Huit ans après le succès de MA VIE DE COURGETTE, le cinéaste et animateur revient avec son nouveau film SAUVAGES. clickcinema.ch a rencontré Claude Barras pour une interview dans le cadre du 77e Festival du film de Locarno. Il nous parle des exigences techniques d’un film d’animation et nous explique pourquoi, en tant que jeune paysan valaisan, la vie des Penan ne lui est pas totalement étrangère.
Interview en vidéo en cliquant sur l’image ci-dessus et en texte ci-dessous !
Interview Claude Barras | SAUVAGES
«Je veux faire réfléchir au rapport au monde et aux conséquences de la consommation, de la modernité»
SAUVAGES transporte les spectateurs à Bornéo, où Kéria, une jeune fille, recueille un bébé orang-outan sauvé d’une plantation de palmiers à huile. Aux côtés de son cousin Selaï, un Penan fuyant les conflits avec les compagnies forestières, ils luttent contre la destruction de la forêt ancestrale. Cette fable écologique dévoile également à Kéria la vérité sur ses propres origines.
Interview de Djamila Zünd
Lors de la projection de votre nouveau film : SAUVAGES sur la Piazza Grande de Locarno. L’émotion était palpable. Comment vous êtes-vous senti après avoir partagé le visionnement avec votre public cible, les familles et les enfants ?
C’était une immense fierté et une satisfaction énorme. Vraiment. Après la projection, beaucoup de gens sont venus me voir. J’ai fait des dessins, et ce matin encore, lors de la rencontre avec le public, il y avait beaucoup d’enfants. Ils m’ont demandé des dédicaces, et j’étais vraiment très, très content, car le film traite d’un sujet assez difficile, voire politiquement engagé, même s’il n’y a pas de discours direct. Il pousse à réfléchir sur notre rapport au monde, les conséquences de la consommation et de la modernité, même si cela n’est pas explicitement dit dans le film. Le film est avant tout une aventure, et l’équilibre entre l’action et le message n’était pas facile à trouver. Mais il semble que cela fonctionne bien, car enfants et adultes m’ont dit qu’ils avaient été touchés et qu’ils avaient compris le message. Et, qu’ils y adhéraient. C’est exactement ce que je voulais faire avec ce film.
Pour ceux qui ne le sauraient pas, comment les personnages Kéria, Selaï et le petit orang-outan Oshi prennent-ils vie ?
En moyenne, un animateur crée quatre secondes de film par jour. Chaque animateur avait une séquence dans le film, certains en ont fait deux ou trois. L’idée est que chaque animateur traite sa séquence comme un court-métrage à part entière, animant toutes les marionnettes impliquées. Si un plan inclut trois personnages qui marchent, l’animateur progresse peut-être d’une demi-seconde par jour. Mais, un gros plan de Kéria souriante et clignant des yeux pourrait avancer de dix secondes par jour. Cette moyenne est possible grâce à une préparation minutieuse, orchestrée par deux assistantes, Dorine et Clémence Pun. Dix animateurs se relaient sur les plateaux, tandis que cinq autres plateaux sont dédiés à l’installation des décors, la lumière et la préparation. C’est un processus fluide. Pour moi, la journée est dédiée à répondre aux questions et à donner des indications sur chaque plan et chaque séquence pour chaque personnage. Une fois le plan lancé, le studio est fermé et l’animateur reste seul avec sa marionnette, animant image par image, douze fois par seconde. Il ajuste tout ce qui se voit à l’écran.
Les enfants étaient absolument fascinés et conscients du processus de création du film. Comment créez-vous la fumée, la braise ou encore les feuilles qui tombent ? Utilisez-vous une part de CGI (images générées par ordinateur) pour ces éléments ?
En partie, oui. Ces éléments ne sont pas animés en même temps que les personnages. Si l’on devait animer les personnages et le feu simultanément, cela prendrait beaucoup plus de temps. En général, nous animons d’abord les personnages, puis un assistant et un animateur spécialisé dans la fumée prennent le relais. Ils installent de petites lumières qui clignotent, invisibles à l’écran, et manipulent de petits morceaux de papier éclairés. La fumée, quant à elle, est animée sur une table lumineuse, sur fond noir, avec de petits morceaux de ouate de coton, image par image. Ensuite, toutes ces prises sont assemblées sur ordinateur.
Avec une progression moyenne de quatre secondes par jour, comment gérez-vous l’impatience qui pourrait survenir ?
Les animateurs peuvent ressentir un peu d’impatience, mais pas tant que ça. Même s’ils travaillent rapidement, la fabrication du film reste un processus lent. On avance étape par étape : on enregistre les voix, on prépare le storyboard, puis on fabrique les marionnettes.
La marionnette représente le corps du personnage, mais la voix en est l’âme. C’est la fusion entre le corps et l’âme qui rend le personnage vivant et crédible. Pour atteindre cette fusion, je commence par travailler l’âme, c’est-à-dire les voix, avant de m’attaquer au corps. J’aime écrire des dialogues simples et concis, en éliminant tout superflu au fur et à mesure des versions du scénario. Ensuite, je travaille avec les acteurs, les faisant jouer ensemble, avec un coach, pour obtenir un rendu naturel. Une fois les meilleures prises sélectionnées et le montage sonore terminé, nous passons à la suite. Chaque étape prend du temps, mais je sais dès le départ que le processus sera long. Cela m’aide à me concentrer pleinement sur chaque phase, sans impatience, même si le projet dure plusieurs années.
Le film a été créé en collaboration avec des partenaires associatifs tels que Foodwatch, le Fonds Bruno Manser, Greenpeace France et Kalaweit, tous engagés dans la protection de la biodiversité, la lutte contre la déforestation et la promotion de l’alimentation responsable. Vous avez également passé six semaines à vivre de manière traditionnelle avec les Penans. Racontez-nous votre expérience. Avez-vous été surpris ?
Oui, en quelque sorte. Je m’attendais à un environnement plus exotique, grouillant d’animaux. Mais étonnamment, je me suis senti chez moi. J’ai grandi dans une famille paysanne en Valais, avec des grands-parents semi-nomades qui changeaient de village selon les saisons. Je retrouvais ce mode de vie avec cette famille dans la forêt, dans la simplicité des gestes quotidiens : se lever, s’occuper de ce qui se passe autour, chercher et préparer à manger. La forêt elle-même ne m’a pas dépaysé, car une forêt reste une forêt, comme l’a dit Francis Hallé, spécialiste des forêts. La biodiversité se cache souvent dans les arbres, et on voit peu d’animaux à moins qu’on nous les montre. Mais j’aime la forêt, donc j’étais bien.