Entretien avec Anaïs Emery, directrice générale et artistique du Geneva International Film Festival (GIFF) depuis 5 ans. À travers ses mots, Anaïs Emery trace le portrait d’un festival qui, loin de se contenter d’exister, interroge l’avenir des images et des récits. Fidèle à l’esprit pionnier du GIFF, elle défend une vision exigeante mais joyeuse, ouverte à l’expérimentation et à la rencontre. « Maintenir un rêve » dit-elle. Cette 31e propose 85 œuvres entre cinéma, série et création immersive.
Anaïs Emery | GIFF 2025
- Publié le 29. octobre 2025
«Le GIFF est un espace de liberté et d’exploration joyeuse», Anaïs Emery directrice de la 31e édition du Geneva International Film Festival.
Interview par Ondine Perier
Comment vous sentez-vous à trois jours de l’ouverture ?
Je suis dans l’effervescence des préparatifs, forcément avec beaucoup d’enjeux, mais aussi avec enthousiasme. Cette 31ᵉ édition nous ressemble : elle est exploratoire, libératrice et joyeuse.
Le film d’ouverture (L’INCONNU DE LA GRANDE ARCHE de Stéphane Demoustier) aborde l’architecture et la quête d’un homme face à un projet pharaonique. Voyez-vous un parallèle avec votre rôle de directrice du GIFF ?
C’est une question intéressante. Le film interroge la liberté artistique, le pouvoir, et la relation entre les artistes et les institutions. C’est un thème qui me touche beaucoup, car il n’est jamais simple de maintenir un rêve et un cap dans un contexte parfois contraint. Et puis le film est magnifiquement interprété, notamment par Claes Bang (qui sera présent à l’ouverture) et Xavier Dolan, ce qui renforce encore sa portée.
Cette année, vous accueillez des invités prestigieux comme Stephen Frears ou Alan Ball. Est-ce difficile de faire venir de tels artistes ?
C’est un vrai défi. Tous les festivals sollicitent les mêmes personnalités, et il faut trouver la bonne manière de les convaincre. Mais c’est essentiel : le public veut aujourd’hui comprendre comment se fabrique une œuvre, qu’elle soit film, série ou projet immersif. Notre mission est d’ouvrir ces coulisses de la création. Cela prend beaucoup de temps, mais c’est au cœur de notre ADN.
Le programme immersif est l’une des signatures du GIFF. Quelle en est la particularité cette année ?
Nous montrons moins d’œuvres – une vingtaine – mais elles sont toutes très fortes. Certaines ont déjà été primées à l’international, d’autres sont totalement expérimentales. Toutes invitent le public à une expérience multisensorielle, que ce soit via la réalité virtuelle, le cinéma étendu ou même le téléphone portable. L’idée, c’est de proposer un voyage sensoriel et intellectuel dans les nouvelles formes audiovisuelles.
L’intelligence artificielle bouleverse le secteur. Quelle place lui donnez-vous au GIFF ? Et vous, la redoutez-vous ?
Elle est déjà là, et il faut apprendre à composer avec. Dans le champ immersif, son usage est clair : elle sert au morphing ou à créer une interaction entre l’œuvre et le spectateur, de manière transparente. En revanche, dans le cinéma ou les séries, son utilisation dans la production est moins visible. Ce manque de transparence est problématique. Ma position, c’est qu’il faut rattraper ce retard et savoir quand et pourquoi l’IA est utilisée.
Le contexte culturel est tendu, les budgets sous pression. Comment le GIFF s’en sort-il ?
Notre budget se maintient, mais les coûts augmentent. En réalité, cela revient à une diminution. Nous devons réfléchir à notre empreinte environnementale, aux conditions de travail de nos équipes et des artistes émergents. Ce sont des enjeux essentiels, mais il est parfois frustrant de ne pas pouvoir avancer plus vite. Travailler dans la culture reste un vrai défi, avec toujours cette question : jusqu’où pourra-t-on encore progresser sur ces sujets de fond ?
Chaque année, faut-il repartir de zéro pour boucler le budget ?
Oui, presque. Six à huit mois sont consacrés à la recherche de financements, entre reporting, sponsors privés et mécènes. Pour l’instant, cela se passe plutôt bien, mais c’est une charge de travail considérable, qui prend du temps sur d’autres réflexions.
Quelles sont, selon vous, les trois qualités indispensables pour diriger un festival de cette envergure ?
D’abord, la passion pour le contenu et pour le lieu. C’est ce lien intime qui donne la force d’affronter les obstacles. Ensuite, la capacité de se réinventer, d’accepter les mauvaises nouvelles et de se relever. Enfin, savoir ne pas trop se prendre au sérieux.
Le GIFF se distingue par son approche transversale entre cinéma, séries et expériences numériques. C’est une volonté forte ?
Absolument. Le public d’aujourd’hui navigue naturellement entre les formats, il n’y a plus de hiérarchie entre cinéma et série. Le GIFF est un laboratoire où ces formes dialoguent. Notre rôle est d’accompagner cette curiosité et d’offrir un espace où l’on peut expérimenter et penser autrement les images.
Place aux questions tac au tac : êtes-vous vous plus Film ou Série ?
Film l’été, série l’hiver !
Votre dernière série coup de cœur ?
EMPATHIE, une série québécoise absolument géniale : les acteurs, la thématique, l’écriture, tout y est juste.
Et votre dernière sortie au cinéma ?
Une bataille après l’autre de Paul Thomas Anderson. J’ai adoré.
Quel moment attendez-vous le plus dans cette 31e édition ?
Les moments partagés avec l’équipe, quand on se retrouve après une projection, une ouverture, une clôture… Peu importe si tout a fonctionné parfaitement ou non : l’important, c’est de célébrer ensemble le travail accompli.
Et celui que vous redoutez le plus ?
L’ouverture, forcément. C’est le premier grand saut, chargé d’émotion.