur condition. Et dans le cas de «La Voie Royale», j’ai cherché à inscrire le personnage principal – Sophie – dans une réalité documentée, en l’occurrence le monde des écoles préparatoires scientifiques, en effectuant des recherches approfondies et en rencontrant des étudiants et des professeurs de ces écoles prestigieuses.
Avec votre expérience personnelle en tant que parent d’un enfant suivant un parcours similaire en prépa, comment cela a-t-il influencé votre approche en tant que réalisateur pour représenter la vie étudiante et les choix de Sophie dans votre film ?
C’est en partie une coïncidence que mon fils ait commencé une prépa scientifique au même moment que je tournais mon film. Mon fils a donc commencé sa prépa en septembre, tandis que nous commencions le tournage en octobre. Ainsi, en plus de la documentation que nous avions réalisée au préalable, j’ai pu poser des questions à mon fils sur sa rentrée et ajuster certains détails dans le film.
Y a-t-il eu des changements dans le film par rapport à ce qui avait été imaginé au départ, après avoir discuté avec votre fils et revu les notes qu’il avait rassemblées sur son expérience ?
Les informations recueillies par mon fils ont joué un rôle essentiel pour renforcer la vraisemblance de certaines scènes du film, notamment en intégrant des mélodies et des paroles de chansons dans les scènes d’initiation des étudiants de première année par ceux de deuxième année. J’ai également complété le discours du proviseur par des éléments du discours de l’école fréquentée par mon fils. Ainsi, si la majeure partie du scénario est restée inchangée, l’apport de mon fils a permis d’ajouter des touches plus authentiques à certaines scènes.
Dans votre film, certaines scènes semblent s’être formées de manière organique, les acteurs semblant exprimer des choses spontanément. Est-ce que cela a été le cas ?
Certaines scènes de notre film se sont effectivement formées de manière organique, où les acteurs ont exprimé des choses spontanément. Cela fait partie du processus créatif que j’encourage en tant que réalisateur. Initialement, la plupart des éléments étaient déjà écrits dans le scénario. Cependant, lors des répétitions et du tournage, je laisse de la flexibilité aux acteurs pour s’approprier leurs dialogues et les ajuster si nécessaire. Mon approche dans la mise en scène consiste à créer un espace où les acteurs ont la liberté de transcender ou de sublimer les scènes. Je crois que c’est à ce moment-là qu’ils apportent quelque chose de plus, quelque chose d’inattendu. Il arrive que les acteurs nous emmènent vers des directions non anticipées, parfois bien au-delà de nos attentes initiales. Par exemple, même si les bases du dialogue étaient écrites, les acteurs ont insufflé une spontanéité et une authenticité remarquables à certaines scènes. En observant comment les comédiens ont interprété leurs personnages et vécu l’instant, j’ai été frappé par leur naturel et leur vérité. C’est cette magie que les acteurs apportent au projet. Des moments qui auraient pu être ordinaires ou être coupés au montage prennent soudainement vie de manière extraordinaire. J’ai souvent été témoin de ces moments où les comédiens enrichissent une scène, lui apportant une complexité et une puissance supplémentaires. Je préfère ne pas trop en dévoiler pour ne pas gâcher la découverte du film. Relevons tout de même que ces moments sont le résultat d’une forte cohésion au sein de l’équipe d’acteurs.
Peut-être est-ce une surinterprétation, mais y a-t-il une intention derrière le parallèle potentiel entre les animaux de la ferme de Sophie, élevés pour nourrir le pays et souvent traités médicalement en cas de fragilité, et les étudiants des grandes écoles préparatoires, évoluant dans leur propre bulle et ayant parfois besoin de recourir aux médicaments pour faire face à la pression ?
Je n’avais pas intentionnellement conçu ce parallèle entre les animaux de la ferme de Sophie et les étudiants en prépa, mais je comprends le lien que vous avez fait. Le film explore le passage de Sophie d’un monde familier à un monde avec des règles et des intérêts différents, mais je ne l’avais pas nécessairement conçu comme une métaphore. L’écho que je ferais, c’est plutôt à travers les scènes des deux repas. Celui qui a lieu quand elle revient avec le gâteau, elle se rend compte que tout d’un coup, elle a un geste qui peut être maladroit par rapport à son milieu d’origine. Et quand elle va dîner chez les parents d’Adrien (NDLR : un ami de Sophie issu d’un milieu bourgeois et intellectuel), elle se rend compte que même s’ils sont très gentils, leur propos lui indiquent que c’est un monde dont elle ne fait pas vraiment partie.
Les bâtiments néo-classiques qui entourent les protagonistes semblent symboliser leur captivité vis-à-vis de leurs choix et de leurs études, ce qui correspond bien au titre du film, « La Voie Royale ». Pouvez-vous nous parler de votre choix de ce titre et si vous aviez d’autres noms en tête ?
Le titre « La Voie Royale » revêt une signification ambiguë. D’un côté, il évoque l’idée répandue en France selon laquelle il n’existerait qu’une voie élitiste pour réussir. D’un autre côté, il reflète également le parcours de Sophie, qui cherche sa propre voie : sa voie royale.
Les imposants bâtiments néo-classiques qui entourent les protagonistes incarnent à la fois l’importance et la solennité des lycées préparatoires. Et, en parcourant ces établissements, comme le lycée Saint-Louis ou le lycée Fabert, on peut percevoir des éléments symboliques tels que des statues et des signes extérieurs qui évoquent une sorte de grandeur, voire d’héritage impérial, avec des références à Napoléon. Ces symboles renforcent l’idée que ces lycées sont des lieux d’exception, formant un monde à part qui se démarque par ses codes distincts. Ils cherchent à maintenir un sentiment d’entre-soi, perpétuant ainsi un système bien établi.
Le film s’achève sur un message fort : « Vous avez le don de changer le monde ». Pouvez-vous nous dire quelle est la scène du film qui vous a le plus touché et évoquer l’importance de la notion de vocation dans cette scène finale, ou plus généralement dans l’ensemble du film ?
La scène qui me touche le plus est celle où Diane [N.D.L.R. Diane est l’amie de la protagoniste principale] pose la question de la vocation à Sophie. Je considère ce moment de réflexion comme crucial pour donner une signification profonde à son parcours. J’espère que le film pourra inspirer les générations futures à trouver leur propre vocation et à donner un sens à leur parcours. Ce que je dis souvent à mes enfants, je ne sais pas si c’est dans le sens que vous évoquez, mais je leur répète fréquemment que le mot que j’ai le plus entendu dans ma vie, c’est le « non ». En réalité, lorsque l’on travaille dans le domaine du cinéma, on est souvent confronté à des refus. La plupart du temps, les réponses sont négatives, et de temps en temps, un « oui » se manifeste, marquant un tournant majeur dans la réalisation d’un film. Cette expérience nous apprend à faire face au rejet et à nous relever après chaque déception.
Et, ce qui me touche particulièrement dans le parcours de Sophie, c’est sa persévérance malgré les nombreux obstacles qu’elle rencontre. Elle est souvent confrontée à des refus et à des doutes quant à sa capacité à réussir. Bien sûr, elle connaît des moments de découragement, mais elle parvient finalement à surmonter ces obstacles en se disant qu’elle doit continuer à avancer. Pour moi, cette qualité est admirable et si le film peut transmettre ne serait-ce qu’un peu de cette détermination, ce serait une réussite.