Le quatrième long-métrage de la réalisatrice Justine Triet, acclamé par la critique, a reçu la Palme d’or au Festival international du film de Cannes 2023. On y retrouve des thèmes récurrents à son œuvre comme les rapports homme-femme et la parentalité mais aussi la participation insolite du chien comme elle l’avait déjà mis en scène dans VICTORIA.
ANATOMIE D'UNE CHUTE
Le film récipiendaire de la Palme d'Or 2023 et projeté à la Piazza Grande de Locarno débarque en salles.
ANATOMIE D’UNE CHUTE | Synopsis
Après un entretien d’embauche, Sandra (Sandra Hüller) est appelée à l’aide par son fils de 11 ans. Le garçon, malvoyant, revient d’une promenade avec son chien et vient de trouver son père mort, gisant devant le chalet. S’agit-il d’un suicide, d’une chute accidentelle ou d’un meurtre commis par Sandra ?
ANATOMIE D’UNE CHUTE | Autres avis
“Justine Triet propose avec ‘ANATOMIE D’UNE CHUTE un film de procès, dans la manière et la qualité d’un thriller hitchcockien. Le film bénéficie d’une Sandra Hüller époustouflante. Après TONI ERDMANN, une nouvelle grande performance de l’écrivaine allemande” arttv.ch – Une critique détaillée sera faite à la sortie du film | “Le film est un film de procès et un drame familial qui captive et soulève des questions sur les relations humaines. Sans vouloir révolutionner le genre, le film est passionnant par son approche précise et réaliste et sa profondeur époustouflante”. – Pierre Siclier, cineserie.com | “Sandra Hüller joue aussi remarquablement bien en anglais. Mais le drame judiciaire de Justine Triet, avec ses deux heures et demie, exige une bonne assise. La longue entrée en matière prend toutefois suffisamment d’élan devant le tribunal pour que l’on s’enthousiasme, du côté du public, pour l’ambivalence d’un mariage solide avec ses zones d’ombre”. – Roland Meier, outnow.ch | “Sandra Hüller est parfaite dans ce rôle qui, par sa clarté et sa franchise, appelle à la contradiction des pensées, tandis que le drame émotionnel du fils veille à ce que le cœur ne puisse pas se détacher”. – Michael Sennhauser, sennhausersfilmblog.ch
Critique par Ondine Perier
Au delà d’un film de procès
Un homme est retrouvé mort devant la maison familiale sous la fenêtre de sa chambre à l’étage.S’agit-il d’un suicide, d’une chute accidentelle ou d’un meurtre commis par sa femme ? Justine Triet (LA BATAILLE DE SOLFERINO, VICTORIA, SYBIL) signe un film à la mise en scène très maîtrisée au plus près des personnages lorsqu’ils sont filmés dans leur intimité ou lorsqu’il s’agit de capter leurs réactions et émotions lors du procès. Elle opte pour des plans plus larges au sein du tribunal comme pour souligner l’ampleur du procès ou le lieu de la chute qui montre l’isolement du chalet perdu dans les montagnes.
Ainsi la première scène s’ouvre sur le salon du chalet : une jeune femme interroge Sandra, écrivaine (Sandra Hüller, impressionnante) sur sa carrière et son métier. Un léger jeu de séduction émane de leurs échanges. Elles doivent malgré elles écourter l’interview, une musique assourdissante envahissant les lieux. Un jeune garçon qu’on devine malvoyant rentre de balade avec son chien et découvre effrayé le corps gisant de son père étendu dans la neige maculée de sang. Très vite, Sandra est accusée d’être la cause de la chute. La machine judiciaire se met alors en route. Par le biais du procès et des entrevues entre l’accusée et son avocat, la réalisatrice s’empare brillamment et avec beaucoup de justesse du sujet du couple et des frustrations liées aux compromis inhérents au couple. Ici, la femme, Sandra, mène sa carrière avec succès alors que son conjoint, écrivain également, Samuel, peine à trouver l’inspiration pour son premier roman. Leur fils de onze ans, Daniel, a perdu partiellement l’usage de la vue suite à un accident dans le passé. La famille s’est décidée à quitter la frénésie de Londres pour s’installer dans un chalet perdu sur les hauteurs de Grenoble, terres natales de Samuel. Si le thème central est celui du couple, ceux de la culpabilité et la parentalité sont tout aussi finement abordés.
Une ôde au féminisme
Le personnage de Sandra est une femme forte qui travaille et gagne sa vie de manière indépendante. Elle assume ses désirs qu’elle ne veut pas brider au mitan de sa vie. Pour autant, elle apparaît capable de certains sacrifices par amour. Son positionnement semble ainsi raisonné et somme toute assez altruiste. Peu d’empathie se dégage pourtant du personnage, dû à l’interprétation clinique de Sandra Hüller mais on ressent davantage d’admiration sur sa capacité à rester lucide et à garder la tête froide malgré les pressions extérieures.
Les rôles féminins forts et indépendants, assumant leur sexualité et leurs désirs, sont l’apanage de la réalisatrice. Sandra Hüller (qui incarnait une réalisatrice hystérique dans son précédent film, SYBIL et surtout l’actrice principale de l’excellent TONI ERDMANN) est ici impeccable tant en témoin accusé qu’en mère attentive et femme autonome.
Des seconds rôles masculins au diapason
Il s’agit de saluer aussi les prestations remarquables de Swann Arlaud (PETIT PAYSAN) et Antoine Reinartz (ALICE ET LE MAIRE, ROUBAIX UNE LUMIÈRE) dans les rôles respectifs et aux antipodes de l’avocat de la défense et du procureur. Certaines de leurs joutes verbales – toutes admirablement écrites – donnent lieu à des scènes d’humour inattendues et bienvenues. Le jeune Milo Machado Graner livre lui aussi une prestation sans faute et cultive adroitement sa part de mystère. Quant à Samuel Theis, en mari instable, révèle son talent et son charisme lors des scènes de flash-backs.
En bref, ANATOMIE D’UNE CHUTE offre une réflexion sensible sur le couple et un terrain de jeu fascinant pour l’ensemble du casting, très à la hauteur du scénario. Le récit fluide se déroule de manière certes conventionnelle mais conserve toujours l’intensité et le doute. Soulignons l’inventivité dans les scènes de flash back, scènes pivot du film. Cette autopsie du couple est une palme d’or tout à fait honorable ; Justine Triet confirme ainsi son talent et celui de son actrice, l’époustouflante Sandra Hüller.