Emmanuel Mouret ou l’art du marivaudage au cinéma où tout y est doux, frais, respectueux, intelligent. Ici dans TROIS AMIES, plusieurs histoires sentimentales sont vécues par le prisme de trois amies qui ont une conception de l’amour très différente. Joan, Alice et Rebecca, toutes trois parfaitement incarnées par India Hair, Camille Cottin et Sara Forestier. Emmanuel Mouret a répondu à notre interview avec générosité et précision lors de son passage à Genève.
Interview Emmanuel Mouret | TROIS AMIES
- Publié le 5. novembre 2024
«TROIS AMIES, c'est le portrait de trois femmes liées par l'amitié et qui ont un rapport très différent à l'amour, à l'honnêteté.»
Emmanuel Mouret | FILMOGRAPHIE
2000 : Laissons Lucie faire !
2004 : Vénus et Fleur
2006 : Changement d’adresse
2007 : Un baiser, s’il vous plaît !
2009 : Fais-moi plaisir !
2011 : L’Art d’aimer
2013 : Une autre vie
2015 : Caprice
2018 : Mademoiselle de Joncquières
2020 : Les Choses qu’on dit, les Choses qu’on fait
2022 : Chronique d’une liaison passagère
2024 : Trois Amies
Par Ondine Perier
Il y a une formidable alchimie entre les trois comédiennes qui ont d’ailleurs dit à quel point le tournage avait été agréable et facilité par le fait que chacune avait un personnage très singulier. Etait-ce une évidence pour vous ce casting précisément ?
Le travail de casting consiste à faire émerger une évidence dans le choix des comédiens. Quand j’écris, j’évite d’imaginer qui jouera chaque rôle, car on ne sait jamais qui sera disponible ou réuni au bon moment. Les acteurs ont des emplois du temps chargés, et j’aime aussi me laisser surprendre par des choix inattendus. Par exemple, je n’avais pas envisagé India Hair pour ce rôle au départ. J’ai souhaité la rencontrer, avant tout pour découvrir de nouveaux talents avec qui travailler. Elle m’a impressionné par sa profondeur, sa sensibilité et son intériorité, que je n’avais pas perçues dans ses précédents films. Avec Camille Cottin, que la directrice de casting connaissait déjà via son travail sur DIX POUR CENT, nous avions depuis longtemps envie de collaborer. Quant à Sara Forestier, son retour m’a aussi surpris, car elle s’était éloignée des écrans depuis cinq ou six ans.
Votre inspiration vient-elle de la sphère privée ou de la littérature par exemple ?
L’inspiration vient d’abord je pense des films qu’on a aimés, car on fait du cinéma par passion pour le cinéma. Mes films, comme ceux de nombreux cinéastes, explorent souvent le couple, le désir, les dilemmes moraux, mêlant gravité et fantaisie. Ce sont des thèmes qui m’intéressent et que je note régulièrement. Bien sûr, je puise dans mes émotions et mes questionnements personnels. Écrire une histoire, c’est imaginer : “Et si ça m’arrivait, comment réagirais-je ?” En ce sens, mes films sont comme une autobiographie de mes rêveries.
Pourquoi avoir choisi Lyon comme décor de TROIS AMIES ?
Je n’ai pas choisi Lyon par hasard. Je suis de Marseille et j’y ai tourné mes premiers films, mais je n’imaginais pas cette histoire dans cette ville, avec son accent, sa proximité avec la mer, la nature, le soleil et ses quartiers animés. J’ai également beaucoup tourné à Paris, mais j’avais envie de changement. En France, il n’y a pas tant de grandes villes, et je connaissais peu Lyon. J’y ai donc passé du temps pour inscrire ce film dans cette ville. Finalement, j’ai filmé Lyon un peu comme un Américain qui découvrirait Paris, ce qui était à la fois stimulant et amusant.
Les trois amies et certains des rôles masculins sont professeurs de collège et lycée. Etait-ce important pour vous de les installer dans un métier intellectuel et de transmission ?
J’ai une proximité avec le milieu de l’enseignement, car beaucoup de gens autour de moi sont professeurs. C’est sans doute pour cela que j’ai une affection particulière pour cette profession. Ce que j’apprécie aussi, c’est le côté à la fois sérieux et cocasse du métier : ce sont des gens qui transmettent un savoir, mais qui restent souvent maladroits, qui font des erreurs, qui se prennent les pieds dans le tapis. J’avais envie de personnages appartenant à un même milieu social, sans grandes différences de statut, même si l’une d’entre elles est en difficulté professionnelle.
On note beaucoup de douceur dans les rapports que vos personnages entretiennent entre eux, une douceur également présente à travers la météo, les décors. Vos films sont-ils pour vous le reflet de votre monde idéal ?
C’est une question compliquée, bien que la réponse soit assez simple. J’essaie de faire des films avec le même plaisir que celui que j’ai ressenti en grandissant avec certains cinéastes. J’aime les films dans lesquels on se sent immergé, bien au cœur des décors et des personnages. Que ce soit chez Hitchcock, Lubitsch, Woody Allen ou Blake Edwards, j’apprécie les films où l’on se sent à l’aise, même au milieu de suspense, de meurtres ou de tension dramatique. Ce rapport aux décors et aux personnages est essentiel pour moi, et j’espère que cela transparaît dans mes propres films.
C’est la 3e fois que Vincent Macaigne incarne un des rôles principaux de votre film. Qu’est ce qui vous séduit tant chez cet acteur, est-ce un peu votre alter ego ce Victor, qui est aussi le narrateur de l’histoire ?
J’éprouve un réel plaisir à travailler avec Vincent Macaigne, et je pense que c’est réciproque. Avec lui, il n’est jamais nécessaire de discuter des intentions ou des nuances d’un personnage. Tout se joue dans la mise en scène et les déplacements dans l’espace. Son interprétation semble instinctivement suivre, voire dépasser, mes intentions d’écriture, et c’est une véritable chance.
« Ça ne me dérange pas d’espérer » supplie Victor narrateur ou « Être vivant c’est aussi s’inquiéter, être triste, être perdu ». Ces réflexions font elle partie de vos maximes ?
À travers Victor, Vincent (Macaigne) incarne peut-être une part plus marquée de ma personnalité, avec des maximes et des réflexions qui résonnent particulièrement. Son personnage m’inspire beaucoup d’empathie et, bien que tout ne s’explique pas, ses réactions s’alignent souvent avec ma propre psychologie, presque malgré moi.
La musique classique se marie à la perfection à la mélodie de vos dialogues. Travaillez-vous toujours avec le même compositeur ?
C’était ma première collaboration avec Benjamin Esdraffo, et ça a été un vrai bonheur. Il a composé une musique magnifique, et nous avons aussi intégré des morceaux existants. C’est une rencontre artistique enrichissante, et j’ai hâte de renouveler l’expérience avec lui.
Par l’abnégation de Rebecca (Sara Forestier) et son silence, l’amitié semble triompher sur l’amour, ou les deux se répondent de manière incessante ?
Quant à l’amitié, elle s’entremêle avec l’amour. Le terme “amour” est universel, mais ses significations sont si variées qu’on en perd parfois le sens. L’amitié est aussi une forme d’amour. Une spectatrice me confiait récemment que, pour elle, la plus belle preuve d’amour dans le film était celle d’une femme envers une autre femme, plus forte que celle entre homme et femme. C’était intéressant de mêler ces dimensions de l’amour.
Avez-vous déjà en tête quelques pistes pour votre prochain film ?
Je travaille sur le scénario à présent, que je garde très secret.